
Avec Pétrole, Sylvain Creuzevault s’attaque à l’un des projets les plus ambitieux de Pasolini. Un texte à l’image de son théâtre – fragmentaire et torrentiel, burlesque et glaçant – à travers lequel il poursuit son exploration des fondations de notre société.
« Ce poème est le poème de l’obsession de l’identité et, en même temps, de son broyage. »
Pétrole est le dernier chantier de Pasolini, publié dix-sept ans après son assassinat. Malgré son caractère inachevé, le recueil est souvent présenté comme la synthèse de toute son œuvre, la somme de toutes ses expériences vécues. L’ouvrage s’offre ainsi, selon Sylvain Creuzevault, comme une « continuité de force(s), dans une discontinuité de formes » : un ouvrage dont les béances et les lacunes ne relèvent pas d’un manque, mais témoignent du refus fondamental de Pasolini de constituer une œuvre cohérente et unifiée — à l’image de sa pensée elle-même, traversée par les doubles et les antagonismes.
Objet de nombreuses relectures critiques, Pétrole semble répondre aussi bien au projet d’inventer une nouvelle forme romanesque qu’au dessein politique de saisir, par la multiplicité des points de vue, l’Italie des années 1960-70, en proie à « la stratégie de la tension ». L’écriture fragmentée de l’ouvrage se présente ainsi comme une série de notes juxtaposées, où se succèdent sans logique apparente, bribes narratives, visions symboliques, fables mystiques, réflexions politiques et considérations esthétiques de l’auteur — le tout sur fond d’enquête : les causes mystérieuses de l’assassinat du géant pétrolier Enrico Mattei. Pasolini interroge son présent immédiat, à travers le double voyage de Carlo Valletti, un ingénieur coupé en deux dès le début du roman. Tandis que son premier avatar, Carlo I, connaît une ascension fulgurante au sein de l’ENI (l’Entreprise nationale des hydrocarbures italienne), Carlo II se dévoue entièrement à une frénétique quête sexuelle, dépourvue d’interdits.
En donnant corps à Pétrole, Sylvain Creuzevault fait dialoguer une littérature poussée à ses limites avec un théâtre qui, tout comme le roman, se déploie en un assemblage inachevable. Il nous convie — et nous guide — dans une plongée vertigineuse au cœur des visions pasoliniennes de l’enfer et du paradis italien des années 1960-1970. Au cœur des terrains vagues de Rome, le metteur en scène poursuit l’édification de son « cabajoutis » — métaphore revendiquée de son théâtre : ces bâtisses faites d’éléments dissemblables, où la trace des outils reste visible.
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