- « Oui j’essaie de creuser des galeries pour que l’air circule dans cet entassement de données. »
Si Michel Vinaver déclare trouver un charme irrésistible à l’affaire Bettencourt, c’est qu’il y voit réunis « tous les éléments d’un mythe ». Pour saisir cet écheveau indissolublement économique, politique, passionnel, il s’est nourri d’une documentation minutieuse.Mais la pièce va bien au-delà du théâtre documentaire.
Le regard singulier de Vinaver, son écoute légèrement en retrait, son ironie pénétrante font résonner derrière le comique à peine voilé de l’affaire les harmoniques tragiques d’une histoire française de longue durée. Outre ses protagonistes bien connus, la pièce met en en scène deux des arrière grands-pères des petits-fils de la milliardaire : Eugène Schueller, chimiste créateur de L’Oréal, financier d’extrême droite avant-guerre ; et le rabbin Mayers, assassiné à Auschwitz.
Bettencourt Boulevard fait la cartographie des subtils écarts ou des gouffres abyssaux – financiers, sociaux, éthiques – entre les êtres, dans un petit monde aux éclats longtemps étouffés, dont le propre semble être de ne s’étonner d’aucune disproportion.
Grand connaisseur de l’oeuvre de Vinaver dont il a déjà mis en scène Par-dessus bord et Les Coréens, Christian Schiaretti créera la pièce au Théâtre National Populaire en début de saison avant la reprise à La Colline.
Michel Vinaver a reçu le Grand Prix de littérature dramatique 2015 pour Bettencourt Boulevard ou une histoire de France, L’Arche Éditeur.
« Déclinées en trente morceaux, comme autant de mouvements en musique, les séquences s’entrechoquent sur un rythme soutenu. (...) Le spectacle pourrait en être insupportable, sans l’écriture de Vinaver extraordinairement éclatée, bousculant les temps, enchevêtrant les dialogues et les situations. Nourrie de mois de lecture d’archives et de coupures de presse, elle n’est pas simple illustration du réel, elle le transcende, quitte à virer à l’« hénaurme », à la farce. » Didier Méreuze, La Croix, 1er décembre 2015
« Par son audace et sa vitalité, Bettencourt Boulevard bouscule nos silences et nos prudences. » Médiapart
« Elégante et sarcastique, l’écriture de Michel Vinaver s’amuse à trouver la fable sous l’anecdote, et la tragédie sous le linge sale. » Libération
« Michel Vinaver sait élever au mythe le fait divers Tragique ou comique, c'est selon. L'homme a de l'humour, de l'ironie. (...) Vinaver, dans la mise en musique sobre et étincelante, ample et proche de Christian Schiaretti, nous donne juste à voir et comprendre notre société. Sans leçon il nous rend juste plus lucides et intelligents. » Fabienne Pascaud, Télérama TT
- Or tout est intéressant dans cette affaire
Une déchirure. Une trouée.
La trouée, effectuée dans notre actualité, par cette histoire, l’affaire Bettencourt...
Et sa façon de ne pas cesser de se dérouler, trois ans durant, avec sa ration quotidienne de révélations et de sujets d’étonnement, toujours renouvelée...
C’est déjà quelque chose.
Cette fenêtre ouvrant grand sur la partie la plus dissimulée de notre société, ouvrant très intimement sur son mode de fonctionnement — là où se frottent les uns aux autres les gens qui ont beaucoup d’argent et les gens qui en veulent beaucoup... les gens au sommet du pouvoir politique et du pouvoir financier... les gens au sommet de leur très honorée profession — médicale, juridique, policière et, pourquoi pas, artistique… — et les petites gens, au service des grands : femmes de chambres, majordome, intendant, comptable...
Fenêtre ouvrant sur la chasse aux honneurs, et sur les sentiers divers et variés de la corruption que les uns et les autres empruntent, chacun à sa façon, pour arriver quelque part, ou par difficulté de résister à la tentation, ou parce que ça ne fait de mal à personne... Version hard, version soft.
L’argent, donc, et ses effets. Mais non moins présents dans les profondeurs de cette histoire, la haine aussi bien que l’amour, dans des manifestations extrêmes.
Abondance de thèmes, légion de personnages, puissance des sentiments. Cette fenêtre, il y avait la tentation pour un dramaturge d’aller s’y pencher. Mais aussi quelque danger. D’abord, celui de l’indiscrétion. Ces gens sont des gens vrais, et il eût été vain d’en maquiller l’identité. Ils eussent été trop reconnaissables sous de faux noms ou autrement masqués.
En tout état de cause, mon propos ne serait pas de dénoncer quiconque. Ni de désapprouver un personnage. Si mon théâtre a une marque de fabrique, c’est qu’il ne comporte pas de jugement ou de parti pris. Il donne à entendre et à voir. Et toujours avec une composante de sympathie.
Mais il y aurait le danger de sur-interpréter, d’insuffler abusivement du sens, serait-ce par le seul effet du montage. Et comment sélectionner, dans un matériau si foisonnant, ce qu’on prend et ce qu’on laisse, et ce tri n’implique-t-il pas une pesée par l’auteur des différents éléments quant à leur degré d’intérêt ? Or tout est intéressant dans cette affaire. Et notamment la combinaison inextricable de l’extraordinaire et de ce qui est le plus banal. Généralement, dans la réalité, c’est le banal qui m’intéresse le plus… Un autre danger encore serait celui de la longueur. Je ne voulais pas d’une pièce longue. Alors il a fallu y aller sans se poser toutes ces questions. Sans plan. Sans construction préalable. Sans se reporter à la masse de coupures accumulées au cours des trois années passées. En faisant confiance au processus d’incubation dont j’avais été le siège.
II y a eu un déclic, cependant, qui s’est produit dans la confrontation de deux souches familiales, celle de Liliane Bettencourt, dont le père a fondé L’Oréal et milité dans la Cagoule, et celle de son gendre Jean-Pierre Meyers, dont le grand-père rabbin a péri à Auschwitz. Confrontation qui est venue apporter un socle tragique à cette histoire.
Ce qui n’empêche la drôlerie d’être de l’essence même de la pièce.
Bettencourt Boulevard ou une histoire de France. Qu’y a-t-il dans un titre et pourquoi celuici ? « Boulevard » parce que l’affaire est le plus large et le plus animé des boulevards, avec des véhicules de tout genre le sillonnant dans tous les sens ; « Ou une histoire de France » parce que c’est, ô surprise, ce que la pièce raconte — une histoire de la France depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à ce jour. On peut voir aussi, dans mon titre, un admiratif salut à Billy Wilder et à son chef-d’oeuvre, Sunset Boulevard…
La pièce se compose de trente morceaux, comme autant de galets se jouxtant sur une plage. J’en avais rédigé environ la moitié lorsque, Christian Schiaretti étant de passage à Paris, j’ai eu envie de solliciter une première réaction de celui qui avait monté deux de mes pièces déjà, Les Coréens (dans une coproduction Comédie de Reims – Comédie- Française) puis Par-dessus bord (dans sa version intégrale, au TNP puis ici même à la Colline.) M’ayant entendu lui en lire la moitié qui était déjà sur le papier, et sans savoir ce qui allait suivre — mais moi non plus — Christian sans autre délibération m’a dit qu’il était preneur pour sa saison suivante.
Présentation de Michel Vinaver à La Colline — Théâtre national, 5 mai 2015
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