Tracteur

du 10 janvier au 9 février 2003

Tracteur

Dans l'Est de l'Allemagne en 1945 : l'armée hitlérienne en déroute enfouit des mines dans les champs pour ralentir l'avancée de l'armée soviétique. Les soldats qui s'y refusent sont pendus. Un an plus tard : la famine sévit, mais les champs restent en friche ; paysans et tractoristes refusent de passer la charrue par peur de sauter sur une mine.

Présentation
Résumé
Heiner Müller (interview, 1986)
Comment le mort saisit le vif, notes de mise en scène

Tracteur ne dit pas grand-chose de l'instrument agricole du même nom. Comme souvent chez Müller, le vocabulaire de la production est utilisé pour dire les désastres de l'Histoire ou le processus de l'écriture. Tracteur : le mot, désignant tout mécanisme qui sert à tirer un corps, est d'abord apparu pour désigner un instrument de chirurgie servant à tirer le fœtus dans les accouchements laborieux. Tracteur raconte la naissance d'un enfant mort-né, un pays où a vécu l'auteur et qui a disparu peu de temps avant lui. Les morts étouffent les vivants, le terrain est miné. La pièce relate ce qu'il advient du champ de bataille après la bataille. Les catastrophes du passé engendrent d'autres catastrophes, ruines sur ruines, à l'infini. 

Tracteur, dans la traduction de Jean-Pierre Morel, est paru en France aux Editions Théâtrales en novembre 2000. La pièce n'a encore jamais été jouée en français. Le texte allemand, paru en 1974 à Berlin-Ouest, est suivi de cette note lapidaire : "Tracteur, écrit en 1956-1961. Montage de 1974". Montage peut vouloir dire mise au point et finition de l'ouvrage ; mais il peut désigner aussi la forme que Müller a choisie : l'entrelacement du texte principal (neuf scènes de dialogues ou monologues, pour la plupart versifiées) avec trois séries de textes intercalaires, des extraits de journaux, des citations politiques, philosophiques ou poétiques, et deux commentaires de l'auteur lui-même sur son texte. 

Tracteur contient aussi deux passages tirés de pièces de Müller dont les textes étaient alors inaccessibles en RDA : le discours final du tractoriste reprend la scène 12 de L'émigrante, pièce interdite en 1961 ; le témoignage du deuxième visiteur sur les humiliations endurées naguère aux mains des nazis est un fragment du texte confié au personnage du communiste dans la scène "Les frères 2" de Germania mort à Berlin (1956-1971), pièce interdite en RDA. Tracteur a ainsi aussi l'allure d'un mémorial d'œuvres interdites, procédé que reprendra Hamlet-Machine trois ans plus tard. La pièce fut créée à Berlin-Est, dans une mise en scène de Matthias Langhoff et Manfred Karge, à la Volksbühne dirigée alors par Benno Besson (première le 30 octobre 1975). Le spectacle réunissait La Bataille (1951-1974) et Tracteur

Heiner Müller a choisi Tracteur pour sa première mise en scène en tant que directeur du Berliner Ensemble en 1992-93 : le texte était cette fois suivi du Fatzer de Brecht.

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Dans l'Est de l'Allemagne en 1945 : l'armée hitlérienne en déroute enfouit des mines dans les champs pour ralentir l'avancée de l'armée soviétique. Les soldats qui s'y refusent sont pendus. Un an plus tard : la famine sévit, mais les champs restent en friche ; paysans et tractoristes refusent de passer la charrue par peur de sauter sur une mine.

Un peu plus tard : un paysan essaie de convaincre un tractoriste de passer la charrue sur son champ. Le tractoriste refuse en lui racontant la mort d'un de ses collègues : le tracteur avait heurté une mine. Le spectre du collègue mort apparaît au tractoriste et exige de lui le même sacrifice. Le tractoriste passe la charrue : explosion. 

Interruption du fil dramatique par l'auteur : ces scènes écrites quelques décennies plus tôt lui sont devenues étrangères. L'écrivain ne comprend plus cette volonté de "dramaturgie engagée", il s'identifie désormais au refus initial du tractoriste de risquer sa vie pour un champ de pommes de terre : "que m'importe la faim ? ". Monologue du tractoriste après/pendant l'explosion : son corps morcelé. Le tractoriste, amputé d'une jambe, reçoit deux visites sur son lit d'hôpital, dont celle d'un vieux militant communiste, rescapé des camps nazis. Ce dernier lui apprend qu'il est cité en exemple, son sacrifice en a fait un héros. Le tractoriste affirme qu'il regrette ce sacrifice et veut ravoir sa jambe. Nouvelle interruption du fil dramatique par un texte du philosophe grec Empédocle : la création de l'humanité s'est faite par combinaison de membres isolés qui se sont assemblés peu à peu. Le tractoriste accepte son rôle de porteur de la propagande officielle et tente de convaincre un paysan d'accepter la collectivisation agricole.

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Vous ne trouvez pas vos pièces tristes ? 

Les gens ont aujourd'hui une attitude dépravée envers le tragique ou envers la mort. L'idéal pour moi serait de "vivre sans espoir ni désespoir". Et cela s'apprend. Je pense que je peux y arriver. Les gens posent toujours des questions sur l'espérance. C'est une catégorie chrétienne. Ce problème n'existait pas pour les Grecs, les contemporains de Sophocle : on n'éprouvait alors ni espoir ni désespoir. On vivait. à cause du christianisme, l'attitude qui consistait à considérer le tragique comme un enrichissement de la vie et du théâtre s'est perdue. Le tragique est un phénomène vital : je vois un homme sombrer et cela me donne de la force. Aujourd'hui, quand on voit quelqu'un sombrer, la réaction courante est d'être déprimé. 

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Tracteur retravaille la scène originelle du théâtre européen : la confrontation d'un protagoniste et d'un chœur. 

Le tractoriste est l'individu asocial, obsti-nément singulier et centré sur lui-même, qui incarne simultanément la plus grande force de destruction ("après moi, le déluge ! ") et l'énergie vitale elle-même à son point incandescent et salutaire : refus de tout discours sacrificiel, refus de jouer un rôle de martyre pour la communauté, refus de toute mutilation de la vie présente et réelle au bénéfice d'on ne sait quel collectif ou lendemain qui chante. Face au tractoriste, toutes les autres figures de la pièce sont à traiter sur un mode choral. Elles n'ont pas réellement d'individualité, mais plutôt des numéros de série (Paysan 1, Paysan 2, Visiteur 1, Visiteur 2). Surtout, elles ont toutes un aspect spectral ou inquiétant, exigeant sans cesse le sacrifice du héros au nom d'un collectif des victimes passées. Elles cherchent à réintégrer le protagoniste dans le chœur au prix de son auto-mutilation, de sa mort ou de sa transformation en Héros de la propagande officielle, c'est-à-dire en son propre monument. Le personnage central subit peu à peu, après avoir maintes fois résisté aux appels du chœur, un retour au sein du collectif qui se signale par un devenir fantomatique, mécanique (la prothèse), minéral (sa métamorphose en statue-ambulante, en figure de propagande au service de la collectivisation agricole). Ou comment le mort saisit le vif. 

Irène Bonnaud 

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Spectacle terminé depuis le dimanche 9 février 2003

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