Un jour en été

du 6 mars au 13 avril 2002

Un jour en été

"Je crois bien n’avoir jamais lu un texte de théâtre, qui sut nous parler si simplement, violence et tendresse mêlées, du suicide - cette maladie, cette mélodie de la mort -, et qui sut nous parler aussi des couples et de l’amour, de la douceur de l’attente, même quand elle n’est plus qu

Présentation  
Un mot de Jacques Lassale
Moi même, en écrivain de théâtre (extraits)

Une brillante obscurité
Je sentais que l’obscurité vide brillait 
Doucement
Sans rien signifier
Sans rien vouloir dire
L’obscurité brillait de l’intérieur de moi.

Jon Fosse
Un jour en été

Un homme à la mer, une femme sur le rivage, tous deux perdus. Lui dans les flots, volontairement ; elle dans les souvenirs, pour toujours inconsolable. Longtemps après, elle raconte, et c’est ainsi que commence Un jour en été (...) La suite se joue en alternant présent et passé, procédé classique du flash-back. La femme a donc les traits de Marie-Paule Trystam (la narratrice) et de Marianne Basler (la même en plus jeune). L’homme, le seul à qui l’auteur norvégien ait donné un nom (Asle), est campé par Jean-Damien Barbin, tandis que Philippe Lardaud et Johanna Nizard forment un couple d’amis de passage dans la maison. 

Avec une lente et minutieuse précision, Jon Fosse met en place les personnages, sans jamais donner explicitement les raisons de ce choix terrible, de cet abandon soudain, de cet impossible oubli. Les faits d’abord, les effets ensuite. Un jour en automne, l’homme s’en est donc allé avec sa barque au milieu du fjord ; un jour en été, beaucoup plus tard, mais comme si c’était hier, et comme elle n’a cessé de le faire, la femme revit leurs derniers échanges, leur ultime adieu, ce trouble fulgurant et indicible qui l’avait alors envahi, à cet instatnt précis du départ. Sur scène, comme dans la vie, elle est là, dans le salon, rivée à la fenêtre, elle guette la mer, espérant son retour, malgré tout, contre vents et marées, roulis éternel de la mémoire blessée.

Il importe, dans la salle, de savoir que tout avance ici non pas au ralenti, mais calmement, de manière lancinante, comme un brise-glace dans la banquise, la déchirant mètre après mètre, ne s’arrêtant jamais, craignant d’être à son tour immobilisé. Et de même va désormais cette femme, toujours là dans cette maison, qui s’en va obstinément vers la même fenêtre, cherchant à l’horizon l’improbable lumière qui ferait définitivement briller l’obscurité de son coeur. Au bout du compte, c’est aussi mélancolique que la musique de Thelonius Monk qui rythme le spectacle (...)
La maîtrise de l’ensemble fascine. Dans ce magnifique décor de Géraldine Allier, immense pièce tout en oblique, quasi vide (un canapé, une table, une lampe et quelques photos regroupées au milieu d’une paroi), les comédiens déploient un art aiguisé de l’ellipse, de la scansion, avec pour matériau de base leur seule présence, si dense.

24 heures (janvier 2001)

Haut de page

Asle, il s’appelle Asle. Il est le seul auquel l’auteur ait donné un nom dans la pièce. Ce jour-là, un jour d’automne, clair et pluvieux, il a décidé de mourir. Il en a pris les mesures, rangé soigneusement ses affaires et ses vêtements sur les étagères de la chambre, dans la belle et vieille maison, achetée il y a quelque temps au bord du fjord. Il a mis de l’ordre dans la remise à bateaux, et fait le plein du moteur, sur la petite barque en bois, qui tout à l’heure, une fois de plus, le mènera au milieu du fjord, là où la mer est la plus profonde. Il a même attendu la visite d’une amie, dont peut-être, naguère, avant lui, le mari a aimé sa propre femme, pour justifier son absence et disposer, en toute tranquillité de son après-midi. Mais maintenant, il doit parler à sa femme. Comme elle n’a pas de nom dans la pièce, pour faciliter le travail, nous l’appelons Gertrude, du nom de l’héroïne de l’admirable film de Dreyer. De la même façon, nous appelons son amie, Harriet, parce que l’interprète, Johanna Nizard, me fait un peu penser à Harriet Anderson, une des compagnes et comédiennes préférées d’Ingmar Bergman. Et donc, maintenant, Asle (Jean-Damien Barbin) a rejoint sa femme (Marianne Basler). Il est venu lui dire adieu, mais elle ne le sait pas et il ne peut pas le lui apprendre. Comment lui parler sans tout lui avouer, comment face à elle, la tant aimée, choisir encore de mourir ? Il est là et c’est déjà sa veuve qu’il a devant lui, et il voudrait l’embrasser, lui demander pardon, et pleurer et rire avec elle sur la folle idée qui s’est emparée de lui et à laquelle, oui, maintenant, c’est sûr, il renonce. Mais il ne dit rien et finit par s’en aller sur le fjord. “Tu seras long ?” lui demande-t-elle. “Non, pas très long”. C’est tout ce qu’il peut répondre. Et elle, ne sachant rien, devinant tout, le laisse aller, condamnée déjà à l’éternelle attente de son impossible retour.

Bien des années plus tard, elle est toujours là, debout devant la fenêtre, comme ce jour d’automne où pour la dernière fois, elle l’a vu descendre le sentier qui mène à la mer. Elle est devenue une vieille dame élégante et sereine (Marie-Paule Trystam). Mais elle demeure à jamais Gertrude, la jeune veuve, qui n’a pas renoncé à attendre le retour de son Asle. «Ne sois pas trop long» lui murmure-t-elle encore. Autour d’elle, rien n’a changé. Elle n’a touché à rien dans la maison, ni au livre près du canapé, ni aux sous-verre éclairés par la lampe sur la table basse. C’est une belle journée d’été aujourd’hui. Son amie Harriet est venue lui rendre visite. Cela lui arrive quelquefois. Comme d’habitude, son mari (Philippe Lardaud) l’attendra dehors. Il n’a jamais voulu revoir Gertrude.

Voilà toute l’histoire. Et je crois bien n’avoir jamais lu un texte de théâtre, qui sut nous parler si simplement, violence et tendresse mêlées, du suicide - cette maladie, cette mélodie de la mort -, et qui sut nous parler aussi des couples et de l’amour, de la douceur de l’attente, même quand elle n’est plus qu’une habitude, même si jamais plus en ce monde Pénélope ne devait revoir Ulysse.

Jacques Lassalle

Haut de page

Quand j’écris une pièce je réduis, et je concentre, et cette concentration réductrice rend possible l’explosion soudaine d’une sorte d’intense sagesse indicible, qui est aussi bien triste que drôle. Pour moi le drame authentique se trouve ici, pas dans l’action en soi, le drame se trouve dans l’énorme tension et l’intensité entre les gens qui sont éloignés les uns des autres et qui au même moment sont profondément ensemble, pas seulement socialement, mais aussi dans leur entente partagée. Ces moments, cette présence incroyable, est à un tout petit degré, si du moins elle l’est un peu, connectée aux thèmes centraux de l’époque, ceux dont on parle dans les médias. Le bon théâtre peut exister presque à partir de n’importe quoi ; l’important n’est pas de quoi tout cela traite, mais comment cela se traite ; c’est une question de sensibilité, de musicalité et de pensée, pas une discussion sur des problèmes actuels. Et je pense que c’est une des raisons pour lesquelles les classiques tiennent une position aussi forte dans le théâtre, une position plus forte que celle par exemple qu’ont les classiques dans le monde du roman. Mais alors pourquoi écrire pour le théâtre ? Peut-être parce que chaque époque produit un nouveau genre, ou une nouvelle variante dominante, de sensibilité, un nouveau genre de musicalité et de pensée. Une pièce contemporaine, une bonne pièce, doit d’une certaine manière montrer une sensibilité, une musicalité et une pensée jamais vues auparavant, elle doit apporter au monde quelque chose qui d’une manière étrange était déjà là mais qu’on n’avait jamais vu, en d’autres termes, un bon ou une bonne écrivain de théâtre doit avoir sa propre voix personnelle, comme on dit couramment.

L’art, comprenant le théâtre et l’écriture théâtrale (si c’est un art et pas seulement du divertissement ou de l’éducation ou de la discussion politique) doit par conséquent dire ce qu’il a à dire surtout dans sa forme ; et je veux dire forme dans un sens très large, ce qui est plus comme une attitude que comme un concept.

Ce qui est contenu pour les autres est forme pour l’artiste, comme disait Nietzsche. En disant cela je parle presque comme si j’étais un homme de théorie, ce que je ne suis pas. Je suis un homme pratique, un écrivain pratique. Et c’est une autre raison qui explique pourquoi j’aime tant écrire pour le théâtre. Le théâtre est très concret, vous ne pouvez pas tricher, en tant qu’écrivain, vous devez donner la vraie matière, vous ne pouvez pas vous cacher derrière une abstraction ou l’autre, idéologique, politique ou quelle qu’elle soit. Et en homme de la plus grande abstraction, Friedrich Hegel écrivit une fois : “Die Wahrheit is immer konkret” (La vérité est toujours concrète). Autrement dit, le théâtre est la plus humaine, et pour moi la plus intense de toutes les formes d’art.

Jon Fosse
© Les Solitaires Intempestifs

Haut de page

Vous avez vu ce spectacle ? Quel est votre avis ?

Note

Excellent

Très bon

Bon

Pas mal

Peut mieux faire

Ce champ est obligatoire
Ce champ est obligatoire

Vous pouvez consulter notre politique de modération

Informations pratiques - Théâtre de la Bastille

Théâtre de la Bastille

76, rue de la Roquette 75011 Paris

Accès handicapé (sous conditions) Bar Bastille Salle climatisée
  • Métro : Bréguet-Sabin à 377 m (5), Voltaire à 391 m (9)
  • Bus : Commandant Lamy à 1 m, Basfroi à 237 m, Charonne - Keller à 244 m, Voltaire - Léon Blum à 383 m
Calcul d'itinéraires avec Apple Plan et Google Maps

Plan d’accès - Théâtre de la Bastille

Théâtre de la Bastille
76, rue de la Roquette 75011 Paris
Spectacle terminé depuis le samedi 13 avril 2002
Revendeur 100% officiel
Partenaire officiel des salles de spectacles depuis 26 ans.
Meilleures places garanties
Les meilleures places disponibles vous sont systématiquement attribuées.
Service client réactif
Conseils personnalisés et assistance par mail et par téléphone.

Pourraient aussi vous intéresser

Partenaire
- 39%
Des ombres et des armes

Manufacture des Abbesses

- 20%
Les Justes

Théâtre de Poche-Montparnasse

- 40%
Le gros qui fume comme une cheminée en hiver

Théâtre des Béliers Parisiens

- 57%
Au non du père

Théâtre de Belleville

- 25%
Du charbon dans les veines

Théâtre du Palais Royal

Spectacle terminé depuis le samedi 13 avril 2002