Comédie non divine

du 7 au 16 janvier 2005
2H00

Comédie non divine

Le Comte Henri, déçu par la vie tranquille de l’establishment, abandonne son foyer… rendant sa femme à demi folle par sa recherche obsessionnelle de l’absolu. Choisissant l’engagement politique, il tente en vain de devenir un autre homme. La pièce retrace le drame d’un homme manipulé par ses fantasmes et son désir du pouvoir. La tragédie d’un homme face à une crise de la civilisation, au passage d’une époque à l’autre, à la dimension de celle que connaît le Faust de Goethe. Un drame poétique qui fait partie aujourd'hui des grands classiques du romantisme polonais, où Krasinski livre sa réflexion sur le mouvement révolutionnaire.

Aux erreurs accumulées par leurs ancêtres, ils ajoutèrent ce que leurs ancêtres ne connaissaient pas : l'hésitation et la crainte ; et il advint ainsi qu'ils disparurent de la surface de la terre, et il s'est fait après eux un grand silence. L'Anonyme

L'opposition stérile de nos idéologies politiques
Zygmunt Krasinski, poète et guide spirituel
Un drame poétique
Actualité de la pièce
Langage / écriture de Krasinski
Lecture scénique
Langage théâtral / mise en scène
Note sur la vidéo

En pensant à Comédie non divine, les concepts qui me viennent à l’esprit sont la perdition et l’impasse à tous les niveaux... familial, politique, idéologique ou artistique. Ce drame me paraît d’une étonnante actualité : il parle des fantasmes des hommes et de leur décalage avec la vie... des manipulations et tromperies de ceux qui possèdent le pouvoir... de l’art qui a perdu son identité, et son désintéressement...

Lors des représentations, je voudrais insister sur le vertige et le mélange des langages, les univers qui se côtoient. J’aimerais aussi souligner la superficialité du spectaculaire dans l’art des idées et lui opposer la violence d’émotions qui ne parviennent pas à se former ou se manifester.

Pour y parvenir, la mise en scène jouera de plusieurs moments volontairement séducteurs... cherchant à faire rêver le spectateur à la manière des jeux télévisés omniprésents aujourd’hui... une séduction de surface, prenant le spectateur au piège de goûts formés et flattés par les médias...

Une toute-puissance qui se lit jusqu’à la récupération (assez récente) des grands événements politiques : les révolutions et guerres semblent à présent programmés et bases d’émissions spectaculaires et savamment propagandistes.

Il semblait donc intéressant de placer la scène de Comédie non divine dans un univers entre le plateau télé et le parlement... d’interrompre le texte par des interventions extérieures : paroles engagées ou politiciennes, discours télévisuels.

Il s’agira de mettre en scène l’opposition stérile de nos idéologies politiques conservatrice contre progressiste, ce dualisme manichéen régnant en Europe depuis le XIX siècle qui n’a pu aboutir qu’à la déception et au désengagement. Révélant comment peu à peu, une impasse idéologique a conduit notre société vers le stoïcisme, l’hédonisme, les valeurs commerciales ou faussement spirituelle, Comédie non divine, malgré son pessimisme apparent, nous transportera par son énergie et par son engagement.

Et pour révéler cette énergie, il semble important de transporter la scène par une véritable force de jeu... le spectateur séduit par le spectaculaire, par le vertige des sens, la puissance de paroles manipulatrices, par l’envie de communion pourra ainsi être projeté soudainement vers le vide et la nudité... Cette moderne catharsis le mettra face à ses propres envies : le plaisir facile du voyeurisme et de l’autosatisfaction - il n’existe ainsi rien de plus démoralisant qu’un théâtre fier de lui, d’un public qui applaudit lorsqu’on vient de flatter ses tendances et par là de le tromper. Pensant à l’époque nazie, Bond écrivait que tout uniforme appelle la nudité... le plaisir trompeur appelle à des somnolences et à la dissolution de l’être, l’engagement fanatique nous évoque les stades et la nudité des cadavres.

Urszula Mikos

PS. Avant le spectacle nous proposerons une exposition-installation autour des manifestes et paroles engagées, utilisant des projections, des textes, des enregistrements. Cette exposition comportera des paroles totalitaires et révolutionnaires, des paroles des grands mouvements de crise... de celles qui donnent une énergie de transgression, parfois destructrice, parfois libératoire...

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Krasinski est l’un des grands poètes de ce qu’on appelle « la trinité romantique polonaise » Mickiewicz, Slowacki, Krasinski... de grands poètes mais aussi des guides spirituels pour la nation captive et déchirée, qu’ils stimulent et motivent de leurs exils à Paris.

Krasinski est méconnu en France où pourtant il est né et aimait séjourner, où il a écrit et publié ses drames et poèmes et où il a fini ses jours. Dans son œuvre immense, quatre textes se détachent nettement : Comédie non divine (1833), Iridion (1834) et deux œuvres poétiques L’Aube et les Psaumes de l’avenir ainsi qu’une énorme correspondance de 3500 lettres, adressées à quelques cent cinquante correspondants à travers l’Europe. Si ces textes avaient été mieux connus, ils auraient sans doute placé le poète au premier rang des géants du romantisme européen.

Krasinski était un homme de grande curiosité, un esprit brillant et érudit. Grâce à ses voyages, à son étonnante intuition et son intelligence, il devient un précieux témoin des situations politiques et culturelles de l’Ouest comme de l’Est. D’une certaine manière, il prévoit les grands bouleversements historiques à venir. Sa correspondance témoigne d’ailleurs de plusieurs cas de prédiction ; par exemple à plus de cent ans à l’avance, il annonce la pesante menace de la Russie communiste sur l’Europe et le monde...

Quel don d’observation et quelle acuité d’analyse dans cette lettre du 1er décembre ! Krasinski y parle de civilisation menacée dans son existence morale, engourdie dans son bien être matérielle : « ... tous les nobles sentiments ont péri aujourd’hui dans l’Europe occidentale. La patrie ne joue plus de rôle ; le bonheur matériel est tout. Ceux qui le possèdent désirent le calme ; ceux qui ne l’ont pas désirent la lutte pour l’acquérir... aussi j’ai foi en une vaste désolation. Il faut que tout s’écroule en ruine, que tout devienne cimetière, et alors j’espère en une régénération, mais pas avant. »

Il pressent les drames dans lesquels nous nous débattons aujourd’hui et comprend le danger que fait encourir une civilisation surtout tendue vers le terrestre, le bonheur matériel - valeur prédominante sur tout autre… l’acquisition des biens terrestres ne peut que livrer l’humanité à la haine et la violence, à la lutte pour le pouvoir, au commerce des biens et de l’argent, mais aussi des âmes...

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Ecrite en 1833, Comédie non divine, dont le titre fait évidemment référence à l'œuvre de Dante, fut publiée anonymement deux ans plus tard dans l’édition parisienne Pinard sous la forme d’un livret en polonais. Le jeune Krasinski choisit d’ailleurs de la laisser circuler sans signature pour ne pas nuire à sa famille et plus particulièrement à son père, un général napoléonien devenu vassal servile du tsar.

Zygmut Krasinski avait à peine vingt et un ans lorsqu'il rédige ce drame poétique qui fait partie aujourd'hui des grands classiques du romantisme polonais. Profondément ébranlé par la révolution française de 1830, par les émeutes ouvrières de Lyon ainsi que par les opinions très conservatrices de son père lors du soulèvement polonais de 1830, le jeune poète y livre sa réflexion sur le mouvement révolutionnaire : « J'ai écrit un drame traitant des affaires présentes de ce monde, du principe aristocratique et populaire. Le héros est un comte et un poète tout ensemble ; je l'ai mis en contraste avec un chef populaire, un homme de génie sorti de l'obscurité et s'avançant à la tête d'un million de cordonniers et de paysans. J'ai introduit des scènes convulsives sur les ruines de cathédrales abattues, des chants plein de frénésie, des chœurs de juifs baptisés, de saint-simoniens, de femmes libres, de prophètes de l'avenir, de valets de chambre émancipés, de bouchers indifférents à tout sauf à la passion du sang, de clubs d'assassins. Puis, au milieu de cela, j'ai montré le chef comprenant son œuvre, et les prosélytes, entraînés par l'enthousiasme, ne comprenant rien... »

Mais le génie de Krasinski ne se borne pas à ce questionnement idéologique et politique : tout en peignant foules et moments historiques, il donne une grande humanité à chacun de ses personnages. Même lorsque ceux-ci vivent une profonde et douloureuse mutation : la pièce retrace le drame d’un homme manipulé par ses fantasmes et son désir du pouvoir. la tragédie d’un homme face à une crise de la civilisation, au passage d’une époque à l’autre, à la dimension de celle que connaît le Faust de Goethe tellement apprécié par Krasinski. Le Comte Henri, déçu par la vie tranquille de l’establishment, abandonne son foyer… rendant sa femme à demi folle par sa recherche obsessionnelle de l’absolu. Choisissant l’engagement politique, il tente en vain de devenir un autre homme. L’opposition entre ses espoirs et la réalité l’amèneront alors peu à peu au suicide...

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Au-delà d’un jugement de la révolution ou des régimes conservateurs ou de leur affrontement, au-delà d’un conflit entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas, ou d’une discussion sur qui peut avoir raison dans l’histoire, l’ancien ou le nouveau, l’œuvre de Krasinski interroge le pouvoir et ses esclaves, l’impasse des idéologies, les méthodes de propagande et la manière dont on façonne les nouvelles tendances et les nouvelles idées.

Elle questionne les attitudes et les engagements moraux sur lesquels se basent la création, la relation envers l’autre, envers le monde politique... elle met en scène l’effondrement du vieux monde et les « pêchés » du nouveau… dysharmonie, chaos, éclatement de tout ordre ancien... un monde sans Dieu. Et par-là, Comédie non divine nous pousse à poser la question : où réside le sens de l’histoire ? Y en a-t-il même un ?

On a beaucoup écrit sur le vide ou sur la désintégration de la personnalité, sur la cruauté cachée et le désarroi de notre époque mais on n'a jamais dévoilé avec une telle force l’impasse du pouvoir et la perdition des hommes dans un univers manipulé par des forces devenant extérieures à lui-même.

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Krasinski refuse un langage univoque pour exprimer la complexité humaine et s’attache à faire coexister les différents modes d’expression audibles dans la réalité : langage cru ou quotidien, discours politique, élan poétique, verbe intime ou lyrique, idiomes professionnels… il avait la certitude que la vérité sur l’homme est complexe et relative et que - comme Shakespeare le montrait - il existe un voisinage étroit entre le tragique du destin de l’homme et sa drôlerie, la trivialité de sa vie quotidienne et métaphysique.

La liberté d’écriture trouve son prolongement dans la liberté de construction de la pièce : « le scénario des pensées et des images ». La destruction des règles classiques semble ici poussée à ses limites les plus extrêmes : les scènes fantastiques se mêlent avec les descriptions, les commentaires (comparables à ceux qu’effectuent un chœur grec) et les situations les plus banales de la vie quotidienne. Des scènes très brèves, presque des flashs, ont la même importance que les scènes plus longues. Leur enchaînement n’a pas toujours de sens logique, parce qu’elles apparaissent parfois comme des sortes d’expulsions de pensées poétiques ou organiques qui créent une impression hallucinatoire et vertigineuse au moment de la lecture.

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 " Le monde de tous les jours est peuplé d'événements médiatisés, neutralisés qui arrivent sous forme de flashs et de reportages inlassablement rediffusés. L'histoire est une histoire racontée à une société spectatrice et infantilisée. Plus besoin de la vivre. " (article d'Alexandre Wong sur mise en scène d'Urszula Mikos, Cassandre mars 2003)

Krasinski accomplit un des plus beaux exemples de réalisme fantastique mêlant monde réel et monde imaginaire. Il nous plonge dans un univers où ces mondes apparaissent comme égaux et s’influencent perpétuellement, interagissent, interfèrent.

En même temps, il nous fait prendre conscience de la manière dont le monde virtuel des rêveries, des fantasmes, des obsessions peut se révéler fallacieux, facilement manipulé et fabriqué par des forces extérieures : à cette époque, on pensait à des forces surnaturelles, aujourd’hui, on se représente plutôt le pouvoir des médias, d’une certaine culture, de la politique. Ce décalage entre la vie réelle, parfois prosaïque et dure, et un monde « imagé » et virtuel ne peut nous amener que vers la frustration et la perte de contrôle de soi ou vers la somnolence et la passivité.

La société nous offre d’ailleurs de plus en plus de moyens pour augmenter ce décalage : la vie de tous les jours se durcit alors que « les écrans » se colorent, se peuplent de jeux, les journaux se remplissent d’articles hagiographiques, de descriptions de personnalités modèles, de philosophie vulgarisée. Ces filtres contribuent à dissoudre notre conscience dans des détails commerciaux, nous fabriquant tendances et modes, sorte de drogues à notre portée pour nous isoler de plus en plus et nous ôter toute possibilité d’agir. Si l’art pouvait apparaître comme une échappatoire possible, il s’est laissé progressivement contrôlé par un pouvoir marchand et une nouvelle race régnante, celle de l’intellectuel bourgeois légèrement bohème.

La première partie du drame s’achève dans une maison de fous - lieu où le monde imaginaire prend le pouvoir sur le quotidien : les fous souffrent chez Krasinski d’une sorte de complexe de supériorité, d’un désir de grandeur ; les uns souffrent pour les peuples, les autres pensent le gouverner, avoir des pouvoirs de prédiction… des caricatures étonnamment contemporaines où des gens se projettent dans la vie de stars de séries télévisées jusqu’à perdre contact avec eux-mêmes, jusqu'à vouloir ne faire qu’un avec leurs idoles, les imiter ou leur ressembler exactement.

Pour Henri, personnage central du drame, les fausses apparences de la poésie et le désir d’atteindre un idéal ne peuvent conduire que vers la déception... l’idéalisation du monde, l’espoir d’échapper au quotidien perdent force devant le moindre petit malheur domestique. S’il perd peu à peu le simple désir de vivre et n’accepte plus la routine de sa vie quotidienne, ne trouvant plus de réconfort dans les sentiments, il constate son absolu manque de désir, son sentiment de vide et d’échec, d’infinie solitude. Ce décalage entre rêve et vie réelle peut amener vers la folie, mais Henri en réchappe en trouvant un sens à son existence dans le pouvoir et la gloire, dans le désir de gouverner les « âmes ».

D’un piège, il tombe en fait dans un autre et pour la deuxième fois, sera influencé par les forces du mal. Il se précipitera alors dans le tourbillon de la vie publique et défendra, étant lui-même aristocrate, les conservateurs du vieux monde.

Dans cette partie qui peut apparaître comme l’aventure personnelle et familiale du Comte Henri, se préfigure déjà la suite du drame avec l’apparition d’autres personnages comme le philosophe... et surtout les voix des fous qui reflètent la maladie de l’histoire, le désarroi au seuil d’un changement majeur. La femme d'Henri s’écrie ainsi : « le monde voltige en tout sens, en haut en bas. Chaque homme, chaque vermisseau se croit dieu, et ils meurent tous les un après les autres... »

La deuxième partie débute par le surprenant tableau de ceux qui vont créer le monde nouveau ; les groupes de révolutionnaires, des larbins, les bouchers, les paysans et les élites de la révolution (artistes, prêtres d’une nouvelle religion laïque, les philosophes)...

Il ne s’agit pas bien sûr d’une présentation objective, nous nous trouvons au contraire face à l’imaginaire incroyable, cinématographique de Krasinski, mélange de macabre et de grotesque, de caricature, de violence et d’euphorie... c’est la folie, le désespoir et le désir de vengeance qui libère les instincts de toutes ses limites. Si encore le monde des gens simples pris par la frénésie du pouvoir et de liberté peut trouver son sens dans la haine, les avant-gardistes, les idéologues sont représentés comme des groupes de fanatiques avides de pouvoir.

Seul Pancrace, le meneur de la révolution et adversaire du comte Henri échappe à cette caractérisation des élites révolutionnaires. De plus en plus solitaire avec son charisme et son pouvoir, il pressent rapidement l’impasse des changements radicaux.

Les deux adversaires se mettent alors à se ressembler puisqu’ils n’appartiennent plus au temps, ancien ou nouveau... Henri tente de ressusciter l’âge d’or, une époque pleine de grandeur et rêve d’une époque renouvelée, inconnue. Pancrace veut la destruction du monde ancien et rêve de la grandeur d’une civilisation de l’avenir : « le monde libre avec des gens libres » à l’instar de Faust. En comprenant que ses pensées resteront simples utopies et que de la destruction ne peut naître le monde dont il rêvait, Pancrace meurt, frappé par une vision, criant « Galilée Vicisti ». Le Comte Henri, lui, se suicide pour ne pas assister à la cruelle défaite de son ancien ordre.

Se posent alors quelques questions d’une brûlante actualité : est-ce que le monde des gens oppressés, dépossédés peut devenir le fondement d’un nouveau monde ? Est-ce qu’il mettra fin aux cataclysmes et rendra le bonheur aux gens ?… La médiocrité et la somnolence de ceux qui ont gouverné jusqu’à présent ne seront-ils remplacées que par l’euphorie et la violence ?... les victimes du passé deviendront-ils les vainqueurs aujourd’hui ? L’histoire tire-t-elle des leçons, n’oublie-t-elle pas rapidement les vrais désirs des gens, libérant seulement des forces de destruction ou de pouvoir ?

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Sans bien évidemment connaître le cinéma, Krasinski par ses descriptions de lieux, ses transitions brèves d’une scène à l’autre, ses changements d’espaces continuels, utilise une liberté quasi cinématographique. Le montage des scènes rappelle celui d’un film, les didascalies donnent l’impression au lecteur contemporain de suivre une caméra... véritable utilisation du travelling.

On pénètre l’intérieur du cerveau de l’homme, ses fantasmes, son monde mental, son imaginaire. Dans une telle perspective, l’utilisation de la caméra vidéo permet de jouer sur les changements de perspectives, les manipulations sensorielles et visuelles. La « virtualisation » de notre vie, telle que Krasinski l’a devinée, peut nous amener vers un oubli total de nous-mêmes... L’aspect hallucinatoire de la mise en scène doit donc niveler la frontière entre ce qui est vrai et ce qui est faux, entre fiction et réel, entre rêve et veille : suis-je en train de regarder ou suis-je regardé ? Qui possède le pouvoir sur qui ?

L’utilisation de la caméra provoquera l’impression de la surveillance omniprésente d’un œil extérieur, la sensation constante d'une oppression. Le comédien dans cet univers ne peut avoir de repos même s’il se trouve dans les coulisses : il sera épié, même s’il ne joue pas, même s'il « est » tout simplement, tout devenant nécessairement observable et objet d’observation.

La mise en scène s’attachera à interroger les limites de la liberté de l’homme, dans un monde médiatisé et contrôlé où les rêves eux-mêmes ne peuvent plus rester privés, où la révolution et la destruction elles-mêmes sont programmées.

Les scènes brèves, marquée par la rapidité du mouvement, les changements, les passages du fantastique au quotidien, du contemplatif au macabre, au grotesque provoquent aussi une réflexion sur la complexité du jeu : un éclectisme s’impose. Un jeu presque cinématographique - où les acteurs évoluent comme de personnes privées (en apparence) qui semblent habiter la scène - permettra ainsi de pénétrer dans le monde sensible et intérieur du personnage, sa pensée, son monologue intérieur. Un jeu plus formel, jouant de la dépersonnalisation, ouvrira les questions fondamentales de la perte d'identité au profit d'un langage, d'une passion ou du poids de l'histoire. La confrontation entre ces types d’incarnation : corporel, énergétique, formel, distancié donnera ainsi l'impression de prendre une position intérieure et de voir, de vivre avec ses yeux, de connaître ses différents états de conscience et ses divers rapports au monde.

Dans un tel spectacle, la mise en scène se doit d’interroger les limites du théâtre. Elle se doit également de questionner la place du comédien dans le théâtre, un comédien oscillant entre réalité et représentation, entre authentique et artificiel, entre véracité et création, entre liberté et enfermement… et ainsi replacer la question du jeu de l’acteur au centre même de la représentation…

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La partie vidéo du spectacle en apparaît comme une composante indispensable, celui-ci traitant des manipulations effectuées par les images, créatrices de fantasmes ou d'illusions, en même temps que paradoxalement, il utilisera d'autres images, profitant de leur force évocatrice et de leur capacité à révéler leur réel.

Une partie de pièce sera ainsi présentée comme un journal télévisé où reportages et commentaires informent le spectateur sur les activités des camps des révolutionnaires, ou sur la réalité de l'existence de certains travailleurs. La caméra, « objective », pénétrera aussi dans les réunions de camps opposés comme celui des conservateurs, permettant d'assister en direct aux débats semblables à ceux du Parlement.

Parallèlement, pour révéler le pouvoir de certaines images fédératrices, le spectacle introduira quelques fragments de films anciens, prolongements et paroles des grands mouvements révolutionnaires, jouant d'une force énergétique et enthousiaste même si on la sait aujourd'hui destructrice.

Afin de montrer l'interpénétration de ces différents, une partie des scènes sera enregistrée et travaillée dans les coulisses du théâtre... séduisant ainsi le côté voyeuriste du spectateur et pour ouvrir l'espace hors de la scène. Plus encore, en dehors de ces images projetées, la scène dévoilera une partie d'images plus intimes, la camera surveillant le comédien dans les coulisses.

ette omniprésence du film, ce pouvoir de la caméra ne manquera pas ainsi d'évoquer concrètement le totalitarisme de l'image... notre époque devenue celle de la surveillance, tout devient matière à reportage, à fiction, intégré dans un programme de propagande ou de voyeurisme, dans lesquels toute notion de secret ou de sacré disparaît, de la guerre à la vie la plus intime.

Ce traitement permettra peut-être d'aborder la question de la manipulation de nos consciences et de nos imaginaires... le pouvoir d'une certaine information ou de la propagande expliquant la complicité de peuples entiers à des actes de destruction... de l'Homo Sovieticus à aujourd'hui un Homo Capitalus, égoïste et oublieux de sa liberté.

Parallèlement à cet aspect théorique, la présence de la caméra peut influer de manière importante le jeu du comédien, permettant à la scène de rapprocher jeu théâtral et jeu naturaliste... Ce « jeu théâtral » en tant que tel a en effet perdu une partie de son sens ; il devient difficile de prêter foi à des principes de représentations parfois nécessairement extérieur, amplifiant émotion, imposant des ports de voix, des respirations expressives...

La caméra permettra alors de faire rencontrer deux modes de création théâtrale ouvrant parfois l'imaginaire du spectateur sur ce qui passe réellement dans l'esprit du comédien, sur les contradictions de son esprit et de sa perception.

La proximité du personnage, les micro-mouvements de son corps, son souffle même permettront également de développer une autre forme de jeu naturaliste, dans lequel un simple regard explique l'essentiel, dans lequel un plan serré amène un autre type de respiration plus condensée, plus oppressante.

Les points principaux d'optimisation des caméras et des images :
1) Images enregistrées, souvenirs ou révélatrices d'un ailleurs.
2) Bribes d'images kitsch fabriquées, obsessionnelles, lancées à la tête du spectateur... images mentales impossibles à traduire autrement que par l'utilisation de la vidéo. Même si elle traite d'époque différente, la pièce nous parle dans son souci de traiter l'aliénation et la désagrégation de la pensée...
3) Les images de caméra - surveillance. Le spectateur entre dans l'intimité des comédiens... les voit tenter d'échapper à cet oeil extérieur, fatigués, honteux peut-être du jeu excessif que leur a imposé la scène....
4) Les gros plans, miroirs déformant et révélateur de la fatigue qui attend la folie... Une caméra qui veut entrer dans la tête du personnage et témoigne honteusement de sa déchéance... par exemple la « reality camera » (qui suit des consommateurs de LSD ou de Crack)...
5) Une caméra voyeuriste qui veut dévoiler l'envers du décor et montrer les coulisses du théâtre, révélant par là même comment on peut mentir en créant l'illusion, comment un simple angle de prise de vue peut changer notre regard sur un être ou un objet.

Une caméra manipulatrice, témoin, qui perturbe le temps et l'espace, qui participe à la respiration du spectacle : le calme ou l'accélère, joue de sa subjectivité ou de son objectivité...

Ces choix permettront peut-être de viser à jouer d'une théâtralisation assumée tout en conservant le caractère intimiste d'une image rapprochée... ils viseront en tout cas à refuser de taire notre bagage théâtral tout en l'amenant dans notre nouvel espace mental et social. Rapprocher une culture contemplative et intellectuelle d'une perception plus facile, immédiate du monde, celle du sitcom, du spectaculaire - piégeant le spectateur dans cette contradiction et lui proposant de la transgresser - permettra ainsi d'exercer le pouvoir hic et nunc de l'art d'aujourd'hui, sa possibilité d'interagir avec le monde... de l'amener à refuser les tendances commerciales de distraction, facilité, qui ont d'ailleurs poussé le théâtre à perdre en route une partie de ses spectateurs toujours désireux d'émerveillement.

Technologies appliquées à la vidéo
La vidéo utilisera des surfaces de projection multiple sur tout l’espace du plateau : l’image dépasse son cadre conventionnel et raisonnable pour infiltrer toutes les dimensions du social. Quelques soit la source de l’image (archives, faux JT, publicité, webcams et caméra en direct…), quelques soit son intention, elle imprègne peu à peu tous les recoins du plateau, se divise en plusieurs écrans de toutes tailles, devient mobile, se fond dans la lumière et dans le décors pour finalement transfigurer une personne, un lieu ou une situation.

Les matières oscillent entre réalisme et abstraction, l’image d’une actualité devient une trame neigeuse, un faux présentateur une ombre fantomatique, un visage de comédien une déformation aqueuse.

La vidéo travaillera donc sur plusieurs dimensions en parallèle : l’espace et la texture, le temps arrêté et temps réel, le vivant et le mort.

Technologies appliquées au son
Le travail sur transformation vocale et sur l’espace permet une mise en perspective de la problématique de l’absence au théâtre. Les morts et les voix ont dans cette pièce une place si particulière que l’usage non-réaliste des transformations en temps réels permet un jeu sur l’ambiguïté de la présence théâtrale.
Par ailleurs l’utilisation de technologie temps réel manipulé par des musiciens sur le plateau, permet une intégration réelle du musical dans la conception scénique, les acteurs gardent toute leur technique d’interprétation dans un réel dialogue avec la machine qui touche à l’intimité de leur personnalité vocale.
Enfin l’intrusion de sonorités électro-acoustique dans des ambiances du 19e siècle, permet tout autant l’évidence d’une inquiétante étrangeté, qu’une réelle mise hors temps de la situation scénique.

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Spectacle terminé depuis le dimanche 16 janvier 2005

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