
Un conte burlesque, mené tambours battants, qui nous entraîne dans les mécanismes du pouvoir.
À partir de 14 ans
La jeune metteuse en scène Clémence Coullon débute sa carrière en fanfare. Son talent, aussi bien que son approche du théâtre – de troupe et de tréteaux –, lui valut notamment d’être suivie par la caméra de Valérie Donzelli dans le film Rue du Conservatoire, où elle met en scène avec brio ses camarades du conservatoire de Paris dans une version de Hamlet qui renverse les codes et les conventions théâtrales.
Avec Le Roi, la Reine et le Bouffon, elle joue malicieusement avec les codes du conte, tout autant qu’avec ceux du drame (Shakespeare n’est pas très loin), mettant en scène un trio de figures sarcastiques, qui explore les rouages de la violence et de son renversement. Farce cruelle et stylisée, la pièce suit l’enfermement de trois personnages, forcés à l’isolement dans un triste royaume. Les conséquences fâcheuses de ce huis clos ne tarderont pas à se faire sentir… Une fable bouffonne qui s’avère aussi une formidable et perspicace anatomie de la domination !
J’ai vécu très tôt l’expérience de l’isolement, dans un internat pour jeunes filles où la discipline et les règles nous conformaient à une éducation très stricte voire militaire. C’est nourrie par cette expérience et par une furieuse envie de me libérer que j’entre dans l’écriture et la mise en scène.
Le théâtre arrive dans ce paysage comme une porte ouverte sur un autre monde, la possibilité de s’arracher au réel comme à ce qui nous y enferme. J’y trouve très vite un intérêt pour tout ce qui décale la réalité, la tord, la transforme, comme pour tout ce qui permet de questionner la monstruosité et l’absurdité du monde: le clown, le jeu masqué, le conte et le théâtre de l’absurde, la puissance d’arrachement du burlesque d’un Tati, d’un Chaplin ou d’un Beckett guident mes recherches dans l’écriture comme sur la scène.
C’est lors de la période de confinement que l’écriture du Roi, la Reine et le Bouffon débuta. J’ai souhaité aller loin dans la stylisation et l’expressionnisme. J’ai ainsi eu le désir de travailler la matière, notamment la toile et le fusain, pour créer un réel univers de conte à part entière. J’ai rencontré Muriel Navarro, artiste peintre, qui a consacré plusieurs de ses œuvres au travail du fusain, à la matérialité des corps formés et déformés par la violence. Elle a ainsi travaillé sur les toiles du décor et les costumes et a fait circuler le fusain de l’espace jusqu’aux corps. Pour la forme des costumes, je suis partie avec Lucie Duranteau sur l’idée de silhouettes très découpées, presque taillées au couteau, pour le roi et la reine de façon à faire ressortir le corps étranger du bouffon.
Dans le sillage des recherches d’un Adolphe Appia et après lui d’un Richard Peduzzi, le décor ici est pensé comme un personnage. La lumière, l’espace, les machineries excessives et macabres participent par leur excès comme par leur abstraction. Écrit pour échapper aux personnages, l’espace se construit avec différents plans et différents niveaux, comme une arène où se déroulent sans pitié les farces douloureuses de notre trio, jusqu’à éprouver la sensation du panoptique de Bentham, un espace carcéral où rien n’échappe à celui qui le surveille, en l’occurrence ici, la conteuse et le spectateur. Dans ce lieu, la reine et son bouffon se donnent en spectacle, questionnant ainsi la violence à l’œuvre sur le plateau comme dans le regard.
Clémence Coullon
Allée de la Ferme, Noisiel 77448 Marne-la-Vallée