Ma chambre froide

Joël Pommerat explore, dans une écriture textuelle et scénique qui lui est très personnelle, les problématiques conjointes de la bonté et de la prise de conscience. Reprise exceptionnelle du succès public et critique de la saison passée.

Molières 2011 des Compagnies et de l'Auteur francophone vivant.

« Je cherche simplement à donner à voir. » Joël Pommerat

  • Un spectacle à multiples entrées

Après quelques saisons retentissantes au Théâtre des Bouffes du Nord, c’est à l’Odéon que Joël Pommerat poursuivra l’écriture d’une œuvre qui ne cesse de gagner en notoriété et dont le public, conquis par une écriture théâtrale qui touche au plus juste, reste d’une remarquable fidélité, suivant l’auteur-metteur en scène d’une oeuvre à l’autre.

Avec Ma chambre froide, Joël Pommerat semble avoir voulu puiser ses forces théâtrales dans le rythme et la forme d'un feuilleton qui réserve une large place au rire. Nous découvrons dans sa vie quotidienne une jeune femme simple, exploitée sans vergogne. Mais jamais Estelle ne se plaint – pas même de Blocq, pourtant détesté de tous. Elle est en effet certaine : seules les idées du patron sont mauvaises, et s'il pouvait voir en quoi il se trompe, il serait transformé… Ainsi démarre une aventure ponctuée d'hommages discrets tantôt à Brecht, tantôt à Shakespeare. Mais l'art avec lequel Pommerat entrelace les fils de son récit, aiguisant l'un par l'autre suspense et humanité, n’appartient décidément qu’à lui.

Par La Compagnie Louis Brouillard.

  • Suffirait-il de voir - de vraiment voir - pour être transformé ?

A l’image de son décor circulaire, Ma chambre froide est un spectacle à multiples entrées. Depuis quelque temps, la manière de Joël Pommerat semble progresser dans deux directions apparemment opposées (ce qui, chez un créateur, est généralement bon signe). D’un côté, les lignes narratives sont désormais mises en avant de façon plus explicite. De l’autre, elles se multiplient et s’enchevêtrent, comme pour recréer leur mystère sur un autre plan. Chaque scène correspond désormais à une situation claire, dont les enjeux sont formulés avec netteté : comme on dit couramment, « on comprend très bien l’histoire ». C’est comme si le récit, ayant glissé oeuvre après oeuvre vers le présent du conte, n’avait plus à contester des règles données d’avance, et qu’au besoin il pouvait désormais construire les siennes propres, en toute liberté, avec la complicité de son public.

Cela n’a pas toujours été le cas. Le caractère énigmatique du théâtre de Pommerat s’est longtemps appuyé sur un côté « Nouveau Roman» une fascinante bizarrerie « objective » (pouvant aller jusqu’à l’impossibilité) des événements mis en scène. D’une seule main (créé en 2005) en offre sans doute l’exemple le plus frappant. Le fonctionnement traditionnel de la narration y est systématiquement subverti – à peu près tous les éléments donnés pour certains et « objectifs » finissent par y être niés ou renversés (un personnage à la main coupée réapparaît avec ses deux mains, des morts ont lieu puis n’ont pas eu lieu, des propos tenus par A à B sont ensuite adressés par B à A, et ainsi de suite – exactement comme si la pièce réunissait sans aucune solution de continuité deux états du monde apparentés, mais incompatibles entre eux, afin d’en dégager les invariants). Cependant, dès Cet enfant (publié dans le même volume que D’une seule main, mais dont le projet remonte en fait à 2003), premier exemple publié d’une ouvre constituée d’une multiplicité d’histoires distinctes quoique thématiquement liées, Pommerat avait déjà amorcé de tout autres recherches, renonçant à la dimension ouvertement fantastique qui le caractérisait pour adopter une facture toute classique : les personnages, leurs rapports, leurs conflits, y sont assez clairement identifiés et lisibles.

Est-ce ensuite l’expérience concrète du spectacle pour enfants – Le Petit chaperon rouge est créé en juin 2004 à Brétigny-sur-Orge – qui a accentué cet infléchissement de son style théâtral ? Depuis lors, le mystère semble s’être en quelque sorte déplacé. Ce n’est plus tant la fiction en elle-même qui paraît hantée par on ne sait quelle étrangeté évocatoire ; ce ne sont plus, ou ce sont moins les ellipses, les points aveugles ou les noeuds oniriques de l’intrigue qui confèrent aux spectacles leur énergie sombre et silencieuse. Désormais, la mise en oeuvre au plateau y suffit, en creusant, contestant ou entrelaçant les histoires les plus simples : c’est leur contrepoint scénique qui bâtit sous nos yeux les arrière-plans indéfinis, fuyants et secrets si typiques des atmosphères de Pommerat. Il est d’ailleurs remarquable que depuis Les Marchands (où le puzzle théâtral se réduit à deux pièces : la voix d’une narratrice posée comme un voile invisible sur des scènes muettes), Pommerat n’écrit plus – à l’exception, bien entendu, du cas particulier de Pinocchio (créé à l'Odéon en 2008), spectacle pour jeunes publics – que des spectacles-mosaïque, des agencements de narrations plus ou moins fragmentaires, éclatées, évasives, sans rapport immédiatement déchiffrable entre elles – et pourtant toutes d’une aveuglante évidence, comme autant de flèches au tracé net et pointant toutes vers un point singulier qu’il appartient à chacun de construire et de rejoindre (Cercles / Fictions, créé en janvier 2010, compose ainsi des scènes qui vont de 1370 à nos jours, et c’est comme un collier de microcosmes dont le public doit trouver ou fabriquer le fil).

Et dans tous les spectacles de la compagnie Louis Brouillard, une présence au statut variable paraît s’être substituée à la logique du « grand récit » pour prendre en charge le bon déroulement et l’unification de l’ensemble du temps scénique : que ce soit une voix désincarnée, un bonimenteur, un Monsieur Loyal, un conteur, il se trouve toujours quelqu’un pour contribuer à nouer, cadrer et ponctuer le rapport entre les événements qui se déroulent au plateau et leur perception par les spectateurs.

Quel nouveau jalon Ma chambre froide vient-il poser dans ce parcours de création ? L’oeuvre est en cours d’écriture et le sera jusqu’aux derniers jours de répétition (Pommerat procède toujours ainsi, écrivant à même les présences au plateau, avec et pour ses interprètes). On y retrouve une multiplicité de narrateurs qui nous introduisent au récit d’événements remontant à plusieurs années et soulignent pour nous les principales articulations de la longue histoire qu’ils ont vécue ensemble. – Oui, une histoire, unique, en dépit de ses rebondissements et des différents plans sur lesquels elle se déroule. Telle est la surprise : Pommerat, dans Ma chambre froide, revient au cadre du « grand récit » qu’il avait délaissé depuis cinq ou six ans. Mais sans rien sacrifier pour autant de la clarté qu’il s’est forgée entretemps, ni de la capricieuse diversité des plans narratifs. Car cette fois-ci, il semble avoir voulu puiser ses forces théâtrales dans le rythme et la forme du feuilleton !

Comme tous les feuilletons, il serait dommage de raconter la fin de celui-ci. En voici du moins les données initiales. Nous découvrons dans sa vie quotidienne une jeune femme simple, d’une bonté discrète, que ses collègues et son patron exploitent sans vergogne. Mais jamais Estelle ne se plaint, et jamais elle n’accuse ni ne condamne personne – pas même son patron, pourtant odieux et d’ailleurs détesté de tous. Elle en est en effet convaincue, même si elle a du mal à le formuler et plus de mal encore à se faire comprendre : en lui-même, il est bon, seules ses idées sont mauvaises, et s’il en avait de bonnes, alors il se comporterait bien… Il suffirait peut-être que ce patron puisse voir,vraiment voir, en quoi il se trompe pour qu’il soit transformé. Il suffirait d’une chance de le lui faire voir…

Comme disait Hamlet, « le jeu est le piège / où je prendrai la conscience du Roi »… On le devine, le théâtre (tragédie ou comédie, car Ma chambre froide réserve une large place au rire) a ici un rôle essentiel à jouer. Mais l’héroïne n’est pas la seule à devoir s’engager dans une tâche et sur un terrain inconnus pour elle. Ses collègues, eux aussi, se voient confrontés aux choix les plus douloureux. En fait, chacun des personnages que nous accompagnons dans Ma chambre froide va découvrir des lois qu’il ignorait et devoir, devant elles, se mesurer : lois de l’économie, loi de la mortalité – et lois de l’art, aussi, puisque l’art lui-même a ses exigences, qui ne sont pas moins impérieuses, voire cruelles. Dans Ma chambre froide, Pommerat se plaît à rendre hommage tantôt à Brecht, tantôt à Shakespeare, comme il avait pu s’inspirer de Tchekhov dans Au Monde ou dans Grâce à mes yeux. Mais sa façon d’entrelacer les fils de son récit, où suspense et humanité se se renforcent et s’aiguisent l’un l’autre, n’appartient décidément qu’à lui.

Daniel Loayza, 28 décembre 2010

  • Extrait

C’était vraiment bien de travailler avec elle
elle prenait toujours de la hauteur sur les choses
au magasin elle avait commencé comme caissière, puis était devenue polyvalente
c'est-à-dire… qu’elle pouvait tout faire…
elle avait une théorie elle disait dans la vie les choses ne sont pas figées…
une situation qui ne convient pas, on peut toujours la transformer
Je me souviens
c’était la seule personne autour de moi qui s’intéressait aux grandes choses de la vie,
le cosmos par exemple et les étoiles dans le ciel, ainsi qu’aux plus petites…
Elle disait
je me demande vraiment
où vont tous ces produits
que nous écoulons ici, au magasin, toute la journée,
et que les gens achètent, avalent, et évacuent…
Cela fait partie de ces choses dans notre vie
que nous ne voyons pas se dérouler…
aussi invisibles que les étoiles les plus éloignées du ciel…

Ma chambre froide, Acte 1 Actes Sud – Papiers

  • La presse en parle

« La force de Pommerat et de sa bande d’acteurs si justes, si vrais – semblant sortir tout ensemble d’un film naturaliste des frères Dardenne et d’une fable brechtienne –, est de conjuguer les possibles, de laisser tout envisageable, au gré d’une narration - mosaïque qui rend admirablement compte des mille visages du réel. Jusqu’à le rendre fantastique. Ils ne sont pas nombreux, les dramaturges qui osent ainsi s’attaquer au monde du travail. (...) On rit devant cette chambre froide de tous les fantasmes, où la vie le dispute à la mort, la violence à l’amour fou, la tendresse à la terreur. L’arène nous a montré et fait partager les passions humaines. On a frissonné et jubilé. La corrida était belle et bonne, riche de secrets sur l’infini des choses et des hommes. » Fabienne Pascaud, Télérama

« Ma chambre froide est un spectacle d’une virtuosité géniale, oui, c’est le mot qui convient. Découpées en séquences, comme au cinéma, les scènes s’enchaînent d’une manière hypnotisante. On a l’impression qu’elles sortent directement du cerveau du metteur en scène, et qu’un tour de magie les rend concrètes sur la piste. Elles peuvent aller du trivial au fantasmagorique, sans jamais rien perdre de leur beauté stupéfiante, taillée dans le noir et blanc et traversée d’éclats foudroyants de lumière. » Brigitte Salino, Le Monde

« Dans cette histoire étrange entre comédie sociale et drame, on rit, on grince les dents, on assiste à des moments intenses et dérisoires, servis par des comédiens toujours parfaits. Surtout, l’écriture scénique se révèle plus aboutie. » Les Trois Coups

Sélection d’avis du public

RE: Ma chambre froide Le 4 mars 2011 à 09h05

Spectacle exceptionnel !! A voir de toute urgence

Ma chambre froide Le 3 mars 2011 à 19h05

C'est un spectacle époustouflant : de l'humanité, de l'émotion, du social. Joël POMMERAT est un magicien qui nous dévoile un cirque où l'on passe de la révolte au rire, des larmes au polar. Il est servi par des comédiens remarquables (qu'il faut citer) : Jacob AHREND, Saadia BENTAIEB, Lionel CODINO, Frédéric LAURENT, Serge LARIVIERE, Ruth OLAIZOLA, Marie PIEMONTESE, Nathalie RJEWSKY, Dominique TACK. Je vais repenser souvent à Estelle et son frère... Gregor

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RE: Ma chambre froide Le 4 mars 2011 à 09h05

Spectacle exceptionnel !! A voir de toute urgence

Ma chambre froide Le 3 mars 2011 à 19h05

C'est un spectacle époustouflant : de l'humanité, de l'émotion, du social. Joël POMMERAT est un magicien qui nous dévoile un cirque où l'on passe de la révolte au rire, des larmes au polar. Il est servi par des comédiens remarquables (qu'il faut citer) : Jacob AHREND, Saadia BENTAIEB, Lionel CODINO, Frédéric LAURENT, Serge LARIVIERE, Ruth OLAIZOLA, Marie PIEMONTESE, Nathalie RJEWSKY, Dominique TACK. Je vais repenser souvent à Estelle et son frère... Gregor

Informations pratiques

Théâtre de l'Odéon - Ateliers Berthier

8, boulevard Berthier 75017 Paris

Accès handicapé (sous conditions) Bar Batignolles Librairie/boutique
  • Métro : Porte de Clichy à 138 m
  • RER : Porte de Clichy à 338 m
  • Tram : Porte de Clichy - Tribunal de Paris à 213 m
  • Bus : Porte de Clichy à 35 m
  • Entrée du public : angle de la rue André Suarès et du Bd Berthier.

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Plan d’accès

Théâtre de l'Odéon - Ateliers Berthier
8, boulevard Berthier 75017 Paris
Spectacle terminé depuis le dimanche 24 juin 2012

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