Ruy Blas

Marseille (13)
du 29 janvier au 2 février 2008

Ruy Blas

CLASSIQUE Terminé

 " Il y a un courant irrésistible, juvénile, tonique, simple et évident dans cette œuvre. On est transporté par l'intrigue, ému par une merveilleuse histoire d'amour. On a envie de monter des barricades et prendre des Bastilles lorsque Ruy Blas, jusque là philosophe, rêveur inutile à lui-même et aux autres, figure romantique proche du Lorenzaccio de Musset, s'insurge. " 

L'intrigue
Le mot de Françoise Chatôt
L’oeuvre dans son contexte, le Romantisme
La pièce
Les personnages
La presse

  • L'intrigue

Nous sommes au XVIIe siècle, à la cour d’Espagne. Don Salluste de Bazan, disgracié par la reine Dona Maria de Neubourg, médite une vengeance. Son cousin Don César refusant de l’aider, Don Salluste prend des mesures pour son arrestation et lui substitue son laquais, Ruy Blas.

Déterminé à le manipuler pour en faire l'instrument de sa vengeance, il lui donne ordre de séduire la reine sous le nom de César. Mais Ruy Blas, amoureux de la reine, fait la conquête de celle-ci qui ne tarde pas à le nommer Premier ministre.

Ayant compris les véritables intentions de Don Salluste, Ruy Blas parviendra à faire échouer ses plans et à sauver l'honneur de la reine en sacrifiant sa vie.

Fresque historique, « Ruy Blas » peut être vu comme un tableau relativement fidèle de l'Espagne des années 1700 ; par une projection discrète mais constante, on peut y lire le portrait de la société de 1835. Au Romantisme, Hugo donnait un chef-d'oeuvre qui faisait pendant à « Lorenzaccio » paru deux ans plus tôt, deux drames qui appartiennent au répertoire de toutes les époques et qui séduisent tous les publics.

Raymond Pouilliart, introduction à son édition du Théâtre de Hugo, Flammarion 1979

  • Le mot de Françoise Chatôt

 " Le hasard et la nécessité " 

Il me semble avoir toujours connu Ruy Blas. À chacune des mes angines chroniques et souvent prétendues d'adolescente, je m'enfonçais dans mon lit et dans Hugo. C'était aussi excitant et facile que Dumas.

Puis il y eut les scènes de conservatoire connues par cœur et ces grands battements de cœur à chaque représentation de la pièce. C'est qu'il y a un courant irrésistible, juvénile, tonique, simple et évident dans cette œuvre. On est transporté par l'intrigue, ému par une merveilleuse histoire d'amour. On a envie de monter des barricades et prendre des Bastilles lorsque Ruy Blas, jusque là philosophe, rêveur inutile à lui-même et aux autres, figure romantique proche du Lorenzaccio de Musset, s'insurge.

Tout est là. Perfection de l'intrigue, langue à la fois maîtrisée et impétueuse dans ces vers libres débarrassés du carcan de l'alexandrin. Pièce aboutie et synthétique d'un Hugo mûri depuis la préface de Cromwell, ayant pris une conscience politique nouvelle, transfiguré par l'amour de l'actrice Juliette Drouet.

Donc histoire d'un amour sublime et d'une révolte politique violente, irrépressible. Des personnages à la fois truculents, grotesques et philosophes. Grand seigneur machiavélique et cynique. Ministres corrompus. Une police politique omniprésente. Un roi absent et impuissant. Un héros révolté, paradigme du plébéien devenant par amour figure révolutionnaire. Une intrigue de coups de théâtre qui ne s'embarrasse pas de vraisemblance. Drame romantique et baroque qui annonce Claudel.

J'ai donc toujours adoré Ruy Blas. Quant à le monter ?... Il y a le hasard et la nécessité, nécessité intérieure et du moment. Un monarque absent, des ministres qui s'entretuent de phrases assassines et pillent le pays pour assouvir leurs ambitions ...

 " Une partie de l'Espagne pille l'autre moitié " ...

Une dette ahurissante et les vers célèbres montent aux lèvres irrésistiblement :

 " Bon appétit messieurs, ô ministres intègres !
Conseillers vertueux ! Voilà votre façon
De servir, serviteurs qui pillez la maison ! " 

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  • L’oeuvre dans son contexte, le Romantisme

L’époque romantique extrêmement foisonnante, représentée par les personnalités extraordinaires que sont les amis mêmes de Hugo, Stendhal, Delacroix, Berlioz, Baudelaire, Balzac, Gautier, Dumas… m’a profondément nourrie et influencée.

Il y a peu d’époques, sinon au quattrocento peut-être, en Grèce au siècle de Périclès, où l’on trouve une telle effervescence à la fois politique, philosophique, artistique. On peut dire qu'il y a une révolution à tous égards. La Restauration, c'est aussi les débuts des chemins de fer, de l'industrie lourde, de la banque, de la bourse. Musset, dans « Les confessions d'un enfant du siècle », donne admirablement ce sens du désarroi, du désenchantement d’une génération. Tout a été fait cinquante ans plus tôt, la révolution, la conquête, l'Empire, tout est maintenant bloqué, fermé, dans un monde politique violemment réactionnaire, avec une police d’état fortement présente, une incapacité à rêver le monde autrement.

Ces hippies de l'époque, insolents, qui s'habillent de façon insensée, ont les cheveux longs, consomment de l'opium, on les trouve de façon évidente dans Musset, Balzac, Dumas, Hugo, bien sûr.

Ce sont les Rastignac, Rubempré, Lorenzo, Perdican… fortement semblables aux jeunes gens d’aujourd’hui, rêveurs sublimes et dérisoires dans un monde implacable où le rêve est proscrit. Les Rastignac s’en sortent, les autres sont broyés. Tout n’a-t-il pas déjà été rêvé ? Les utopies ne sont-elles pas mortes ? « Que faire ? » disait Lenine.

Françoise Chatôt

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  • La pièce

Ruy Blas est une pièce brillante, résolument avant-gardiste pour son époque, qui résume à elle seule toute l’esthétique du drame romantique. On a du mal aujourd’hui à imaginer l’ampleur du scandale provoqué par ses premières représentations en novembre 1838. En effet, la démarche hugolienne s’apparente à une vraie révolution : un vent de liberté souffle sur la scène du théâtre pour la première fois après un siècle et demi de classicisme guindé.

Tout dans la pièce, le choix d’impliquer un laquais et une reine dans une histoire d’amour, l’insolence rafraîchissante de certains personnages secondaires (Don César, Casilda), la brutalité fort peu chevaleresque du dénouement, l’intrusion dans l’univers de la tragédie d’éléments empruntés à la farce et au mélodrame, la dislocation de l’alexandrin « classique » qui commence à être malmené à des fins expressives, les ruptures incessantes de ton et de registre, la hardiesse des images verbales, l’érotisme sous-jacent qui donne une autre dimension à certaines répliques, tout converge pour suggérer au public qu’il n’y a pas d’interdits, que le théâtre peut - et doit - s’affranchir enfin des contraintes extrêmement rigides qui pesaient sur la dramaturgie racino-cornélienne.

Mais ce qui frappe surtout le spectateur, c’est l’allant juvénile incroyable des héros hugoliens, dont la passion semble capable de renverser des montagnes. En effet, tout comme Le Cid, Ruy blas est un hymne à la jeunesse et à toutes les vertus physiques, intellectuelles et morales dont elle est parée aux yeux de Hugo : on retiendra notamment la manière dont les « jeunes premiers » mis en avant dans la pièce (Ruy Blas, la reine, Casilda) défient sans cesse l’autorité, incarnée par des figures de vieillards grotesques, sèches et compassées (la Duchesse d’Albuquerque, Don Guritan).

Le clivage entre « vieux » et « jeunes » est très net dans Ruy Blas (il suffit d’observer le placement des personnages au début de l’acte II pour s’en convaincre), et apparaît comme une composante dramaturgique fondamentale, dans la mesure où il permet de représenter simultanément sur scène deux affrontements différents : affrontement générationnel entre classiques et romantiques, affrontement politique entre tenants de l’ordre social hérité de l’Ancien Régime et opposants à cet ordre.

Quoique situé en Espagne à la fin du XVIIe siècle, le drame hugolien se présente donc finalement comme une « trace » indirecte de son contexte historique, comme une réflexion sur les conflits de toutes sortes qui déchirent la société française de la Restauration : c’est paradoxalement cette dimension-là qui lui confère sa profonde actualité.

Ilias Yokaris (Maître de conférences en littérature française)

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  • Les personnages

Ruy Blas est l’anti-héros par excellence. Ce type de personnage m’a toujours fascinée : un jeune homme né pour la mort, supérieurement doué, comète éblouissante qui ne peut que mourir. C’est Louis Laine de L’Echange de Claudel, c’est Rimbaud aussi, c’est le Don Juan de Tirso de Molina, le Néron de Britannicus ou l’Orlando de Haendel.

Dans un monde qui ne lui offre pas de possibilités sociales d’exister, Ruy Blas va à la chute irrésistiblement. C’est l’apothéose du looser, du raté… Au tout début, il le dit lui-même, il rêve mais ne peut rien. Il philosophe sans avoir les capacités d’agir et n’a aucun espace pour mettre en application sa philosophie. C’est un rêveur qui finit « Dans la fainéantise et dans l'ignominie. » Cependant, Hugo parvient à faire de ce « raté » un personnage complètement bouleversant, fascinant… c’est grandiose !

Dans cette Espagne de la fin du XVIIe siècle comme dans la France de la Restauration, Ruy Blas ne peut exercer une fonction sociale et politique qui lui corresponde. Il n’agit pas, il est agi. Il aime la reine (l’objet inaccessible), mais ne peut rien sinon poser quelques fleurs et un billet d’amour. Par « le hasard » de la combinaison de Don Salluste, il devient Grand d’Espagne. Mais grâce à son talent intrinsèque, il se révèle grand politique et gagne l’estime de la reine après avoir gagné son amour. Il devient plus qu’un roi. Cet amour fondé sur une erreur (la reine aime quelqu’un qui n’est pas celui qu’elle croit) devient une réalité transcendante lors de l’apothéose de Ruy Blas à l’acte III.

La chute sera consommée lorsque Salluste, déguisé en laquais, lui rappellera son propre statut de laquais. Tout comme Sigismond dans La Vie est un Songe de Calderon, il passe de l’état d’esclave à celui de monarque tout puissant pour redevenir esclave : rêve, intronisation et dépossession, mort.

Don César est tout aussi central. Double ou frère grotesque de Ruy Blas, aristocrate déclassé. A l’acte I, il n’a plus d’identité. Lorsqu’il redevient Don César, survient la mort de Ruy Blas. L’existence de l’un est liée à la mort de l’autre et réciproquement.

 " Si l’image du mort-vivant s’attache au personnage de Don César dès son apparition, il est évident qu’elle ne prend son relief et sa fonction proprement dramatique qu’à partir du moment où, l’imposture de Ruy Blas l’ayant réellement chassé de l’existence, il revient comme un fantôme et revêt un aspect proprement vampirique. " Anne Ubersfeld in Le Roi et le Bouffon, éditions Revue, 2001

À noter que le personnage de Don César est un marginal, l’aristocratie intègre d’une cour en décomposition ne pouvant être que dans la marge

 " L’État désespéré du royaume pousse l’autre moitié de la noblesse, la meilleure et la mieux née, dans une autre voie. Elle s’en va chez elle, elle rentre dans ses palais, dans ses châteaux, dans ses seigneuries. Elle a horreur des affaires, elle n’y peut rien, la fin du monde approche ; qu’y faire et à quoi bon se désoler ? Il faut s’étourdir, fermer les yeux, vivre, boire, aimer, jouir. " Victor Hugo, Préface de Ruy Blas

Le grotesque chez Don César doit être souterrain ; il faut sentir chez lui une volonté de se détruire.

La Reine est une étrangère au sens strict du terme. C’est à peine si elle comprend l’espagnol : « Pas un livre allemand !, Tout en langue espagnole ! » (Acte II, scène 1). C’est une très jeune femme dont l’esprit est resté en Allemagne chez son père.

Engluée dans une étiquette rigide jusqu’à la rencontre avec Ruy Blas, elle vit dans le rêve, dans l’ailleurs, en dehors du monde ; elle se reconnaîtra en Ruy Blas, lui-même étranger à ce monde, venu d’ « ailleurs ». Cet amour la grandira. Elle deviendra par la transfiguration amoureuse une vraie reine.

Don Salluste est profondément diabolique, pervers. Ministre de l’intérieur tout puissant, chef de la police secrète, il tire des ficelles dans un royaume dont le roi est absent (à la chasse, dans l’Escurial). Il incarne une sexualité noire dans un monde d’impuissants, en opposition à l’amour sublime de Ruy Blas.

En disgrâce, n’étant plus « rien » (comme Ruy Blas au début de l’acte I), il peut tout en sous-main par sa puissance glacée, sa haine obstinée, sa vengeance que rien ne détourne. Plus il ourdira ses plans dans des épisodes improbables et hautement romanesques (rendre la reine amoureuse d’un laquais déguisé, envoyer Don César chez les Barbaresques…), plus il sera complètement crédible et totalement implacable.

Casilda est le lien entre une cour littéralement morte et le monde extérieur, elle incarne au deuxième acte l’élément dynamique face à l’inertie rêveuse de la reine, la jeunesse dans un monde de vieux (les duègnes et consorts, Don Guritan et évidemment le roi et Don Salluste de par
leur fonction).

Don Guritan, seul élément noble d’une cour en décomposition, est sauvé d’un ridicule achevé par son amour impuissant pour la reine. Grotesque et touchant, « vieux comte amoureux rêvant sur une patte », il ne peut pas agir positivement, même pour secourir la reine, empêché qu’il est par ses préjugés de classe. Paralysé, roidi par les ans et par l’étiquette, il finira d’une mort tragicomique, tué par erreur, tué par un autre que celui qu’il est venu tuer. L’erreur, toujours l’erreur dans Ruy Blas

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  • La presse

Ruy Blas à l’affiche du Gyptis de La Belle de Mai mérite le voyage (…) Acteurs chevronnés (…) Mise en scène sobre sans parti pris démonstratif mais avec quelques jolies astuces.Webthea, Le Journal des spectacles, Caroline Alexander

Si vous aimez le grand et beau théâtre, il y a de quoi vous régaler avec le Ruy Blas que propose le théâtre Gyptis. La réalisation est en tous points admirable. Radio Dialogue, Jacques Bonnadier

Ruy Blas n'a pas vieilli. Sur la scène du Gyptis, simplement tachée de sang, c'est bien le côté sombre de la pièce de Victor Hugo qui l'emporte.
Marseille L'Hebdo, Lionel Dian

Une performance de la compagnie Chatôt-Vouyoucas. Elégante et épurée, la mise en scène de Françoise Chatôt sert admirablement le vers hugolien. En Scènes, Sarah Vauzelle

Françoise Chatôt nous a concocté un spectacle de qualité où éclate avec force l'esthétique du drame romantique et la puissance du vers hugolien.
L'officiel des loisirs, Diane Vandermolina

Une scénographie, épurée et « blessée », qui sombre dans l’obscurité de ce classique éminemment contemporain. La Marseillaise, Elsa Mingot

Au Gyptis, un inoubliable Ruy Blas dans une superbe mise en scène de Françoise Chatôt, événement théâtral à Marseille à ne pas manquer. Hélène Bresciani, Les nouvelles publications

Ruy Blas juste et sensuel. Françoise Chatôt signe au Gyptis une mise en scène sensible. Une création réjouissante donc, malgré la noirceur ambiante. Olga Bibiloni, La Provence

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Informations pratiques

Gyptis Théâtre

136, rue Loubon 13003 Marseille

Spectacle terminé depuis le samedi 2 février 2008

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