Le Lac d'argent

du 2 au 6 décembre 2003

Le Lac d'argent

Interdit de représentation, par les nazis, lors de sa création en 1933, Le Lac d’argent est une œuvre inédite en France. Porté par quelques-unes des plus puissantes chansons de Kurt Weill et par le texte visionnaire de Georg Kaiser, ce conte musical dénonce l’indifférence politique à la misère tout en offrant une réflexion métaphysique sur l’injustice sociale. L'opéra cesse ici d'être un art officiel pour devenir un moyen d'expression et de lutte

Pari(s) d’opéra : un événement

Résumé
Présentation

Argument

Pourquoi créer aujourd'hui Le Lac d'argent ?

La création du Lac d'argent en 1933

Le théâtre en Allemagne et la montée du nazisme

La création d'extraits du spectacle à Paris en novembre 1933
Les années 30 - repères historiques

Dans une cabane au bord du Lac d'argent, sans travail et sans espoir, Séverin et ses amis sont tenaillés par la faim. De rencontres en aventures, Séverin connaîtra l’injustice, la chance, la vengeance, la trahison et le désespoir. Mais sur le Lac d’argent renaît l’espoir de jours meilleurs… Un conte à la fois cruel et optimiste, poétique et lucide, cynique et plein de foi, sur la nécessité de la solidarité et l’ambivalence de la nature humaine.

Le Lac d’argent est une œuvre inédite en France. Porté par quelques-unes des plus puissantes chansons de Kurt Weill et par le texte visionnaire de Georg Kaiser, ce conte musical dénonce l’indifférence politique à la misère tout en offrant une réflexion métaphysique sur l’injustice sociale.

L'opéra cesse ici d'être un art officiel pour devenir un moyen d'expression et de lutte.

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Le Lac d'argent est la dernière pièce de Georg Kaiser et la dernière création musicale de Kurt Weill à avoir été représentée en Allemagne de son vivant. Créée en février 1933, quelques jours après l'avènement d'Hitler, elle fut jugée subversive et interdite de représentation par les nazis. Kurt Weill déjà reconnu après le succès de L'Opéra de quat'sous, fut contraint à l'exil deux mois plus tard. Kaiser l’auteur dramatique incontournable, le dramaturge le plus joué au monde, vit la représentation de ses pièces interdite et ses livres brûlés publiquement. Ainsi le représentant phare de l'expressionisme théâtral le plus joué dans l’Allemagne de l'entre-deux guerres, mourut, en Suisse, en 1945 dans l'anonymat et le plus grand dénuement.

Au-delà de la violence des événements historiques qui font de la pièce un symbole de la fin brutale de l'extraordinaire vie théâtrale de la République de Weimar, Le Lac d'argent est une oeuvre accomplie de celui qui, selon Brecht, « a ouvert la voie au théâtre épique ».

Ancrée dans une réalité sociale, celle des conséquences de la crise de 29 sur un monde fasciné par l'argent et le pouvoir, elle est également un conte philosophique. Elle joue des extrêmes, oscille de l'onirisme au réalisme le plus criant, bascule de la naïveté du conte à la complexité de pensée, propose une galerie de figures de la société qui dépasse le théâtre social. Faire « des miracles » (on gagne le gros lot de la loterie) pour se demander si l'homme, qui ne se nourrit pas que de pain, est encore capable, face au désastre du monde, d'inventer une humanité.
Le Lac d’argent invite à croire à l'invraisemblable et, ce faisant, nous fait douter de l'indubitable réalité.

La musique de Kurt Weill joue également de ces contrastes, alternant songs, développements symphoniques et plages chorales, n'hésitant pas à se faire le contrepoint ironique de la critique sociale.
Des variations de style et de perspective qui font la richesse de cette oeuvre et la font résonner, aujourd'hui, avec une troublante actualité.

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Acte 1
La faim assaille Séverin et ses amis. Ils vivent dans une cabane au bord du Lac d'Argent ; sans travail et sans espoir. Afin de combattre leurs hallucinations, ils creusent une tombe pour enterrer une poupée qui, à leurs yeux, symbolise la faim. Ces simulacres ne les rassasient pas. Ils décident d'aller tenter leur chance en ville. Entré dans un magasin pour le dévaliser, Séverin renonce à dérober toutes ces choses qui lui paraissent alors inutiles, fasciné par un fruit de conte de fées : un ananas.

Dans sa fuite, il est blessé par les balles du policier Olim. Ce dernier, en rédigeant son rapport sur l’incident, s'interroge : comment un être humain peut-il être conduit à voler contre sa propre volonté ?

Entre un agent de la loterie, qui vient annoncer à Olim qu'il a gagné le gros lot. Mais Olim ne change pas d'avis. Il falsifie son rapport et, parce qu'il a blessé un innocent, il décide de quitter son service et de se consacrer à la guérison de Séverin.

Acte 2
Olim a acheté un château. Il charge Madame Von Luber d'entretenir sa demeure. Celle-ci pousse sa nièce Fénimore à lever le voile sur la relation très secrète d'Olim et Séverin, en convalescence au château. Cependant, sans le montrer, Séverin ne pense qu'à une chose : la vengeance. Une chanson de Fénimore et la vue d'un ananas lui rappellent le cambriolage.

Olim craint que son protégé ne découvre qu'il est le policier qui lui a tiré dessus et essaie de le couper du monde extérieur. Mais Séverin demande à Fénimore de l'aider à retrouver le policier qui l'a blessé. Il lui promet que ses anciens amis l'aideront en lui montrant le chemin qui mène au Lac d'Argent.

Acte 3
Les amis de Séverin découvrent le nom du coupable. Aux cris de vengeance de Séverin, Olim se réfugie dans les combles. Séverin se laisse attacher dans la cave, afin de juguler ses désirs de vengeance.

Madame Von Luber, qui s'est fait rédiger un titre de propriété du château par Olim, essaie d'entretenir la haine de Séverin contre Olim.
Avec son ami, le Baron Laur, elle prend le pouvoir du château. Fénimore, ayant récupéré les clefs de la cave et des combles, rassemble Olim et Séverin qui se pardonnent leurs haines mutuelles.

Malheureusement, les nouveaux maîtres de maison n'ont pas seulement les titres de propriété mais aussi les documents prouvant que Séverin n'a pas respecté la loi et qu’Olim a abandonné ses obligations. Les amis doivent quitter la maison, ils cherchent la mort dans le Lac d'Argent.
Un traîneau apparaît, des voix s'élèvent du lac et leur disent de continuer toujours plus loin. Soudain une secousse fait tomber la neige des arbres, le vent du printemps a découvert tout le paysage. Seul le lac est une surface gelée sur laquelle ils peuvent continuer leur marche.

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Parce qu’il est des œuvres urgentes, composées dans des temps où l'Histoire impose la fuite ou la lutte !
Le Lac d'Argent fait partie de cette catégorie et au-delà de l'histoire et de l'arrivée des nazis au pouvoir, cette œuvre s'impose comme une urgence à notre époque.

La première urgence est de créer cette œuvre inédite en France, la seconde réside dans la nature de son sujet, la troisième est une urgence a posteriori : visionnaires de leur époque et des finalités de l'Histoire, Kurt Weill et Georg Kaiser, face à l'intolérance et à l'injustice sociale, ont écrit une œuvre qui impose une fin féerique glacée d'un optimisme noir : « Vous n'êtes pas affranchi du devoir de continuer à vivre. A partir de l'anéantissement, votre devoir particulier vous élève. » Nous connaissons tous la suite...

Urgence enfin face à notre époque où la montée de tous les fanatismes impose aux artistes un devoir de lucidité comme les créateurs du Lac d'Argent l'ont eu, sans peur, malgré les intimidations et les menaces.

Que des jeunes vivent dans des bidonvilles, dans les bois, autour de villes riches, qu'ils cambriolent des magasins d'alimentation, qu'ils soient pourchassés par la police des nantis... que grâce à un super loto, l'un d'entre eux soit doté d'un père nourricier et repentant... et qu'enfin, une fois ruiné, il se retrouve au bord du Lac vers un bonheur, un horizon meilleur ou vers un non-horizon... voilà des raisons de penser que cette œuvre est un devoir, devoir urgent, salutaire de mémoire et de lucidité.

Il y a heureusement dans l'histoire de l'opéra des œuvres qui sont l'expression d'une vraie urgence... C'est à la recherche de ces œuvres que nous nous mettons en route. L'opéra est un mode conventionnel, un élément de l'art « social ». Souvent sa liberté est soumise aux pressions, aux commandes, aux convenances.
Heureusement, il y a aussi des œuvres issues d'un besoin humain fondamental, d'une envie d'éclairer, de dire...

L'ouvrage devient alors un moyen d'expression d'idées, de sensations, de craintes, de révoltes...
C'est le cas des œuvres des musiciens interdits par le parti nazi ou par tout autre pouvoir totalitaire...
Alors, quand l'opéra cesse d'être un art officiel et devient un moyen d'expression et de lutte…

Olivier Debordes, metteur en scène

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« Je voudrais parler d'une pièce que j'ai montée, une excellente pièce qui m'attira beaucoup d'ennuis. C'était Le Lac d'Argent de Kurt Weill et Georg Kaiser, tous deux réputés gauchistes, sans parler du fait que Kurt Weill était juif.

La pièce adoptait un point de vue de critique sociale radicale, dix fois plus que Bertolt Brecht. Elle ne parle que de la faim et de la pauvreté. Kurt Weill avait composé quelques chansons très puissantes qui font partie de ce qu'il a fait de meilleur. (…) Gustav Brecher, qui avait dirigé la première de Mahagonny, dirigeait l'orchestre.

La première de la pièce devait avoir lieu au théâtre de Leipzig le 18 février et le lendemain à Berlin.
Les Nazis prirent le pouvoir et l'un de leurs conseillers municipaux, un nommé Hauptman me demanda de tout laisser tomber. Sinon, me dit-il, il allait se passer quelque chose. J'ai donc convoqué Georg Kaiser, Kurt Weill et Caspar Neher. Nous avons décidé de continuer car la pièce était à nos yeux d'une grande importance esthétique et politique. Le jour de la première, le Docteur Goerdeler me conseilla de tomber malade et de retarder la première d'une quinzaine de jours, à la suite de quoi on pourrait tout laisser tomber discrètement. Je lui répondis qu'il serait désastreux, à ce stade, de ne pas affirmer ses opinions et de renoncer.

Il me dit alors qu'il savait que la SA (Sturm-Abteilung, qu'on appelait les chemises brunes) et le parti nazi allaient empêcher la représentation ; il me conseillait fortement d'y renoncer.

Je lui ai dit que je ne le ferai pas. Seules deux personnes ont la possibilité de renoncer à la première, lui ai-je dit, vous en tant que Maire de Leipzig ou moi, comme Responsable du Altes Theater. Il me répondit que si les choses tournaient mal, il ne pourrait pas me couvrir.
Mais j'ai continué et la pièce a remporté un grand succès. La SA avait envahi une grande partie du théâtre et organisé un grand chahut : à l'extérieur du théâtre, il y avait une foule de nazis avec leurs drapeaux et dieu sait quoi qui nous conspuaient. Mais la majorité du public a adoré la pièce malgré le boucan fait par les Nazis. C'était le début de leur règne.

Avez-vous continué les représentations ?
Oui. Nous avons donné trente représentations à guichet fermé et la SA est venue tous les soirs pour faire de l'intimidation.

Et que s'est-il passé ?
On a interdit la pièce suite à la création à Leipzig.

Avez-vous été harcelé pour un tel acte ?
Oh oui. Il y a eu un article très violent dans le journal du parti nazi. Et puis, juste après la première, je crois, Kurt Weill et Bertolt Brecht se sont enfuis d'Allemagne. Je persiste à croire que le spectacle était très bon, peut-être mon travail le plus abouti au théâtre. Une sorte d'événement dans l'histoire du théâtre... ou plutôt la fin d'un chapitre. Hans Rothe, le célèbre traducteur de Shakespeare écrivit plus tard qu'à cette occasion, c'était le rideau de scène du théâtre allemand qui avait été définitivement baissé. »

Texte extrait des Mémoires de Douglas Sirk,
metteur en scène du Lac d'Argent à sa création

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« Les nazis vous disaient ce que vous deviez faire et quelles pièces vous deviez monter. Il était interdit de faire ci, interdit de faire ça... Par exemple, on ne pouvait plus monter une pièce de George Bernard Shaw parce qu'il était censé être juif ou Oscar Wilde parce qu'il était homosexuel. Et, chaque jour, je trouvais dans le journal un article qui m'attaquait pour avoir monté telle ou telle pièce qui avait des idées détestables pour les nazis.

On m'avait dénoncé, ce jour-là, pour m'être sept ans plus tôt, à Brême, assis avec mes acteurs et avoir discuté de notre conception du paradis. Comme j'avais mentionné une île des mers du Sud, ils en avaient conclu que la femme de mes rêves ne pouvait être aryenne ; le fait de m'étendre dans un hamac montrait clairement que je méprisais le travail. Le verre de vin prouvait que je ne m'intéressais qu'à la frivolité... C'était mes acteurs qui m'avaient dénoncé pour s'attirer les bonnes grâces du régime. »

« Ni pièce, ni chanson ne pouvait arrêter cette marche macabre vers l'inhumanité. »

Texte extrait de conversations entre Douglas Sirk et Jon Halliday
1972, New York, Viking Press

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« Hier après midi, lors d'un concert donné à la Salle Pleyel, Madeleine Grey a interprété quelques extraits du Lac d'Argent de Kurt Weill (auteur de l'Opéra de Quat'Sous qui a quitté l'Allemagne depuis quelques mois à la suite d'un mouvement antisémite). La troisième chanson qu'elle chanta ne fut pas au goût de deux spectateurs qui, lorsqu'elle fût terminée, crièrent d'une voix forte : « Vive Hitler  ».

Le cri surprit. Des applaudissements y répondirent. Mais les protestataires s'entêtaient : « Vive Hitler ! Vive Hitler ! » répétaient-ils ; et l'un deux ajouta : « Nous avons assez de mauvais musiciens en France sans qu'on nous envoie tous les juifs d'Allemagne  ».

Madeleine Grey, prenant pour un encouragement les applaudissements de la salle, bissa cette chanson. Les protestataires firent entendre à nouveau leur cri de « Vive Hitler » dont les spectateurs, cette fois un peu interloqués, comprirent l'intention. Des applaudissements récompensèrent le mérite de l'interprète. Des agents parurent. Il y eut un léger remous dans le fond de la salle, les protestataires sortirent et la discussion se poursuivit dans le hall et jusque sur le trottoir du Faubourg Saint-Honoré.

L'incident a pu sembler badin. Il est indicatif : c'est la première fois qu'un français crie « Vive Hitler » dans un endroit public. Et ce Français, qu'il nous permette de le nommer, c'est Florent Schmitt, un maître de musique française, qu'accompagnait un de ses amis, lequel du reste s'est associé à ses protestations.

Qu'on ne s'y trompe pas : c'est la première goutte d'eau qui annonce l'orage.  »

Article de Paul Achard
Journal Comoedia du 27 novembre 1933

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1929 : Wall Street, le crack  !
1933 : création à Leipzig du Lac d'Argent, dans une mise en scène de Douglas Sirk. La représentation débute sous la huée des SA venus faire de l'intimidation.
21 mars 1933 : Kurt Weill quitte l'Allemagne pour Paris. Deux années après, il émigre au Etats-Unis.
novembre 1933 : Paris, des extraits du Lac d'Argent sont jouées Salle Pleyel. Au cours de la représentation, plusieurs spectateurs crient " Vive Hitler " . Un critique ayant assisté à la représentation écrit " Nous avons assez de mauvais musiciens en France sans qu'on nous envoie tous les juifs d'Allemagne " .
1937 : Douglas Sirk quitte l'Allemagne pour les USA.
1938 : Georg Kaiser quitte l'Allemagne pour la Suisse. Il y meurt sept ans plus tard.

1932 - 1933 - Repères culturels
Cinéma  : M Le Maudit et Le Testament du Docteur Mabusede Fritz Lang
Zéro de conduite de Jean Vigo
Musique : La Symphonie des psaumes d'Igor Stravinsky
Littérature : La Condition humaine de André Malraux
Théâtre : La Mère de Bertolt Brecht
Arts appliqués : Fermeture du Bauhaus, par les Nazis

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Informations pratiques

Théâtre Silvia Monfort

106, rue Brancion 75015 Paris

Accès handicapé (sous conditions) Bar Restaurant
  • Métro : Porte de Vanves à 417 m
  • Tram : Brancion à 251 m
  • Bus : Morillons - Brancion à 104 m, Brancion - Morillons à 166 m, Fizeau à 186 m, Porte Brancion à 236 m, Vercingétorix - Paturle à 360 m
Calcul d'itinéraires avec Apple Plan et Google Maps

Plan d’accès

Théâtre Silvia Monfort
106, rue Brancion 75015 Paris
Spectacle terminé depuis le samedi 6 décembre 2003

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