Un couple d’aujourd’hui. Il ne fait rien, ou presque. Ça sent la précarité, pas complètement la misère. Alors ils cherchent. Vaguement. Lui tombe sur l’étiquette d’une bouteille de vin. On lui propose de gagner de l’argent. C’est tentant et très mystérieux. Alors ils répondent et se disputent.
Voilà le point de départ d’Identité. L’auteur, metteur en scène et comédien Gérard Watkins est parti de sa colère contre l’amendement Mariani (abandonné depuis) qui autorisait les tests ADN dans certains cas de regroupement familial. Il en a tiré une pièce douloureuse et distancée, qui raconte le lent délitement d’un amour dans une société où règne le marketing et domine la question identitaire. Tragédie contemporaine sans cri ni violence, Identité est du théâtre « brut », dépouillé de tout artifice de mise en scène. Glaçant et grinçant.
En relisant ce que les réalisateurs Thomas Vinterberg et Lars Von Trier s’étaient racontés pour créer le dogme 95, je me suis aperçu que je m’étais imposé certaines règles concernant l’écriture du théâtre intimiste et minimaliste d’Identité. Et j’ai voulu les prolonger dans la mise en scène, qui pour moi est un prolongement de l’acte d’écriture. Les règles et restrictions du théâtre n’étant pas les mêmes qu’au cinéma, je les ai réorientées à ma manière. Pas d’entrée ni de sortie des personnages. Unité de lieu, évidemment. Pas de chaises, de canapé, de table, ni de fenêtres. Pas de bande son. Pas de construction de décor. Un seul élément de décoration achetable dans le commerce (ici, une moquette à poil long).
Pas d’arme à feu. Une seule source de lumière, ou direction de lumière. Pas de noir entre les scènes, au profit d’un seul effet qui dure toute la pièce. Ce que j’aime dans cette recherche, c’est la subjectivité des restrictions, de ce que l’on considère intimement comme artificielle.
John Osborne avait lâché une bombe en 1956 au Royal Court Theatre avec une pièce intitulé Look Back in Anger (bizarrement traduit la paix du dimanche, mais c’est difficile à traduire : la mémoire en colère paraît un peu pompeux). Il aura fallu attendre Blasted de Sarah Kane, quarante ans plus tard, pour retrouver ce niveau de polémique. J’ai toujours aimé ce théâtre-là et j’ai voulu m’y abandonner. Dans la pièce de John Osborne, Jimmy Porter disait : « et si on jouait à un jeu, si on faisait semblant qu’on était des êtres humains ? ». Marion Klein pourrait dire la même chose.
C’est une colère qui a guidé et qui a fabriqué la fiction d’identité. L’amendement Mariani “encourageait” les demandeurs d’asile à pratiquer des tests ADN pour leur regroupement familial. J’ai simplement retourné l’absurdité de cette loi sur un couple d’européens d’aujourd’hui. La famille, telle qu’elle s’invente aujourd’hui, n’a rien à voir avec l’hérédité. Depuis, cet amendement a été enterré, et un débat sur l’identité nationale a été ouvert. Ce texte trouve ici un nouvel écho et continue de travailler sur une mise en abîme vertigineuse de l’identité. Le théâtre politique n’est pas une fin en soi, car quand on travaille en profondeur, les réalités deviennent de plus en plus complexes et irrationnelles.
Pour faire face, des réponses artistiques doivent se multiplier pour créer une richesse de point de vue. Pour cela, je trouve la pratique du théâtre aujourd’hui en France étrangement absente, par rapport au cinéma ou la musique. Or, les possibilités d’échapper aux leçons de morales creuses par la présence des corps et de la poétique y sont infinies.
J’ai voulu écrire un texte d’histoire, trouver une forme de théâtre d’histoire, et j’ai fait beaucoup de recherches sur la rafle du Vel’ d’Hiv’. Je n’ai jamais réussi à trouver la forme, ni le théâtre pour ça. Mais cette recherche est très présente dans Identité. Je pense que je dois m’accepter, et accepter le fait qu’il doit toujours y avoir une part d’invention et de torsion des réalités dans ce que j’écris. J’ai beau déguiser cette pulsion avec des situations de plus en plus réalistes, c’est toujours là. Mais on a caché et masqué cette histoire trop longtemps. Et elle ressurgit dans Identité, à une place assez centrale. Comme si elle scellait le destin des personnages et de leur choix.
Gérard Watkins
76, rue de la Roquette 75011 Paris