Et la nuit sera calme

du 15 mars au 13 avril 2013
2 heures

Et la nuit sera calme

CLASSIQUE Terminé

Quand Schiller écrit Et la nuit sera calme, il n’a que vingt-et-un ans. Il y défend les lois justes, celles qui répondent aux aspirations profondes de l’humanité et non celles qui proviennent de l’autorité des puissants. Héroïsme et culte de la liberté sont passés au crible de la réécriture de Kevin Keiss. Dans cette première création, la révolte gronde, au sein d’une jeunesse bien décidée à se battre contre un ordre imposé.
  • Le péril jeune

Amélie Énon et sa compagnie Les irréguliers se sont réunis autour des Brigands avec le désir de faire émerger leur propre histoire. Quand Schiller écrit ce texte, il n’a que vingt-et-un ans. Il y défend les lois justes, celles qui répondent aux aspirations profondes de l’humanité et non celles qui proviennent de l’autorité des puissants. Dans Et la nuit sera calme, héroïsme et culte de la liberté, problématiques chères à Schiller, sont passés au crible de la réécriture de Kevin Keiss. S’appropriant la puissance d’expression du lyrisme romantique tout en jouant habilement sur différents niveaux de langue, le jeune auteur donne à entendre la richesse de cet héritage. Dans cette première création, la révolte gronde, au sein d’une jeunesse bien décidée à se battre contre un ordre imposé.

Christophe Pineau

  • Entretien avec Amélie Énon et Kevin Keiss

Christophe Pineau : Pouvez-vous nous présenter vos parcours respectifs et vos expériences les plus marquantes ?
Kevin Keiss : J'ai commencé à faire du théâtre en m'attaquant conjointement à la traduction et à la mise en scène. La première œuvre que j'ai abordée est les Héroïdes d'Ovide. Ce fut une expérience fondatrice pour moi. Dans la pratique de la traduction, pour mieux entendre et faire résonner le verbe, on est contraint de sortir d'une lecture silencieuse. J'ai donc fait un long parcours pour arriver à une certaine maîtrise du grec et du latin et suis actuellement doctorant en lettres classiques à Paris VII. En me confrontant quotidiennement au rapport complexe entre écriture et oralité, j'ai été amené à aborder sous le même angle des œuvres très particulières d'auteurs contemporains réputés difficiles. C'est ainsi que, par exemple, je me suis confronté à la pièce Babille des classes dangereuses, de Valère Novarina. Je voulais expérimenter, en me confrontant à ce texte, une mise en jeu et une expérience de plateau particulières.
Amélie Énon : J'ai commencé à étudier le théâtre à Bordeaux, en l'abordant à travers l'espace et la scénographie. À l'université où j'étudiais les Arts du spectacle, nous étions une douzaine d'étudiants à faire un peu de tout. À la fin de ces études, je suis partie six mois à Venise, dans le cadre d'un projet Erasmus, où j'ai eu l'occasion durant un cours d'atelier pratique, de mettre en scène Quartett de Heiner Müller. J'ai abordé ce texte en italien avec des acteurs italiens et pourtant je partais d'une traduction française, que je comparais avec la version allemande. Cette approche multilinguistique fut aussi délicate que captivante.
K. K. : J'ai beaucoup de difficulté à porter à la scène les textes tels qu'ils sont écrits. Je n'ai jamais pu en respecter un à la lettre. Il faut que je coupe et que je réécrive. Les textes du répertoires sont une matière vivante dont je m'empare et que je modèle pour qu'ils puissent donner à entendre tous leurs sens et leurs forces.
A. É. : Avant de faire cette pièce, nous avons co-écrit un texte, La Démission. Nous y abordions la problématique du collectif. Cela nous a amenés à étudier l'interaction entre la solitude du héros et son rôle dans le groupe. C'était peut-être déjà une approche intuitive du thème central des Brigands de Friedrich von Schiller. Cette problématique est la base de beaucoup de textes classiques. Le héros est dépositaire d'un destin. Il a un devoir à accomplir et le poids de cette charge qui lui incombe, vis-à-vis de sa communauté, nous intéresse tout particulièrement.

C. P. : Vous vous êtes rencontrés au Théâtre National de Strasbourg. Vous avez travaillé pendant trois années dans des ateliers dirigés entre autres par Jean-Pierre Vincent, Valère Novarina, Claude Régy, Jean Jourdheuil, Gildas Milin... Quels profits avez-vous tirés de ces divers enseignements ?
A. É. : Au TNS, le fait de rencontrer beaucoup d'acteurs, de travailler le répertoire avec eux, nous a donné des bases solides pour notre écoute des comédiens. Ce fut une expérience primordiale. Elle a fondé notre approche de la mise en corps et en voix du texte. Toutes ces expériences fondatrices, nous les nommons avec gratitude : « l'opportunité du pas au delà ».
K. K. : Valère Novarina et Claude Régy nous poussèrent, par exemple, à une écoute extrêmement attentive des comédiens. Ce que nous avons retenu, c'est qu'avant toute affirmation d'une idée, il faut explorer le maximum de possibilités créatives qu'offre l'épreuve du plateau. Un long temps de travail préparatoire « autorise » l'inattendu à prendre la parole. Nous nous efforçons donc de ne pas avoir d'idées a priori et mettons tout en place pour qu'elles puissent naître à partir du jeu lui-même, à partir d'un étonnement. Nous sommes devenus ce que Gildas Milin appelle « des agenceurs de signes ». Nous soumettons à l'expérience les premières pensées qui nous viennent à l'esprit. Ensuite, nous observons quelle essence se révèle dans chacun de ces accidents provoqués. Toute la difficulté est de disposer de temps pour pouvoir mettre en place ce que nous nommons « l'espace des possibles, où l'on peut bouleverser le monde ».

C. P. : Comment avez-vous découvert Les Brigands et comment avez-vous appréhendé sa mise en scène ?
K. K. : En fait, j'ai découvert cette pièce au lycée. Je fus immédiatement séduit par le potentiel scénique contenu dans certaines scènes grandioses, épiques ou fascinantes. C'est une œuvre dense et intense. Schiller a vingt-et-un ans lorsqu'il l'écrit. Ce fut d'abord un roman avant de devenir une pièce. Nous nous sommes tout de suite rendu compte qu'à quelques siècles de distance, ce texte parlait déjà et encore de notre époque. Nous avons créé Les Brigands en 2010, au cours de notre seconde année au TNS. Nous cherchions une pièce réunissant nos goûts poétiques et politiques. À ce moment-là, à Strasbourg, se déroulait le sommet de l'OTAN. En simultané, se mettait en place un contre-sommet. Et, dans le même temps, nous avons découvert le texte de Schiller. Tout y était : le collectif, la jeunesse, la révolte, la dénonciation d'une société arrogante et figée.
A. É. : Kevin lisait des passages des Brigands, puis abordait d'autres auteurs et d'autres œuvres et réécrivait ensuite une scène de sa pièce. Nous avons ensuite travaillé en aller-retour sur le texte de Kevin et sur celui de Schiller. Petit à petit, de cette confrontation méthodique est née notre version. Nous avons ensuite mis en place les éléments nécessaires à la naissance du « monstre ». C'est-à-dire que nous avons rassemblé les comédiens et donné quelques consignes de situations et des contraintes. Avec ce minimum, ils se sont lancés pendant six heures sur le plateau. Nous avons tout filmé. Le résultat de cette expérience fut convaincant et toute l'essence du spectacle était là.

C. P. : Dans votre version des Brigands, vous mélangez divers niveaux et styles de langage dans une même réplique. Quelle est la raison de ce parti pris littéraire ?
K. K. : Je voulais être en dialogue avec la littérature et pas seulement avec un auteur. D'une certaine façon, dans un processus de réécriture, la page est à nouveau vierge et tout peut arriver. C'est une manière très vivante de s'emparer d'un texte du répertoire. Il faut bien sûr effectuer beaucoup de lectures périphériques. Dans Les Brigands, il y a beaucoup de références à des textes très anciens, qu'ils soient grecs ou latins. Je tenais à les remanier en utilisant un langage de notre époque, pour qu'elles frappent l'oreille du spectateur d'aujourd'hui. Ainsi, les mythes engrangés par l'humanité retrouvent toute leur puissance de percussion.

C. P. : Quelle est la place du conteur dans votre projet ?
A. É. : Le rôle et le travail du conteur est très important dans notre approche du théâtre. Il est essentiel pour nous d'être présents sur scène, à notre endroit, pour « raconter du Schiller ». Nous abordons chaque représentation avec l'idée que l'essentiel est dans l'action. Le moment que nous proposons ne peut exister qu'avec l'engagement du public. C'est pour cela que chaque comédien se livre avant tout à un exercice de conteur. Nos vies ont profondément changé depuis notre sortie du TNS il y a deux ans. Nous allons reprendre Les Brigands pour témoigner de la vie. Cela rend la reprise de ce projet très excitante ! C'est un peu notre fonction sociale de conteurs. Le rire sera au rendez-vous car, dans les situations graves, l'humour est le meilleur moyen de révéler la puissance de l'entrelacs des tension fortes.

C. P. : La forêt est un élément essentiel au drame. De quelle manière allez-vous la rendre présente sur scène ?
A. É. : De grandes planches, taillées dans des arbres abattus, suffisent à poser l'action dans un labyrinthe obscur. Elles peuvent incarner l'intérieur et l'extérieur d'une cabane, délimiter un cloître ou un péristyle antique. Cette barrière définit aussi le passage entre les coulisses présentes sur le plateau et l'espace privilégié où se déroule l'action. La forêt est le lieu de la quête par excellence. En affrontant et franchissant les obstacles, le héros affronte sa propre vérité. Il ne peut revenir qu'après avoir accompli la totalité du rite initiatique. C'est le passage symbolique entre l'enfance et l'âge adulte. La forêt alterne de très fortes lumières et une profonde obscurité.
K. K. : Pour Gaston Bachelard, la forêt est l'immensité fermée. C'est la possibilité de se ressourcer aux origines de la vie, de s'immerger dans un élément végétal fondamentalement primaire. Pour les héros des Brigands, c'est l'opportunité de fuir un monde vieillissant et croupissant pour renouer avec l'intensité de l'existence. Dans les dernières scènes, le château prendra le relais de la forêt et incarnera à son tour un labyrinthe très complexe, à travers une hallucinante enfilade de pièces.

C. P. : Le personnage de Karl sera-t-il abordé en héros romantique ou en porte-étendard de la jeunesse révoltée de notre époque ?
A. É. : C'est un héros romantique qui se veut porte-étendard de la jeunesse... Mais qui oublie de vivre la sienne. Au fil de l'intrigue, il est dépassé par les événements et finit par ne plus contrôler ses troupes. Son erreur fondamentale est d'oublier que la destinée collective échappe souvent à la maîtrise du héros. C'est une manière de montrer les limites d'un leader et d'étudier le rapport complexe entre le petit nombre des initiateurs d'une révolte et la foule disparate qui les rejoint.
En fait, chacun se doit d'inventer la cohérence du monde. Si on a l'intuition d'une absurdité de l'univers, on se tue ou bien on se révolte. Par la révolte, on ne peut transformer l'absurdité du monde mais uniquement son rapport au monde. Paradoxalement, Franz est le personnage de la pièce ayant la vision la plus clairvoyante. C'est à la fois celui qui voit le plus loin et celui qui décrypte le mieux ce qui se déroule. C'est le seul qui s'affranchit du caractère fictif du conteur et accomplit sa propre recherche de justice. Franz et Karl sont deux poètes qui tentent de trouver leur vérité. Ils veulent mettre en place leur vérité en l'actant. Seul Franz parvient à y conserver une sorte de calme. Au final, on peut raconter la pièce à travers chacun des personnages, puisque chacun éclaire une partie de l'autre.

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Spectacle terminé depuis le samedi 13 avril 2013

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