Et qui pourrait tout raconter ?

Deux spectacles réunis : Le Seigneur Guan va au banquet de Guan Hanqing, traduction Bernard Pautrat et Les sept contre Thèbes d'Eschyle, traduction Leconte de Lisle.

• Traverser le champ de bataille

La Ville retentit de confuses clameurs ; la multitude ennemie l’enveloppe d’une muraille hérissée. L’homme est tué par l’homme avec la lance. Les vagissements des enfants à la mamelle et tout sanglants retentissent.
Voici les rapines, compagnes des tumultes.
Celui qui va piller se heurte à celui qui a pillé ; ceux qui n’ont rien encore s’appellent les uns les autres ; aucun ne veut la moindre part, mais tous veulent la plus grande portion de la proie. Qui pourrait tout raconter ?

Eschyle, Les sept contre Thèbes

• Non, c’est vous !

La légende veut que sous l’Occupation, visitant l’atelier de Picasso et à la vue d’esquisses préparatoires pour un tableau représentant un charnier, des officiers allemands demandèrent « C’est vous qui avez fait cela ? » et l’artiste de répondre, « Non, c’est vous ».

Qui pourrait tout raconter est une tentative pour mettre en avant un aspect du travail de l’artiste, celui que l’émotion provoquée par le contenu de l’œuvre fait souvent oublier. S’il est un « art de la guerr  », il existe aussi un art de faire la guerre à la guerre. C’est un art qui, tout comme l’autre, connaît ses stratégies et ses tactiques. Ce sont elles que nous espérons faire toucher du doigt en faisant le grand écart entre la Chine du 13ème siècle (après Jésus-Christ) et la Grèce du 6ème siècle (avant Jésus-Christ).

Considérer le spectateur comme un artiste - je pense à Brecht qui parlait d’un « art du spectateur » - c’est considérer que, selon les termes de Konrad Fiedler, philosophe allemand de la fin du 19ème siècle : « l’art vaut par ce qu’il accomplit en lui-même et à chaque instant de façon pleine et entière. En nous amenant à un degré de présence de l’être qui se réalise en lui, il libère involontairement notre esprit de toutes les contraintes sous lesquelles nous apparaît l’image de la vie et il fait naître en nous une conscience claire de la réalité (...). »

Bernard Sobel