Jacques et son maître

La "variation-hommage" de Milan Kundera fait du roman de Diderot Jacques le fataliste une comédie jubilatoire peuplée de cyniques qui s'amusent de voir le monde pourri, de leurs victimes toutes désignées et d'un couple inséparable : Jacques et son maître.

Le maître n'est que par son statut : ne possédant rien d'autre, ni fortune, ni chevaux, ni même un nom, il se réfugie dans l'imaginaire des autres, et d'abord dans celui de Jacques. Jacques, lui, voit bien que le monde est pourri mais ne se résigne pas pour autant à abdiquer toute morale. Mettant un point d'honneur à désobéir à sa propre conviction que tout est écrit là-haut, il fait fi du déterminisme social pour donner une conclusion heureuse à telle aventure sordide.

Créer un instant de fiction d'où surgissent banquets inattendus et femmes callipyges, rester debout devant la mort, ne serait-ce que par une protestation solitaire que personne n'entendrait, n'est-ce pas le rôle de l'artiste ? Le temps dédoublé du récit induit un espace particulier : la scène est partagée entre passé et présent, entre espoirs et regrets, entre jeunesse et… jeunesse, foutredieu. La frontière est là, bien visible et si délectable à franchir. Mais en tournant inexorablement, comme l'aiguille d'une horloge, elle conduit insidieusement Jacques et son maître vers leur destin.

Par la Compagnie de l'écharpe, une pièce de Milan Kundera d'après l'oeuvre de Denis Diderot.