Matériau Chimère

du 16 mars au 3 avril 2004

Matériau Chimère

Chimère et autres bestioles, texte carné, matière vivante, au centre duquel se trouve la figure humaine, divisée en deux sexes et dans laquelle se reflète une présence animale. Pure tragi-comédie, où le drame côtoie la farce.

Définitions
 Une histoire de notre temps
Notes de travail
Quelques éléments dramaturgiques
Intentions de scénographie
L'équipe

matériau n.m.
1. Substance, matière destinée à être mise en oeuvre.
2. Matière de base, ensemble d’informations utilisable pour une recherche.

Matière n.f.
Tout ce qui se touche et a corps et forme.

« On a laissé (encore) le théâtre se vider de ce qui, de tout temps, fut sa substance essentielle, son annonce, son devoir d’être : la parole d’aujourd’hui pour aujourd’hui ; le texte dramatique contemporain pour les hommes et les femmes qui vivent ici même ; le poème du monde fiché en son centre, majeur et dominant, tout aussi fracturé, tout aussi hésitant, rendant compte par toutes ses voix de ce qui s’empare du monde en cette fin de millénaire, à sa façon, sur ce petit carré qui, de tout temps, a délimité son action, non ses résonances. Cette scène pour le monde, pour ses mots et ses maux. »

Cadavres, si on veut
Didier-Georges Gabily

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Appelons cela matériau ou chantier, comme « avoir un ouvrage sur le chantier ». Y travailler, confronter les matériaux que sont le texte Chimère et autres bestioles de Didier-Georges Gabily, les comédiens, des marionnettes, des images et du son. Prendre ce texte à bras le corps. Matière vivante. Chimère et autres bestioles, texte carné, au centre duquel se trouve la figure humaine, divisée en deux sexes et dans laquelle se reflète une présence animale. Pure tragi-comédie, où le drame côtoie la farce, où, comme le dit Kantor : « la mort est tragique, et, en même temps, elle est du cirque, une danse macabre, une jonglerie ». Dire la vie et la mort en un espace extrêmement réduit, amener à ne plus regarder la mort et la vie comme antagonistes et tisser des liens entre la question amoureuse et la guerre.

J'allais oublier, c'est aussi l'histoire de ce séducteur impie et cruel, personnage légendaire d'origine espagnole, Don Juan, et de son serviteur Leporello (fils bâtard ?). Mais alors décati, le séducteur, marquis de Sade pourrissant, affrontant à travers la Chimère (une femme avec un corps de chèvre, une tête de lionne, un cul crachant le venin et le feu) trois générations d'Elvire. Tirer ce fil de la filiation, filiation naturelle, filiation du désir, filiation théâtrale.

Enfin, « on ne peut pas toujours raconter l'histoire de notre temps en utilisant les autres temps. Hitler n'est pas entièrement réductible à Richard III et la police de Louis XIV ne peut entièrement expliquer les tyrannies d'aujourd'hui. Il faut qu'une œuvre nouvelle de temps en temps parlant de tragédies réelles, grossisse la pelote de mémoire ». (Antoine Vitez)

Chimère et autres bestioles raconte une histoire de notre temps en utilisant les tragédies réelles de notre temps, tout en mettant en évidence leur caractère universel par les références à la mythologie.

Sandrine Lanno

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C’est sans doute vouloir dire que toujours le désir domine. Toujours. Rien de plus. Et que c’est toujours guerre à l’Autre. Toujours. Rien de plus. L’une des pièces (Dom Juan) est, dit-on, « une comédie » ; l’autre (Chimère - qui utilise les mêmes personnages principaux, les ci-devant Dom Juan et Sganarelle, ou des clowns assez semblables), « une féerie ». Je n’y vois, à cette heure (mais n’est-il pas trop tôt ?) que du désordre. Un désordre profitable, n’en doutons pas. C’est ce que je percevais du désordre du monde (le nôtre) qui me fit écrire Chimère - cette pochade avec deux idiots devisant (philosophant ?) sur la réalité du désir et pour ne pas mourir - revisitant à la lampe torche et au crayon gras Dom Juan et ses suites sadiennes.

Près de trois siècles plus tôt, un dénommé Molière, dans le désespoir de ne pouvoir monter le Tartuffe, tentait un dernier coup de gauchissement, une sorte de dérive moralisatrice et dell’arte à l’usage de ses principaux financiers (les nobles, la noblesse, le roi), revisitant, réinventant une pièce espagnole qui avait plu à tous, et qu’il nomma Dom Juan. On sait ce qu’il en advint : un mythe, après l’insuccès premier. Sans doute l’un des seuls mythes européens qui ait travaillé (qui nous travaille) autant que ceux que les Grecs s’inventèrent, s’édifièrent en leur temps. C’est que tout Dom Juan (la pièce, le personnage) est traversé par la haine du monde qui n’est pas Soi. Par tout ce qui revient au même. Chimère tenterait de dire que ça a beaucoup changé avec (ou malgré) tous les progrès faits dans l’art (la science ?) de la destruction du proche et du lointain ; le reste, l’Histoire, le reste, le rapport à l’autre, etc.

Rire, ici. C’est une comédie. Entre la terre qui s’ouvre pour engloutir le soi-disant pécheur dans Dom Juan et le repas anthropophage qui achève Chimère, ça a vraiment beaucoup changé, sûr. Dieu est définitivement mort (n’en doutons plus, quoi qu’ils veuillent nous faire accroire) et les hommes (membrés, de sexe masculin) ne savent plus se faire respecter - c’est ce qu’on voit dans Chimère : des femmes qui se vengent. Sauf en temps de guerre. Mais justement, c’est la guerre. Où se joue Dom Juan. Une queue de comète en dentelles et poudres, poudriers. Une vraie guerre, et cruelle et incertaine. Description des horreurs de. Où se joue Chimère. Une de nos modernes guerres avec tout le bataclan du progrès des armes à feu et à philosopher. Une autre vraie. Où des femmes, des séduites, se vengent de la négation d’être, se sachant l’Autre, absolu. C’est bien le moins. C’est avec ça qu’on va faire. Avec ça qu’on fera, d’abord.

Didier-Georges Gabily,
édition Actes Sud

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« On appellera ça une féerie, juste pour ce que ça laisse encore espérer... »
« Je ne suis pas de votre côté. De mon côté, j'ai l'impression que tout ça ne tient plus qu'à un fil. »
Chimère et autres bestioles
Didier-Georges Gabily

Dans Chimères et autres bestioles de Didier-Georges Gabily, tout parle d'un extrême pour mieux en dévoiler un autre : la mort pour révéler la naissance, le maître pour mieux s'intéresser au servant, l'apocalypse pour raconter la genèse. L'écriture même fonctionne sur ce mode. Alors que souvent l'éclairage et le sens viennent du texte joué, ici ce sont bien souvent les didascalies qui, telles un jeu d'ombres et de lumières, font apparaître ce qui n'est pas éclairé ; ce ne sont pas de simples indications mais des textes à part entière, fouillés, précis, véritablement écrits, parfois même lyriques, qui peuvent à eux seuls faire l'objet de scènes travaillées.

Après quelques semaines d'un chantier où les comédiens ont exploré le texte, il m'est apparu important de traiter et de mettre en scène ces didascalies. Celles-ci rendaient parfois compte plus que le texte de l'étrangeté et de la féerie chères à Didier-Georges Gabily, y compris dans le macabre. À partir de cette pièce inachevée, j'ai souhaité construire un matériau cohérent, où la vidéo, le son et la lumière donnent à voir et à entendre ces didascalies - colonne vertébrale du poème - pour former un ensemble tragi-comique.

Dans cette démarche, les marionnettes servent de support à la comédie et le travail de direction d'acteurs s'articule autour de deux axes :
- La dimension tragique que confèrent à l'histoire les références à la mythologie. Ainsi les trois femmes de cette pièce (la gamine, la femme et la vieille) ne sont en fait que les trois parties d'un même monstre mythologique : la chimère. Celle-ci passait pour invincible, lion par-devant, serpent par derrière et chèvre entre les deux. Mais à l'inverse de la mythologie où Bellérophon finit par tuer la chimère, ici ce sont les femmes qui, après avoir donné la vie, la retirent aux enfants mâles. « je dressai l'enfant, qui n'était pas de notre sexe et je dis : il faut donc que je te tue (et je ne savais pas encore pourquoi je disais cela). Je portais les mains à son cou. Et c'est ainsi que j'agis, et c'est ainsi que j'agissais, souvent, quand d'autres me remplissaient, et c'est ainsi que j'agirais encore, si je pouvais. »

Ces trois femmes rappellent également les trois Parques qui distribuaient aux hommes dès l'instant de leur naissance tout le bonheur et le malheur que la vie leur réserve : Clotho, la fileuse, dont la quenouille déroule le fil de la vie, Lachésis, dispensatrice du sort, qui assigne à chacun sa destinée et Atropos, l'inflexible, qui tranche sans pitié le fil de la vie. L'accent porte ici sur le lyrisme et la puissance des êtres surhumains et des actions imaginaires mises en scène, afin d'élargir et de dépasser le fond de réalité sur lequel il repose, pour explorer un univers plus fantastique.

- La dimension comique ensuite, la farce, qui vient brouiller les pistes, mélanger la réalité et la légende, mais aussi qui apportera l'espoir, dans l'esprit des versions très « farce » qu'offraient les comédiens italiens des aventures fantastiques du Dom Juan Tenorio à l'époque des représentations du Festin de Pierre.

Transversalement, ces trois histoires renvoient à trois types de mémoire.

- La mémoire collective, par l'histoire de la guerre sous-jacente.
- La mémoire individuelle, non seulement par l'histoire de ces deux hommes, le Maître interrogeant son servant/sa mémoire afin qu'il lui remémore un nom de femme (un seul suffirait à le maintenir en vie), mais aussi par celles des femmes qu'ils croisent.
- La mémoire de l'enfance, à travers les marionnettes et les références à la nativité.

Ces mémoires, fils de la vie, liens du passé et de l'avenir, tissent aussi l'ossature de cette mise en scène. Au-delà de cela, la mémoire est ce qui reste ou restera dans l'esprit des hommes et le fait de pouvoir se souvenir d'un nom, d'un visage, d'une voix, d'un être, fera qu'il continuera à vivre : « J'aurai pu te donner un nom. Justement. Mais donne-t-on un nom comme cela ?

Est-ce qu'on laisse un nom filer comme cela en n'importe quelles mains qui s'empresseront de le faire connaître et de le souiller, qui sait, d'agissement personnel ; le donnant, par exemple, à leur tour ».

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< chantier < matériaux de chantier, décor en chantier < scénographie signalétique < deux espaces aux frontières floues < de plus en plus flous < le dedans et le dehors < le dedans est délimité, espace cerné, fragile et menacé < frontière de parpaings fluorescents, pointillé approximatif balisant une zone de sécurité < lumière contenue, violente < le dedans et son mobilier (tapis, fauteuil, lustre) ont été blanchis, désinfectés, pour retarder sans cesse la prolifération du dehors < trois écrans forment le dehors, l’au-délà, la nuit ventée < lueurs, images, sombres, mouvantes, incertaines, organiques, qui naissent et meurent oniriques < images vidéos comme un décor en mouvement < mouvement imperceptible d’un même paysage qui traverse les saisons < le sol garde un aspect réaliste, suie noirâtre vestige de brûlis, sur laquelle le déplacement est devenu hasardeux < la vidéo et la lumière dans un élan diamétralement opposé plongent le lieu du drame (le dedans) dans la mort et le dehors s’éclaire enfin <

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Le quintette de comédiens a été choisi autour de l'idée de la filiation, de la lignée, trame sous-jacente à Chimère et autres bestioles. C'est pourquoi j'ai voulu un maître et un servant qui puissent faire penser à un père (Grégoire Œstermann) et à un fils (Damien Bigourdan). Les trois comédiennes (Mélanie Menu, Nathalie Savary et Claude Degliame), d'âges et de physiques différents sont pourtant dans la même lignée quant à leur univers, leur énergie sur un plateau et leur rapport à la langue.

Depuis Crimes fantômes... de Jean-Michel Rabeux, les fondations de ce que va être le travail de mise en scène se fait de concert avec Isabelle Mateu. Nous travaillons en binôme, en amont des répétitions. Au moment des répétitions, elle intervient en tant « qu'œil extérieur ». Elle ne suit pas de façon exhaustive les répétitions, mais elle est présente à chaque moment charnière de la construction du spectacle, sorte de trouble-fête au regard neuf et sans concessions.

De même, une collaboration étroite est en train de se tisser avec Xavier Hollebecq (lumière), Sacha Mitrofanoff (scénographie), Gabrielle Culand et Cécile Perraut (vidéo et son). Nous formons à nous six le noyau dur de L'Indicible Compagnie. Concernant les comédiens, j'établis avec certains, et c'est le cas pour Mélanie Menu et Nathalie Savary depuis Sept pièces en un acte et une foirade, une relation dans la durée.

Il ne s'agit pas d'une relation exclusive, chacun travaille à côté avec d'autres partenaires, ce qui permet d'une part d'enrichir notre travail en commun et d'autre part de faire de nouvelles rencontres (Claude Degliame, Damien Bigourdan, Grégoire Œstermann, Sandrine Paumelle, Stéphanie Coudert) qui viennent par la suite se greffer à ce noyau initial. Enfin, Joël Jouanneau fut le premier témoin de ce travail, le premier interlocuteur. L'envie qu'il partage (entre Oeil de Pie et Grand Foc) cette traversée est devenue réciproque et évidente, afin que je ne me perde pas trop en mer… mais juste ce qu'il faut.

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Théâtre de la Bastille

76, rue de la Roquette 75011 Paris

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  • Bus : Commandant Lamy à 2 m, Basfroi à 243 m, Charonne - Keller à 244 m, Voltaire - Léon Blum à 384 m
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Spectacle terminé depuis le samedi 3 avril 2004

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