Le Diptyque du rat

du 30 septembre au 23 octobre 2010
3 heures environ

Le Diptyque du rat

Un diptyque. Une composition en deux tableaux à la fois sombres et hauts en couleur, réjouissants et effrayants. Deux oeuvres contemporaines l’une de l’autre. Deux décors alambics où le romancier Hrabal et le dramaturge Copi – et les deux « rats » dont ils ont fait leurs porte-parole – transforment en or pur le plomb du quotidien.

Le Rat et le labyrinthe
Une composition en deux tableaux

  • Une composition en deux tableaux

 " Bohumil Hrabal et Copi ont tous les deux vécu la dictature et sa censure ; ils se sont alors plongés dans leurs lointains intérieurs d’écrivains pour ouvrir une porte, un espoir. Leurs écrits sont un formidable matériau théâtral, une parole, une proposition de jeu pour continuer aujourd’hui à résister par le plaisir contre les machines à broyer l’humain. "  L.F.

Un diptyque. Une composition en deux tableaux à la fois sombres et hauts en couleur, réjouissants et effrayants. Une adaptation du roman du grand écrivain tchécoslovaque Bohumil Hrabal. Une pièce de l’argentin Copi. Deux oeuvres contemporaines l’une de l’autre. Deux décors alambics où Hrabal et Copi – et les deux « rats » dont ils ont fait leurs porte-parole – transforment en or pur le plomb du quotidien.

Nous commencerons par la cave, située dans les entrailles de Prague. Cave d’où s’élève la voix de Hanta, presseur de vieux papiers, qui racontera sa vie, et trente-cinq années passées à actionner la machine dont il a la charge. Voix prégnante de mille autres voix : celles des amours passées, des amis disparus, mais surtout des poètes morts dont les vers, comme échappés des livres, trouent tels des feux follets l’obscurité de la cave… Après le sous-sol, nous partons en pays inca, explorer la Pyramide que se partagent une reine aveugle, une princesse prête à dévorer sa propre mère, un jésuite malade d’amour – ultimes vestiges d’une civilisation perdue, dont un rat millionnaire vient perturber l’équilibre précaire…

Ces deux oeuvres agissent en résonnance l’une avec l’autre. Le pays d’origine des auteurs y est sans doute pour quelque chose. La Tchécoslovaquie communiste d’une part, où l’oeuvre de Hrabal fut souvent censurée. L’Argentine pour Copi l’exilé – laquelle est sur le point, en 1975, de basculer dans la dictature militaire. Tous deux répondent – ou résistent – à l’oppression ou à la simple monotonie de l’existence, au moyen d’une imagination débridée. Opérant, en auteurs alchimistes, d’extraordinaires métamorphoses du réel.

D'après Une trop bruyante solitude de Bohumil Hrabal & La Pyramide de Copi, adaptation et mise en scène Laurent Fréchuret.

Une trop bruyante solitude avec Thierry Gibault
La Pyramide avec Philippe Baronnet, Elya Birman, Elizabeth Macocco, Nine de Montal, Rémi Rauzier

  • Le Rat et le labyrinthe

Un célèbre quotidien l’annonce cette semaine : le rat ne cesse de grignoter du terrain dans la Capitale. On y compterait quatre à dix rongeurs par habitant selon les quartiers ; l’Elysée serait touché, Neuilly-sur-Seine menacée… Peut-être la nouvelle ne déplairait-elle pas à Copi, qui en fit l’animal emblématique de son oeuvre – et qui, dans l’un de ses romans, fit gouverner Paris par la Reine des Rats. Que les phobiques soient rassurés… à la vue de nos rats, ils n’éprouveront ni angoisse ni répulsion. À échelle humaine et doués de parole, ils sont dépourvus de ce que l’on craint le plus chez les représentants de l’espèce : à savoir le nombre. Car, à l’inverse de leurs congénères, les nôtres sont d’un naturel solitaire.

Le premier, le presseur de vieux papiers Hanta – issu de l’esprit de Bohumil Hrabal –, n’est pas un rat à proprement parler. Mais c’est ainsi qu’il se ressent et se définit, après trente-cinq années passées au fond d’une cave, à cuver des hectolitres de bière et d’innombrables phrases de poètes et
philosophes glanées au hasard de vieux ouvrages – avant que Hanta ne les envoie rejoindre les autres papiers sous la presse, afin de constituer d’éphémères oeuvres d’art. Le second, celui qui hante la pyramide de Copi, est un gentlerat des plus distingués, un rat Argentin, un rat milliardaire, un rat qui roule en Cadillac et sait déchiffrer les hiéroglyphes sacrés. Bref, davantage rats de bibliothèque que vulgaires rats d’égout, ces deux-là sont la crème du rat, le nec plus ultra. Ils seront, pendant cette existence à la fois limitée et re-jouable à l’infini qui se condense dans le temps de la représentation, indissociables de leur habitacle. Deux antres. Une cave pour le premier. Cave traversée par les voix des poètes morts ; par l’évocation des personnages flamboyants, grotesques ou tragiques qui ont émaillé son existence passée ; par les rumeurs de la guerre fratricide que se livrent les rats dans les entrailles de Prague…

Une pyramide inca pour le second. Pyramide habitée par une reine aveugle, une princesse affamée, un jésuite malade d’amour… Deux espaces circonscrits en apparence, comme coupés du monde et du temps. Et pourtant… L’antre de nos rats, tout aussi limité qu’il paraisse, donne sur de drôles de mondes, où les contraires s’embrassent, où les ténèbres se trouent de lueurs éblouissantes, où la solitude grouille de présences improbables – génies littéraires morts, reines et princesses sorties d’un passé mythique. Qui dit rats dit galeries. Et nombreuses seront les galeries qui relient la cave praguoise à la pyramide inca.

Dans ces deux « miniatures » ou microcosmes que sont le court roman de Hrabal et la pièce de Copi cohabitent, dans un va-et-vient permanent semblable au mouvement de la presse à broyer, le sublime et le trivial, la terreur et le comique le plus énorme… On y assiste à la fin d’un monde, depuis un antre qui, paradoxalement, se révèlera un incomparable poste d’observation : Hanta verra sa presse mécanique supplantée par une gigantesque presse hydraulique actionnée par des jeunes gens qui broient sans état d’âme la parole des poètes. Les habitants de la Pyramide verront l’or noir succéder à l’or des Incas, et n’y survivront pas (rat excepté). Une question semble s’élever, à la fin du monologue de Hanta, et dans la pyramide presque déserte : que reste-t-il, quand le vieux monde a sombré, quand toute magie l’a quitté ? Une réponse semble s’amorcer : quand il ne reste rien, demeurent les voix… Et la possibilité à l’homme – ou au rat – de tout réinventer à sa guise dans l’espace, quel qu’il soit, où il est libre de le faire : cave, pyramide ou théâtre…

Une trop bruyante solitude, La Pyramide : deux portes ouvrant sur deux univers foisonnants. Deux portes d’accès à deux oeuvres labyrinthiques. Car chez Hrabal comme chez Copi, expressions et images, en transitant d’un roman à l’autre ou d’une pièce à l’autre, annulent la notion de chronologie au profit d’un dessin infiniment chaotique et cohérent. Recyclées au fil de l’oeuvre en d’infinies combinaisons, elles dessinent un dédale aux galeries enchevêtrées, où réalité et fantasmagorie se mêlent,ivrant une autobiographie souterraine de leurs auteurs. Dédale où bien malin qui saurait distinguer le vrai du faux, le dedans du dehors, le passé du présent, le labyrinthe du monde réel… Tant les mots qui le composent ont, telle une armée de rats industrieux, fait perdre de terrain à une réalité parfois oppressante – en opposant à l’assujettissement des individus ou à la simple monotonie de l’existence une folie jubilatoire et contagieuse.

Dorothée Zumstein

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Spectacle terminé depuis le samedi 23 octobre 2010

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