Dom Juan

du 17 septembre au 22 octobre 2010
2h15

Dom Juan

CLASSIQUE Terminé

Dom Juan refuse la grammaire. Il refuse de découper le temps en passé, présent, futur. Il pose le temps du « désir », le temps de l’éternel présent, comme principe absolu de son mode de vie. Il a le courage de son désir, le courage de transgresser et de dénoncer les règles morales édictées, au nom d’une vie après la mort, par un pouvoir religieux hypocrite.

Une énigme
Note du metteur en scène

  • Une énigme

Dom Juan est insaisissable. Il échappe aux multiples auteurs qui ont contribué à construire son mythe.

Peu de personnages fictifs auront connu la fortune de Dom Juan. Il bat tous les records. Dom Juan est un argument, remarque José Bergamin. Un argument affiné sous le soleil andalou par Lope de Vega et surtout par Tirso de Molina, qui dans Le Moqueur de Séville est un des premiers à utiliser ce nom qui deviendra célèbre de Dom Juan – pas encore un adjectif, quoique cela ne saurait tarder. Mais ce qui intrigue dès le début de la pièce de Tirso de Molina, c’est cette réponse de Dom Juan quand on lui demande qui il est, « Qui je suis ? Un homme sans nom ». Cet « homme sans nom », dont le vrai nom serait le Moqueur (en espagnol Burlador), représente selon Bergamin un anti-Dieu, « ce qu’il veut, il l’exige impatiemment dans l’action, le seul feu de l’action, pur, comme Dieu, par lui et pour lui seul. Il renie chrême et baptême pour l’atteindre ; il reste sans nom de baptême, en homme exclusif, intempestif, en tout et en rien, en pure négation du temporel ».

C’est là que se marque la transformation sensible apportée par le personnage imaginé par Molière dans son Dom Juan ou le Festin de pierre, qui est lui, non pas un anti-Dieu, mais un athée. Il y a chez Molière une radicalisation décisive, un positionnement de nature au fond politique vis-à-vis de la société de l’époque. Ce qui vaut d’ailleurs à Dom Juan d’être présenté dès l’ouverture de la pièce comme un danger public. C’est du moins la réputation qui lui est faite si l’on en croit Sganarelle, persuadé que tout le monde voit en Dom Juan « le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un diable, un Turc, un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou, qui passe cette vie en véritable bête brute, un pourceau d’Epicure, un vrai Sardanapale, qui ferme l’oreille à toutes les remontrances qu’on peut lui faire, et traite de billevesées tout ce que nous croyons ». Une description tellement excessive qu’on mourrait presque d’envie de faire la connaissance du bonhomme en question.

En quoi Dom Juan est bien un séducteur. Le « scélérat » nous est éminemment sympathique dans son rôle d’opposant. Certes, il semble quelque peu obsessionnel dans sa détermination ; ce qui au passage fait curieusement de lui un personnage faussement volage. Tout le contraire même, car il est d’une constance inébranlable dans son projet et se tient toujours aux objectifs qu’il s’est fixés. En quoi Dom Juan est effectivement un personnage redoutable et politiquement dangereux. N’est-il pas avant tout un stratège, un conquérant qui se compare lui-même à Alexandre le Grand ? D’un autre côté, le séducteur insatiable n’est pas dépourvu d’une certaine mélancolie. La force même de sa détermination tend à générer en lui une forme de détachement, de désintérêt ; pas seulement pour ses conquêtes, mais pour son propre jeu auquel on dirait que lui-même ne croit plus vraiment. En ce sens, sa confrontation avec la mort à travers la figure du convive de pierre ressemblerait presque à un suicide.

Cette complexité d’un personnage que l’on pense connaître si bien qu’on le réduit souvent à ses clichés les plus évidents, Marc Sussi a voulu l’approfondir, en examiner de près les nuances et les détails. Évoluant depuis longtemps dans l’univers du théâtre dont il est un grand connaisseur, Marc Sussi ne s’était encore jamais lancé dans la mise en scène. Il avait tout de même tenté quelques incursions du côté du cinéma et réalisé plusieurs courts-métrages. « Au cinéma, on raconte des histoires. Au théâtre, c’est différent, on n’est pas exactement dans la narration. Au théâtre, on se situe par rapport à toute une histoire ; il y a comme des couches constituées par l’accumulation des interprétations et des réceptions successives du texte.» Avec Dom Juan, c’est particulièrement flagrant. » Du coup, en choisissant de franchir le pas en montant Dom Juan, il découvre, non sans satisfaction, le plaisir qu’il y a à s’emparer d’un texte en quelque sorte de l’intérieur. De même que Georges Didi-Huberman a pu parler d’ « ouvrir Vénus », il s’agit pour Marc Sussi d’ouvrir Dom Juan ; de donner à voir les rouages du personnage, de sonder ses motivations, mais aussi d’analyser les résonances de ce texte dans notre réalité contemporaine.

Car Dom Juan, même s’il est universel, reste toujours une énigme. On ne l’épuise pas. Ce qui explique sans doute que tant d’auteurs aient eu le désir de façonner à leur tour leur propre version du mythe. Ce qui n’empêche pas pour autant que l’on revienne toujours au personnage inventé par Molière. Ce personnage qui semble traverser les âges, qui a peut-être toujours existé, trouve sous la plume de Molière sa formulation la plus complexe. « Il y a chez Dom Juan un fantasme de puissance qui fait écho à notre époque, analyse Marc Sussi. Il prend les femmes pour des images. Il y a une curieuse absence du corps de la femme dans la pièce. Comme si l’érotisme s’arrêtait à la parole. Il n’y a pas de passage à l’acte. Dom Juan tombe les filles en leur promettant le mariage, mais dès qu’elles ont cédé, il s’en va en courant. Aurait-il peur de l’acte sexuel ? Quand Charlotte lui demande un bébé, il répond : « D’accord, quand on sera mariés ». Autrement dit, il se débine. Donc il passe, comme ça, de femme en femme. Mais pourquoi ? Dans le spectacle, on essaie de suggérer un point aveugle. Ce que Dom Juan ne dit pas. Et qui pourtant le travaille en profondeur. Une motivation qu’il se cache à lui-même et qui serait, peut-être, de l’ordre de l’inconscient. »

Hugues Le Tanneur

  • Note du metteur en scène

L’envie de monter cette pièce, maintenant, est venue d’une nécessité, celle de raconter l’histoire d’un homme qui rêve de vivre sans avoir de compte à rendre à la mort. Dom Juan refuse la grammaire. Il refuse de découper le temps en passé, présent, futur. Il pose le temps du « désir », le temps de l’éternel présent, comme principe absolu de son mode de vie.

Il a le courage de son désir, le courage de transgresser et de dénoncer les règles morales édictées, au nom d’une vie après la mort, par un pouvoir religieux hypocrite. Sa leçon est toujours bonne à entendre, à l’heure où nous vivons un « retour du religieux ».

Cette apologie du désir, qui n’est pas sans faire écho à l’apologie contemporaine de la consommation (Molière avait de l’avance !), peut cependant facilement se renverser. C’est toute la beauté de la pièce. Dom Juan, en l’absence d’alternative politique, se condamne à fantasmer sa propre mort avec un commandeur qui n’est au fond que son propre miroir.

On a souvent dit que la pièce était mal construite, hybride, mais c’est ce patchwork de formes qui en fait sa modernité. Un assemblage d’éléments contraires où le tragique se mêle à la comédie. Molière, bien avant les surréalistes, invente une nouvelle forme de théâtre : le collage.

Marc Sussi

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Spectacle terminé depuis le vendredi 22 octobre 2010

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