Présentation
Le Noyau de comédiens de Théâtre
Ouvert
Le Pays lointain
Traduire le cri par la langue
Après avoir monté Jétais dans ma maison et jattendais que la pluie vienne (pièce commandée par Theâtre Ouvert), Joël Jouanneau, en assurant cette nouvelle « traversée », boucle avec brio un parcours sensible et singulier avec les dernières pièces de Jean-Luc Lagarce.
Une première présentation de ce travail a eu lieu du 5 au 8 juin 2000 à Théâtre Ouvert. Elle était le fruit dun travail datelier avec un groupe délèves de troisième année du Conservatoire National Supérieur dArt Dramatique de Paris.
Le Noyau de comédiens de Théâtre Ouvert
Jean-François Auguste, Bruno Blairet, Marie-Charlotte Biais, Stéphanie Farison, Mathieu Genet, Pierre-Félix Gravière, Odile Grosset-Grange, Delphine Lamand, Lisa Pajon, Sophie-Aude Picon, Hedi Tillette de Clermont-Tonnerre
Le groupe de comédiens de la promotion 2000 du Conservatoire National Supérieur dArt Dramatique de Paris qui avait suivi la saison dernière lAtelier pratique dinitiation aux écritures contemporaines dirigé par Lucien Attoun et Micheline Attoun sest, dans la foulée, constitué en un noyau de comédiens engagé par Théâtre Ouvert cette saison et celle à venir.
A lissue de cet atelier pratique avaient été présentés à Théâtre Ouvert quelques travaux :
Le 6 juin 2000 : mise en voix de La Gelée darbre de Hervé Blutsch par Sophie Loucachevsky
Le 8 juin 2000 : mise en voix de Comment cela est-il arrivé ? de Joris Lacoste par Alain Françon
Du 5 au 8 juin 2000 : mise en espace dun montage du Pays Lointain de Jean-Luc Lagarce par Joël Jouanneau
Du 19 septembre au 18 novembre 2000, ils se sont installés au théâtre et ont lu des manuscrits, rédigé des rapports de lecture, débattu et ont présenté en public des mises en voix et une mise en espace de textes quils avaient choisis. Ainsi des textes inédits de François Bourgeat, Marion Aubert, Joël Jouanneau, Michel Azama, Jean-Marie Piemme, Maud Bouchet, Eugène Durif, Lancelot Hamelin et Olivier Coyette ont été mis en voix par Thomas Sciméca, Sophie Loucachevsky, Sophie-Aude Picon, Yann-Joël Collin, Julie Brochen, Olivier Werner, Robert Cantarella et Christian Schiaretti et un texte de Yann Apperry, Mercure apocryphe, a été mis en espace par Sophie-Aude Picon.
Après les représentations du Pays lointain à Théâtre Ouvert et avant de se rendre avec le spectacle, en Lithuanie, au Vilnius Festival New Drama Action, en juin prochain, le Noyau est invité à Dijon au Festival Frictions / Théâtre en Mai les 25 et 26 mai 2001.
Louis revient « chez lui », en ce lieu depuis longtemps quitté. Louis se remémore cette journée de retour au pays, ceux quil a croisés, une sur, un frère et sa famille Ce jour-là, Louis se savait déjà happé par une mort prochaine et eux nen savaient rien. Pour nous qui voyons par ses yeux, ceux quils croisent avec leurs sourires gênés, leurs obsessions, leurs façons de parler ou de se taire, ne sont plus que des encore vivants. Cest un défunt qui nous parle doutre-tombe pour nous dire en mots simples linaudible, linavouable de cette famille dont il ne se sentait pas aimé comme il le désirait.
« Je compris que cette absence damour, la solitude, dont je me plains et qui
toujours fut pour moi lunique raison de mes lâchetés, appelons ça comme ça,
cette solitude, que cette absence damour fit toujours plus souffrir les autres que
moi. Et quils semblent ne pas maimer, quils donnent lapparence de
ne pas maimer, comme seule et dernière preuve damour.
Je me réveillai avec lidée étrange et désespérée et indestructible encore
quon maimait déjà vivant comme on voudrait maimer mort sans pouvoir et
savoir jamais rien me dire.
Lamour définitif, immobile et silencieux. » (extrait)
Le cri existentiel ne se laisse pas facilement approcher par lécrit. Ainsi, lorsquil apprend sa mort prochaine, quil sait lennemi en lui, le jeune homme quest encore Jean-Luc Lagarce trouve refuge dans lécriture. Face à la petite tragédie quest toute existence, il tente alors de traduire au plus près son cri. Par la langue. Et cela va produire, plusieurs mois après, Juste la fin du monde. ( )
Lart de tirer sa révérence à la vie est le plus difficile qui soit, surtout si on veut le faire sans aigreur et avec élégance. Et donc, six ans après, lauteur toujours en sursis quest Jean-Luc Lagarce constate quil est encore là, mais son sablier se vide désormais, il ressort de son tiroir Juste la fin du monde, cette pièce qui lui fut refusée, et y adjoint de nouveaux personnages et de nombreuses scènes sur ce qui lui a appris la vie depuis, tentant ainsi dapprocher plus près encore lécriture de son cri, mais il lui faut se rendre finalement à cette évidence : le silence ne sécrit pas, et après le mot fin, la page reste blanche. Du moins il aura écrit Le Pays lointain, un fleuve théâtral sans équivalent aujourdhui.
Jai eu cette chance, une chance, oui je le dis, dêtre un ami de Robert Pinget. De lui et de ses textes, jai appris que si les occasions de se taire sont nombreuses, elles sont presque toujours perdues, et que si la vie nest pas toujours drôle, on voudrait néanmoins quelle dure tout le temps. De Robert Walser, sur qui jai travaillé près de trois ans, je dois davoir compris, du moins je le crois, quil importe dêtre un débiteur heureux face à la vie. Et, après avoir mis en scène à Lausanne Jétais dans ma maison et jattendais que la pluie vienne, de Jean-Luc, puis Juste la fin du monde dans ce même théâtre de Vidy ; après avoir animé un atelier autour du Pays lointain à Théâtre Ouvert, avec le Noyau de comédiens constitué délèves de la promotion 2000 du Conservatoire de Paris, je crois devoir à cet auteur, je peux le dire aujourdhui, que si je ne peux prétendre apprivoiser ce cri sauvage qui magite à la simple pensée de ma dernière sortie, du moins il mest permis, avant le grand silence, dentendre la petite musique de ma vie.
Joël Jouanneau
159 avenue Gambetta 75020 Paris