Laissez-moi seule

du 2 au 21 juin 2009

Laissez-moi seule

Ce titre est une parole qu’on prête à la princesse, s’adressant dans le tunnel de l’Alma à un paparazzo. Dix ans plus tard, selon les blogs, la princesse à sa dernière heure n’a jamais dit ça. La dernière pièce de Bruno Bayen questionne encore l’histoire et sa négation. Avec une brillante distribution, notamment Dominique Valadié, Eric Berger, Axel Bogousslavsky, Clotilde Hesme.

La pièce
Entretien avec Bruno Bayen

  • La pièce

Les personnages publics, Duch, Arthur, Girl Friday, empruntent à des figures réelles leur petit nom. C’est ainsi que Duch est celui que sa soeur donnait à Lady Diana Spencer enfant, Girl Friday celui dont usait le prince Charles d’Angleterre pour désigner Camilla Parker Bowles, soit qu’elle lui rappelât le Vendredi de Robinson Crusoé, soit qu’il la rencontrât ce jour-là de préférence, les exégètes hésitent. Arthur est le dernier prénom du prince, qui n’aurait été employé qu’en des circonstances très intimes. Tous les autres personnages sont fictifs.

Action ? Mariage, mort, seize ans d’écart. Dramatiquement un mariage est une suite de prologues, une mort une suite d’épilogues.

Intrigue ? Le vertige et les ondes. Lesquelles atteignirent l’humanité (50% d’elle.) Des pelouses jusqu’au tunnel la trajectoire de la princesse fut impeccable : promesses et retombées, aux deux sens, privé, public, du terme, sans abnégation, sans faux pas ni déchéance. L’image se confond aux événements, pour remplir et bien évidemment creuser un vide. À qui appartient-il ? Aucun rôle ne peut être principal.

« Laissez-moi seule » – « Let me alone », qu’on peut traduire plus trivialement – est une parole qu’on prête à la princesse, s’adressant dans le tunnel de l’Alma, portière ouverte, à un paparazzo. Dix ans plus tard, selon les blogs, la princesse à sa dernière heure n’a jamais dit ça.

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  • Entretien avec Bruno Bayen

Le titre

L’histoire d’un titre est toujours étonnante au théâtre. Alain Françon me propose de monter un spectacle au Théâtre National de la Colline et, quelques jours plus tard, une jeune femme me téléphone et me demande quel en sera le titre. Lorsqu’on écrit de la prose, on a jusqu’aumoment de la publication pour changer un titre, alors qu’au théâtre on commence par le titre, donc le titre gouverne. « Laissez-moi seule », ai-je répondu à la jeune femme… En anglais « Let me alone » veut aussi bien dire « foutez-moi la paix ».

Lady Di ?

Destin mythique et bestial, c’était déjà celui de Io quand Zeus songeait à fonder une nouvelle race, elle régénère la royauté. Trajectoire parfaite, sans déchéance.

Comédie, tragédie ?

Comédie. Autour d’un personnage considéré comme une idiote, relevant de Point de vue, Images du monde ou des romans de Barbara Cartland (qui était la mère de la belle-mère de Lady Di) jusqu’à l’accident de l’Alma.

Dès lors elle devient l’image de la mélancolie d’une époque et d’une société. Elle n’est plus seulement une figure des rayons intitulés Pour Elles dans les librairies de gare. Elle devient un sujet de réflexion pour Nelson Mandela, Fidel Castro et ensuite Montalban et puis Régis Debray, Baudrillard, … Disons un miroir, un miroir de ce que nous nous racontons dans les coins. Aujourd’hui vous êtes à table avec des amis, vous êtes tous très intelligents, vous évoquez le tragique du monde, vous commentez ce qui se passe dans la bande de Gaza, vous vous indignez contre les expulsions des Maliens, et puis à un moment donné vous avez envie de savoir qui est le père de l’enfant du garde des Sceaux (cette comparaison est offensante pour la princesse), à la fin vous avez tout de même parlé de ceci et de cela.

Un conte ?

Vous pouvez passer un an de votre vie nuit et jour sur le Net à collecter des informations à propos de Lady Di. Dans les documents ne sont intéressants que les détails, ainsi on vend encore aux enchères en 2008 des parts du gâteau demariage de Charles et de la princesse qui eut lieu en 1981. Comme le disait un commentateur, lors des obsèques : " Son histoire commence là où s’arrêtent les contes de fées… "

C’est une fiction, des gens sont reconnaissables mais ce n’est jamais naturaliste. Il n’y a pas de localisation précise, rien ne se passe dans des chambres ou des salons toujours dans des endroits où on circule, escaliers ou couloirs, où on peut être entendu. L’histoire peut avoir lieu en Angleterre, elle pourrait être transposée ailleurs. Au départ, il y a le conte, depuis la vague idylle que le prince aurait eue avec la soeur de la princesse, à qui il renonce parce qu’elle a fait état, dans les tabloïds, de son anorexie, erreur politique fondamentale. Une soeur est évincée et l’autre prend la place. Tout est écrit à l’avance dans ces histoires, c’est la " maîtresse " qui décide de qui sera la " femme ".

Ensuite entrent en scène ceux qui sont chargés de surveiller ce qui se passe, le système d’espionnage inhérent à l’organisation de ce monde. Comme dans Le Conte d’hiver, il s’est écoulé 16 ans entre les deux moments clé de la pièce, le mariage et la mort de la princesse, tuée à Paris sous la copie de la Flamme de la Liberté de New York…

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Les obsèques ?

J’en ai suivi un long moment à la télévision, dans des circonstances particulières, j’étais sur le point de partir en voyage. Je faisais mes valises en jetant un oeil vers la télévision.

À mon retour, je suis allé voir un ami, assez bavard, qui m’a dit qu’il détestait Lady Di mais qu’il s’était obligé à regarder les obsèques de A à Z et qui m’en a parlé une demi-heure ! J’ai trouvé cela étonnant. Les obsèques à la télévision ont ceci de très intéressant que c’est à peu près le seul spectacle de non-fiction extraordinairement lent, appuyé sur la lenteur, tous les autres sont fondés sur la rapidité. (Pour les mariages ou couronnements la liesse relaie la rapidité.)

Ces obsèques étaient remarquables aussi par l’imprévu du protocole infléchi, étant donné la situation légale de la défunte, d’où suspense, la reine serait-elle ou non devant la grille de Westminster au passage du cercueil ? Allait-elle le suivre ? Le drapeau serait-il mis en berne ? etc. J’ai retenu un détail, à l’instant où elle entre dans Westminster Hall, la soeur de Lady Di rajuste très longuement son chapeau.

Révisionnisme ?

Lady Di a été embaumée très vite – en réalité, seule une partie de son corps l’a été –, des bruits ont couru à propos d’une possible grossesse (et de qui était-elle enceinte ? etc.), tandis que Charles s’attristait qu’il lui manquât une boucle d’oreille… Des documentaires ont été réalisés, qui comparaient les transports ambulanciers en France et en Angleterre, afin de démontrer que les Anglais auraient été plus rapides et qu’elle aurait pu être sauvée.

Il y a eu toutes les hypothèses émises sur son assassinat possible, des millions de gens s’en sont parlé de par le monde, au bistro ou à table… La négation des faits a sa splendeur, les gens disent, à un moment donné : on nous ment, la presse nous ment – ils n’ont pas tort. Et dans un certain nombre de cas, le négationnisme a sa misère. Autour de ce personnage de conte – un conte où, quand même, c’est la plus moche qui à la fin triomphe ! – le négationnisme est une piste de comédie…

Pourquoi Lady Di ?

En voyant un soir Mulholland Drive à la Pagode, les allusions à son nom, à son destin – l’accident de voiture – qui m’ont semblé une clé du film, en repensant à ses obsèques, à sa trajectoire parfaite, Cléopâtre middle class, princesse prête à porter, vide et extrêmement vivante, je me suis dit peut-être tenter le coup. Comme de s’inviter chez une femme dont chacun pense ce qu’il veut, mais finalement c’est elle qui vous intimide.

Propos recueillis en mai et décembre 2008

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La Colline (Théâtre National)

15, rue Malte Brun 75020 Paris

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La Colline (Théâtre National)
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Spectacle terminé depuis le dimanche 21 juin 2009

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