Médée, poème enragé

Bobigny (93)
du 3 au 23 mars 2014
1h20

Médée, poème enragé

Auteur, acteur et metteur en scène de cet oratorio, où paroles et musiques s'accompagnent et dialoguent, Jean-René Lemoine s'expose en racontant le voyage épique de cette héroïne mythique qui traverse les chemins de l'exil, toujours douloureux et destructeurs, quelles qu’en soient les raisons ou les époques.

Le mythe
La presse en parle
Un opéra en trois mouvements
Note d'intention
Entretien avec Jean-René Lemoine
Extraits

  • Le mythe

Dans la mythologie grecque, Médée est une magicienne, l’un des principaux personnages du cycle des Argonautes. Alors que toutes les traditions la font naître en Orient, toujours elle a été l’Étrangère, l’Autre, la Barbare, avec toutes les connotations que cela implique pour un Grec : différence, sorcellerie maléfique, cruauté, violence. La racine de son nom provient de médomai qui signifie en grec « comprendre », « concevoir ».

Quand les Argonautes débarquent en Colchide, pour conquérir la Toison d’or, ils se heurtent à l’hostilité du roi Aiétès, gardien du trésor. Cependant ils reçoivent l’appui de Médée, la fille du roi, qui est éprise de Jason. Experte en magie, elle donne à son amant un onguent dont il doit s’enduire le corps pour se protéger des flammes du dragon qui veille sur la Toison d’or. Elle lui offre également une pierre à jeter au milieu des hommes armés pour qu’il puisse s’emparer de la Toison.

Pour remercier Médée, Jason lui propose de l’épouser et de fuir avec lui. Afin d’empêcher Aiétès de les poursuivre, elle tue et dépèce son frère Apsyrte, dont elle sème les membres sanglants sur sa route. Arrivés à Iolcos en Thessalie, elle incite les filles de Pélias, sous prétexte de le rajeunir, à tuer leur père, le découper en morceaux et le jeter dans un chaudron d’eau bouillante. Aussitôt chassés par Acaste, le fils de Pélias, les deux époux se réfugient à Corinthe, où Médée donne le jour à deux fils, Phérès et Merméros. Après quelques années de bonheur, Jason abandonne Médée pour la fille de Créon, roi de Corinthe. Répudiée et bafouée, Médée se venge en offrant à Créuse une tunique qui brûle le corps de la jeune femme et incendie le palais. Rentrée chez elle, Médée égorge ses propres enfants. Après ces crimes, elle s’enfuit retrouver son père en Colchide.

  • La presse en parle

« Médée la barbare, la réprouvée, la sacrilège, parle par sa bouche, par son corps, et c'est un sacré moment de théâtre qui se passe à la MC93 de Bobigny (Seine-Saint-Denis). » Fabienne Darge, Le Monde, le 14 mars 2014

  • Un opéra en trois mouvements

Médée, poème enragé est un opéra (parlé) pour un récitant accompagné d’un musicien. Médée est ici la femme amoureuse, l’infanticide, mais surtout l’étrangère. Cette réécriture du Mythe, en trois mouvements, s’articule autour de la pulsion. Tout est vécu comme un rêve.

Le premier mouvement est celui de la passion sans bornes, sans frontières, sans morale. C’est la conscience absolue du « destin amoureux » qui habite le personnage de Médée, mais aussi le désir fou d’échapper au carcan asphyxiant de la structure familiale. Jason est pour Médée l’instrument du meurtre du père, le territoire de la fuite, la figure de l’enlèvement.

Le deuxième mouvement raconte le désenchantement et l’errance. Le couple Jason / Médée ne trouve de refuge dans aucun pays, sur aucune terre. Médée est tout à la fois comblée, riche, oisive, mais reléguée à la place de l’étrange, de l’exotisme, prisonnière du fantasme immuable de l’Occident. Puis Jason l’abandonne pour épouser Créuse, la jeune fille du prince grec Créon. Le meurtre des enfants est alors la seule issue pour « tuer » Jason (les crimes n’étant ici que la forme inversée de l’amour) et pour s’opposer à un statut (celui de concubine) qu’elle refuse car elle le juge indigne. Le troisième mouvement est celui du retour au pays natal. Médée découvre qu’elle est maintenant « l’étrangère » dans son propre pays. Elle retrouve son père mourant et accompagne son agonie. Elle attend un signe de ce père, un geste d’amour et de réconciliation avant le grand départ, mais ce geste ne viendra pas. Le père meurt dans la vengeance du silence.

Dans cet « autoportrait en Médée », il s’agit de faire vivre et d’entrelacer les cultures, le passé et présent, pour essayer de créer un chant, une mythologie contemporaine avec ses pulsations et son lyrisme. Médée concentre en elle toutes les héroïnes tragiques. Elle est celle qui agit, qui décide, qui transgresse. Elle refuse la fonction de l’attente (la sédentarité), dévolue la plupart du temps aux femmes dans la mythologie, elle s’impose comme « Héros », faisant ainsi de Jason une figure féminine.

Le mythe permet de nommer l’innommable, l’inacceptable, il peut raconter l’horreur, dire l’interdit car il contient dans sa puissance poétique sa propre rédemption. Il s’agit donc à travers la fable, de tenter de raconter l’intime, l’indicible du lien amoureux, du lien filial, l’insatiable et tragique quête de l’amour, la solitude face au monde et à la société.

Jean-René Lemoine

  • Note d'intention
  • Se glisser dans Médée - l’infanticide amoureuse - comme dans un rêve musical pour raconter l’exil : intérieur, géographique.

    Faire d’elle une étrangère à son pays, fuyant l’asphyxie familiale dans la fusion charnelle avec le frère, puis dans l’éblouissement physique de la rencontre avec Jason, le ravisseur, instrument du meurtre du père.

    Dire la béance du voyage, le fantasme de désintégration ; puis d’intégration au nouveau Monde.

    Raconter l’amour sans bornes, sans morale, rédempteur, mortifère, désespéré. Raconter le désenchantement, l’abandon, la solitude, le lieu commun, inhumain de l’exotisme ; le refus de se soumettre à l’injonction de la place assignée, à la fatalité de la trahison. Raconter le soulèvement et les meurtres (qui ne sont ici que la forme inversée de la passion).

    Ramener Médée, vidée de son amour, orpheline de ses enfants, à la terre originelle où, étrangère à perpétuité, elle rejoint l’ombre des parents.

    Jean-René Lemoine

    • Entretien avec Jean-René Lemoine

    Parmi tous les personnages mythiques qui ont traversé l’histoire du théâtre, pourquoi avez-vous choisi Médée comme héroïne de votre nouvelle oeuvre dramatique ?
    Médée est un personnage qui me hante depuis très longtemps. J’avais été très impressionné par Médée-Matériau de Heiner Müller mis en scène par Anatoli Vassiliev et incarné par Valérie Dréville. La violence de la proposition est restée longtemps imprimée dans mon souvenir. Un jour, on se libère de ce qu’on a vu et on peut se mettre au travail. Ce « ni homme ni femme » dont parle Müller a sans doute été, avec aussi bien-sûr la pièce d’Euripide, un point de départ. Et puis, il y a le gouffre de l’exil, la question de l’étrange, de l’étranger, en l’occurrence ici l’étrangère : passer par la mythologie me permettait de convoquer le poétique pour dire la furieuse solitude du voyage, de la transplantation. Il y a dans le poétique une complexité, un paradoxe permanent, un feuillettage du sens qui permettent d’aller très loin dans le dire. Je voulais que cette Médée soit une hallucination, pas un réquisitoire, qu’elle convoque la psychanalyse et non la sociologie, qu’elle atteigne parfois le vacillement de l’intime mais aussi le politique. C’est cela que permettent le mythe et la tragédie antique.

    À travers Médée, c’est donc un peu de vous dont vous parlez ?
    Oui. Un écrivain se raconte toujours à travers son oeuvre, même la plus romanesque. Avec ce projet, je tente de faire une sorte d’autoportrait en Médée, comme le brosserait un peintre. Il ne s’agit pas d’auto-fiction. L’auto-fiction ne m’intéresse pas. Moi, je revendique le romanesque, et le travestissement dans tous les sens du terme. J’aime raconter des histoires, et si je parle aussi du quotidien, il faut qu’il soit transfiguré. Médée poème enragé raconte ce que je suis et parle des ambiguïtés, celles d’être façonné par des terres différentes, celles de la masculinité et de la féminité. J’ai envie d’introduire le trouble et de travailler sur le mystère. Comment raconter le tremblement d’un individu traversé par l’exil, qu’il soit physique, mental, familial ? En effet Médée, poème enragé parle aussi de cet affranchissement là, celui du lien toxique avec la famille.

    Médée est aussi un archétype de la femme amoureuse. Cet aspect vous a-t-il aussi intéressé ?
    La pathologie de l’amour fait sans doute partie de mes obsessions. L’aspect physique, sexuel, au-delà de toute convention, de toute morale me semble ici fondamental. Médée est littéralement aimantée par Jason. C’est Jason qui lui permet de s’arracher à la famille, à l’inceste (ici inventé) avec son frère Apsyrte. Et en même temps, Jason ne devient-il pas tout à coup, dans cette étreinte absolue, un père de substitution, un nouveau carcan, une nouvelle dépendance ? C’est donc bien de passion qu’il s’agit, de fièvre, de dépendance. Cette fureur du désir contient en elle, dès le premier instant le désastre qui va suivre. Cet amour, ce désir sont instrumentalisés par Jason (consciemment, ou inconsciemment, peu importe). Puis le temps, les circonstances, le pouvoir font leur oeuvre de destruction, l’amour de Jason s’étiole, Médée est exilée de cet amour, jusqu’au retournement opéré par les meurtres (des enfants et de Créuse). La victime reprend alors le pouvoir. Ce retournement me passionne, car, à ma connaissance, Médée est un des rares personnages mythologiques féminins qui ne soit pas dans l’attente du Héros. Elle est une amoureuse agissante, meurtrière de son frère, par amour de Jason. Meurtrière ensuite de ses enfants par amour pour Jason. Et donc meurtrière de Jason. Elle est en quête d’elle-même. Elle accomplit dans l’horreur, son propre voyage initiatique, sa propre rébellion. Cette dimension de la femme « Héros », qui conquiert et qui « se sauve » (elle n’est pas punie pour son acte), me fascine. C’est bien Médée (Ni homme ni femme) qui féminise Jason.

    Cette Médée parle d’hier, et même d’avant-hier, mais elle parle comme aujourd’hui. Comment se fait ce passage de l’antiquité à nos jours ?
    Je voulais faire « trésor » de cette histoire pour parler d’aujourd’hui. La mythologie raconte des fables qui contiennent un regard sur le monde, qui posent des questions, qui s’intéressent à la place de l’homme dans la société, même (et surtout) lorsqu’il la transgresse. Elle pose en permanence la question des limites. Revenir au poétique pour poser des questions sur la différence, sur le fantasme d’intégration, sur le lieu commun dans lequel l’Autre est si souvent emprisonné me semblait une urgence. Je souhaitais aussi évoquer ce tourbillon dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui. Médée, déshumanisée mais consciente, prête son corps à Jason, mais aussi à Créon et à d’autres. Cette instrumentalisation des corps est pour moi très contemporaine. Elle est en quelque sorte le dévoiement de la liberté sexuelle. La transformation de la liberté en libéralisme. Médée, l’enragée passe aussi par ce joug-là dans son désir d’acceptation. Elle est celle qui vient de loin, hors de la communauté, intégrée à son corps consentant ou défendant dans cet Eden qui fait d’elle une marchandise, qui la recolonise, entre autres, par le sexe.

    Pourquoi avez-vous eu le désir d’interpréter ce personnage que vous avez créé ?
    Comment naît le désir, pourquoi est-il là ? On ne peut pas toujours l’expliquer. En tout cas, l’idée de le jouer moi-même s’est imposée dès l’écriture. Ce qui ne veut pas dire que je n’aurais pas de plaisir à le voir jouer par un(e) autre interprète. Médée, poème enragé est un monologue polyphonique que je souhaitais traverser, à la première personne, en étant aussi loin que possible de la plainte ou revendication.

    Propos recueillis par Jean-François Perrier

    • Extraits

    « Étendue jour et nuit dans la caravelle, prête pour le voyage, intacte, glacée, archaïquement belle - mais au fond de mon coeur je ne suis plus qu’un flot de sang - rewind, rewind, please, Jason. J’ai repris le bâton, le sceptre, la mappemonde. Le dernier exil sera le retour à la terre natale que je croyais avoir pour toujours - oblitérée. Je reviens vers ceux que j’ai assassinés, mon frère, mon père et ma maman, pour coucher ma dépouille sur leurs corps disloqués et dans la pourriture me réconcilier avec eux. Dès que j’aurai posé le pied sur le rivage, mes salomés noires encore à la main, à peine débarquée de la caravelle au terme du sidérant voyage, le sel remplira mes fissures, l’âge s’abattra d’un coup sur mon visage, détruisant l’oeuvre du chirurgien, et je serai fanée, pourrie, délivrée du fardeau de plaire, et mes paupières fardées, à jamais cousues par les larmes, se refermeront pieusement. »

    « Jason, ne fais pas confiance à mon père ! Jason, ne fais pas confiance à mon père. Mon père tue tous les étrangers qui abordent son pays. Mon père tue tous les étrangers. Je sais ce qu’il t’a dit au cours de ces trois nuits. Que tu devras affronter les taureaux, puis le dragon, et si tu les terrasses, tu pourras équitablement emporter la toison d’or. Jason, les taureaux sont invincibles ! Et si tu les terrasses, mon père te tuera parce qu’il tue tous les étrangers. Écoute. Écoute-moi. Je t’offre tout, le sceptre, la mappemonde. Je te donnerai les onguents pour te protéger des brûlures des taureaux, je te rends invincible, j’endormirai le dragon par mes charmes, je ferai ouvrir le temple où l’on conserve la toison. Tout m’a été dicté pendant ces trois de nuits de sommeil, on ne peut pas se dérober à ce qui s’écrit dans les rêves. C’est ainsi. Ferme les yeux, Jason, fais-moi confiance, déshabille-toi que j’enduise ton corps de mes onguents, laisse-moi faire, laisse-moi prendre ta main, la guider vers le combat, je tiens le glaive, frappe, frappe, Jason, tranche, étrangle, décapite, tue ! Tu vois le sang qui coule de ma bouche ? N’aie pas peur, plonge le couteau, assassine, je suis la main qui guide, je suis ton ombre, mais jure-moi, Jason, jure-moi que dès que tu te seras emparé de cette toison d’or qui te redonnera le pouvoir et l’argent, tu me raviras loin d’ici et tu me prendras pour épouse, car tu as fait de moi l’apatride, l’impie, car je n’ai d’autre terre maintenant que ton corps, tu me le jures que tu m’aimeras jusqu’à la mort ! Jure-le. Jure-le !
    In golden letters
    Words, words, words
    Dans toute promesse, il y a déjà sa trahison. »

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    Spectacle terminé depuis le dimanche 23 mars 2014

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