Iphigénie

Saint-Ouen (93)
le 12 avril 2019
2h30

Iphigénie

Chloé Dabert, metteuse en scène du rythme et de la précision, se saisit du texte de Racine, entre dans les mots du XVIIème et interpelle le sens moral du sacrifice d’Iphigénie.
Retrouvons le sens du rythme et la précision de mise en scène de Chloé Dabert. Pour le Festival d’Avignon, elle se saisit du texte de Racine, entre dans les mots du XVIIème et interpelle le sens moral du sacrifice d’Iphigénie. Ici, la femme est la victime de tous les enjeux, et le désir des dieux entraîne toutes les soumissions.
  • Le sens moral de cette expiation

Avec Iphigénie, Chloé Dabert poursuit son travail sur le rythme des écritures et choisit de faire entendre l’alexandrin de Racine.

La guerre de Troie est imminente et la flotte du roi grec Agamemnon est retenue dans le port d’Aulis. Cette attente indéfinie laisse les hommes en proie à l’épuisement, la frustration, la colère et la faiblesse. Un oracle cruel déclare alors que la clémence des dieux ne se méritera qu’au prix de la vie d’Iphigénie, la fille du roi.

Questionnant les actions par devoir, le bien-fondé du sacrifice ou encore les oscillations de l'amour et de l'ambition, Chloé Dabert se saisit à la lettre du texte de Racine et interpelle le sens moral de cette expiation. Dans un campement entre plage et mer, les protagonistes reprennent à leur compte cette poésie si tragique où le désir des dieux entraîne toutes les soumissions et où la femme est la victime de tous les enjeux. Une pensée qui ne cesse de résonner en nous…

  • Entretien avec Chloé Dabert

Racine. Dire le nom de cet auteur est déjà plonger dans l’histoire du théâtre et de la culture française. Était-ce cette confrontation qui vous intéressait ou vous éloignez- vous de cette idée pour y trouver l’indépendance de votre génération ?
Iphigénie est un texte qui m’habite depuis l’adolescence et auquel je reviens régulièrement. Le choix de cette pièce a rapidement été une évidence, d’autant plus pour le Festival d’Avignon. Iphigénie prend tout son sens en étant joué en extérieur. Les protagonistes y sont « arrêtés, bloqués » dans un camp militaire situé entre la plage et la mer, et ils attendent que le vent, jusque-là défavorable, se lève pour pouvoir partir au combat. Mon choix tient aussi au dialogue qu’entretient ce type de mythes fondateurs avec notre temps. Que représente le fait de sacrifier une jeune fille pour une idée, une raison d’état ? Qu’est-ce qui sous-tend le fait de se soumettre à un oracle ? De « croire l’oracle » ? L’Iphigénie de Racine parle à travers le temps, et nous renvoie au présent. L’humain ne se questionne plus sur la fin de son prochain. Il agit et accepte de sacrifier l’un des siens au nom de l’intérêt commun.

Les grandes figures féminines comme Antigone, Iphigénie, Penthésilée sont souvent des personnages qui permettent aux lecteurs et spectateurs d’entrer dans le monde du théâtre. Elles sont de magnifiques miroirs.
Iphigénie est fille de roi. Elle incarne parfaitement sa fonction de princesse, et bientôt de sujet sacrifié. De par son éducation, elle ne remet pas en question l’autorité, elle accepte son sort, elle « croit » en l’oracle. Il y a une forme de conditionnement de cette jeune fille qui accepte d’être sacrifiée. Elle se bat avec les armes qu’elle a à sa disposition, à savoir son corps qu’elle offre par amour pour son père et par sens du devoir. Nous sommes ici dans le drame épique tel qu’on que l’on retrouve aujourd’hui dans des formes très diversifiées jusque dans les séries télévisées comme Game of Thrones dont le succès, mondial, témoigne de l’ancrage de la culture moderne dans le mythe. Il n’est pas anodin que l’un des épisodes parle d’un homme qui doit sacrifier sa fille pour accéder au trône. Par ambition, par épuisement et sous la contrainte, il accepte. Je travaille beaucoup en ateliers avec des adolescents et des jeunes adultes, et ce type de résonance est une source de réflexion,d’inspiration. Nous y retrouvons la trame d’Iphigénie que Racine a lui-même repris à Euripide. Qu’est-ce que cette pratique raconte de notre propre rapport à l’expiation, au retour au calme, à l’apaisement, à la fin d’un cycle ? Pourquoi s’agit-il de sacrifices de jeunes femmes ? Je n’ai pas de réponse, je ne cherche d’ailleurs jamais à en donner une aux spectateurs. L’important pour moi est de nous retrouver ensemble face à un constat, de nous poser la question de nos propres limites, de nos systèmes de valeurs, sachant qu’un sacrifice aura bien lieu et que le vent se lèvera. Cela nous conduit à une autre question : quel sens moral pouvons-nous donner à la conclusion de Racine ? S’agit-il ici de justifier ou non un acte ? Le théâtre est là pour questionner et ébranler. Personnellement, j’aurais préféré que le vent ne se lève pas.

Au-delà du rapport aux croyances et au pouvoir, la pièce questionne la figure féminine dans son rapport à l’intime. À travers ces trois femmes qui arrivent dans ce camp militaire – Iphigénie, Clytemnestre, Ériphile – et alors que chacune d’elles sait qu’elles n’y ont pas leur place, on perçoit qu’elles se battent avec les moyens qu’elles ont à leur disposition. Ces personnages m’amènent à interroger la place des corps, à me poser la question du désir. Iphigénie et Ériphile aiment le même homme, Achille. Le sacrifice d’Ériphile à la fin de la pièce est pour sa part guidé par le fait d’exister aux yeux des hommes, d’égaler Iphigénie aux yeux d’Achille en « valant » autant qu’elle... Tandis que chez Euripide, c’est une biche qui est sacrifiée au final, je trouve qu’il y a quelque chose de très moderne dans la résolution de Racine qui met de côté toute forme de surnaturel pour conclure sur un sacrifice humain. Rappel violent de notre modernité.

Une fois l’histoire posée à l’image de ce campement, comment abordez-vous le travail de la langue racinienne ?
La langue de Racine, la perfection de ses alexandrins, sont d’une grande exigence. Je privilégie vraiment un travail à la table au début des répétitions pour se concentrer sur le rythme, la ponctuation. J’attache énormément d’attention au respect de la partition, j’ai un rapport presque mathématique à l’écriture, il y a une rythmique commune, une cadence à trouver, afin d’entrer ensemble dans le texte.

J’ai un très grand respect pour les auteurs, toute ma pratique part de cette nécessité de les faire entendre au mot, à la virgule près. Il s’agit d’entendre une langue, d’entrer pleinement dans la structure d’une écriture. La première étape des répétitions est donc essentiellement consacrée à un travail sur la ponctuation, les retours à la ligne, sans élision. Ce n’est qu’après, une fois ce cadre établi, que les acteurs trouvent une forme de liberté. Le jeu devient pleinement ludique. Intervient alors la problématique de l’incarnation. Comment incarner sans chercher à être un personnage ? Nous cherchons avec les acteurs à maintenir une forme de distance : être dans un jeu engagé, mais en marquant un léger décalage avec les codes du réalisme. J’arrive à Racine après avoir traversé les écritures de Denis Kelly et de Jean-Luc Lagarce où l’action est aussi dans la parole. Nous sommes au coeur d’une tragédie, racontée au plateau, les actions se passent en dehors... Je suis profondément attaché à ce type de théâtre, un théâtre du verbe, formel et très rythmique, une langue rigoureuse et précise.

Concernant les images, qu’allons-nous voir au plateau ? Comment l’histoire sera-t-elle « projetée » sur scène ?
Avec Pierre Nouvel qui est scénographe et vidéaste, nous sommes partis de l’idée du camp représenté par un mirador. L’action se déroule à proximité de la mer, il y a du sable, des roseaux, une sorte de lande que nous avons voulu hors de toute époque précise. Même si l’ancrage dans le monde grec se pose indéniablement, j’ai cherché à travailler un univers qui ne soit pas identifiable historiquement. Il ne s’agit donc pas non plus d’être dans dans une réalité contemporaine. C’est une idée que l’on retrouve dans l’adaptation du roman de science-fiction, La Servante écarlate de Margaret Atwood : ce qui se passe est peut-être arrivé, il y a cent ans, mille ans, ou demain. Une chose est certaine, c’est qu’aujourd’hui est déjà passé, dépassé, face à la violence de l’événement. Ce qui est intéressant dans le récit d’anticipation, c’est que l’on reconnaît les choses tout en les percevant comme confusément mêlées entre elles ; des vestiges, des époques rassemblées. Le texte de Racine nous permet un traitement similaire. Le mirador représente l’entrée du camp, le lieu depuis lequel on scrute la mer, où l’on attend que le vent se lève. Il est construit avec des échafaudages et du bois et des matières plus « modernes », qui peuvent servir de support à un travail de vidéo. Comme la lumière, la vidéo permet de transformer un lieu unique, de créer en son sein plusieurs espaces sans bouleverser l’architecture de l’ensemble. Nous sommes à tous les niveaux, y compris les costumes, contraints entre le passé et le présent.

Estimeriez-vous que ce travail a été très différent de vos autres mises en scène ? Aborder Racine peut-il être une continuité dans un parcours jusqu’à présent tourné vers le contemporain ?
Je pense qu’il s’agit d’une continuité. Lorsque j’aborde Kelly ou Lagarce, je fais face à des tragédies modernes. Il ne s’y passe pas grand-chose, tout du moins pas de prime abord. Car l’enjeu réside justement dans le fait que l’action se trouve dans la parole, il faut alors tendre l’oreille et plonger dans les mots, dans le sens des phrases. J’aime les textes à plusieurs entrées, avec plusieurs niveaux de lecture. Je suis avant tout curieuse de comprendre ce qui m’échappe et plus la complexité est grande, plus j’ai envie de travailler un texte. C’est la contrainte de l’écriture qui devient stimulante et qui ensuite, initie le jeu. Je crois qu’il y a dans mon travail un rapport intuitif au texte avec une traversée thématique. Plus je déroule le fil, plus je comprends pourquoi il y avait nécessité à le mettre en scène. Tout en me concentrant sur le détail de la langue, j’ai un rapport très intuitif au texte. Et s’il y avait une nécessité pour moi à mettre en scène aujourd’hui Iphigénie, c’est certainement parce que, au-delà de la beauté de la langue et de l’écriture, j’y trouve des résonances puissantes avec notre temps présent, notre réalité. Dans le cheminement de la mise en scène, je m’aperçois que je m’intéresse de plus en plus à Agamemnon et à son dilemme, aux doutes de ce père-roi.

Propos recueillis par Marion Guilloux pour le Festival d’Avignon en mars 2018.

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Spectacle terminé depuis le vendredi 12 avril 2019

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