Titus Andronicus<br> la lamentable tragédie

du 9 janvier au 1 février 2004
3H50

Titus Andronicus<br> la lamentable tragédie

Titus, général romain héroïque, revient en triomphe à Rome après avoir combattu les Goths. Victime d’une terrible trahison, il nous met au défi de tenir en équilibre les contrastes extrêmes entre la douleur et la drôlerie. Pour Lukas Hemleb (qui a travaillé notamment pour la Comédie-Française et le Théâtre de l’Odéon), entrer dans l’épaisseur poétique de la première tragédie de Shakespeare, à travers la folie du héros, l’exagération cruelle ou la dérision grotesque, c’est tenter de comprendre, comme Titus, un monde incompréhensible.

Présentation
Un défi particulier

Anne Alvaro / Roland Bertin, entretien

Titus, général romain héroïque, revient en triomphe à Rome après avoir combattu les Goths. Victime d’une terrible trahison, il nous met au défi de tenir en équilibre les contrastes extrêmes entre la douleur et la drôlerie. Pour Lukas Hemleb, entrer dans l’épaisseur poétique de la première tragédie de Shakespeare, à travers la folie du héros, l’exagération cruelle ou la dérision grotesque, c’est tenter de comprendre, comme Titus, un monde incompréhensible.

Une mise en scène servie par de grands comédiens.

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Titus Andronicus nous met devant un défi particulier. Shakespeare, auteur de Titus Andronicus, est encore proche du monde médiéval : il introduit une répartition verticale en trois niveaux du plateau, dont les dessous représentent une fosse mais aussi l'Enfer, et les dessus à la fois les sphères du pouvoir séculaire et le Ciel. Au cinquième acte, il évoque des personnages allégoriques qui semblent issus d'un "mystère" du Moyen Age.

Le défi de Titus est de reconstituer théâtralement la démarche globale qui situe, par exemple, le premier acte dans la sphère supérieure d'un combat politique au plus haut niveau de l'Empire Romain, le deuxième dans une sphère où la densité sombre de la forêt et le cadre de la chasse marquent et soulignent l'éloignement de la cité et de la civilisation, où l'évocation du trou souterrain dissimulé sous des feuilles dont les taches de sang révèleront le meurtre qui y a eu lieu joue symboliquement avec des analogies salaces, mêlant trou, feuilles, sang dans une sombre allégorie de sexualité féminine dévorante...

L'époque dont Shakespeare est tributaire connaît un emploi des symboles qui est pour nous, dans le théâtre, de première importance. Le système des correspondances entre les constellations célestes, les humeurs humaines et d'autres macro ou micro phénomènes de l'univers rendaient l'homme lecteur du monde, déchiffreur d'énigmes, et le monde lui-même l'équivalent d'un livre plein de secrets et qui continue à être écrit. La pensée symbolique chez Shakespeare, en mutation permanente, est à la recherche continuelle d'une vision globale. Pour les contemporains de Shakespeare, le corps humain fait partie de l'écriture universelle, il peut être son objet, son support, voire son alphabet.

Les légendes des Saints et des Martyrs qui ont marqué l'esprit du peuple pendant des siècles, parfois plus que la Bible, sont l'exemple issu de notre héritage culturel qui montre en quelle mesure le corps ou la relique d'un corps est le territoire sur lequel se débattent différentes lectures du monde. Ce serait passer à côté de Shakespeare de concevoir en Lavinia uniquement la victime et non pas un mystère qui se révèle, la femme sanctifiée qui représente et incarne une souffrance universelle, la rendant visible et lisible. La macabre grammaire des membres coupés, et les sinistres calembours qui s'énoncent à ce sujet, renvoient à une dimension indicible qui dépasse l'entendement de l'homme.

Les personnages de Shakespeare apprennent par la souffrance. La question de la lisibilité du malheur est introduite par Shakespeare lui-même dans une formidable mise en abîme qui est un précieux épisode théâtral : Lavinia livre les clés de son destin en ouvrant un livre et en incitant à la lecture d'un passage des Métamorphoses d'Ovide.

Titus Andronicus est sans doute la pièce de Shakespeare la plus sanglante, celle où le sang et la violence frisent le plus, pour notre goût encore et toujours victorien, le ridicule. Mais c’est aussi la pièce la plus hiératique, la plus, en quelque sorte, médiévale, allégorique. Elle est construite sur une image, - irregardable, indicible si elle est reproduite dans sa vérité : celle de Lavinia, les mains coupées, la langue coupée, sortant de scène avec, entre les dents, la main, coupée, elle aussi, de Titus”, écrit André Markowicz dans la préface de sa traduction.

Pour que cette pièce ne ressemble pas à une pitrerie grossière sur le thème de la violence, il faut la creuser à la fois avec sensibilité pour la pensée de son époque et avec curiosité pour le contexte historique actuel. Titus Andronicus est parsemé de ruptures, de péripéties invraisemblables, d'épreuves par excès qui nous renvoient à nous-mêmes, aux déséquilibres et désordres qui nous entourent, auxquels nous pouvons uniquement faire face en creusant le monde du présent.

Tout ce qu'il y a de disparate dans Titus Andronicus, que ce soit folie du héros, excès de violence, exagération cruelle ou dérision grotesque, dévoile sa logique dans la volonté, celle de Titus et la nôtre, de comprendre un monde incompréhensible.

Lukas Hemleb

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C’est un conte très noir que l’histoire de Titus Andronicus, général romain en lutte contre les Goths. Vingt et un de ses enfants sont morts à la guerre. Homme droit, maladroit, il sera amené à exécuter l’un de ses derniers fils pour cause de désobéissance, à achever sa fille, violée, mutilée. Il se laisse manipuler par Tamora, laquelle veut à toute force venger l’assassinat de son propre fils. De meurtres plus horribles les uns que les autres en fausses réconciliations, la pièce s’achève sur une ultime vengeance : le banquet offert par Titus à Tamora. Ce banquet où lui seront servis les corps de ses enfants...

Anne Alvaro (Tamora) : La pièce est féroce, baroque peut-être mais à aucun moment grotesque. Elle peut évoquer Macbeth, Coriolan, voire Hamlet. On éprouve par instant un sentiment de retrouvailles : on est dans Shakespeare.

Roland Bertin (Titus) : Dans sa violence. Mais si les actions paraissent excessives, c’est qu’elles sont rassemblées. Dispersées de par le monde, on peut les reconnaître dans des pays qui ne vivent pas selon nos codes. Ou chez les enfants. Moi, avec des copains, je jouais à ce qu’on appelait “ l’exode ”. On se battait pour se tasser dans une voiture, ceux qui n’y arrivaient pas étaient censés mourir sous les bombes... Lorsque ma fille, la fille de Titus, Lavinia, est violée, mutilée, et qu’il la tue, ce n’est pas une question de cruauté mais d’honneur. Un crime d’honneur que dans sa position, il est obligé d’accomplir. C’est une affaire politique.

A.A : Politique avant tout, avec, au premier acte l’élection d’un empereur, les conflits qui s’ensuivent.

R.B : La première maladresse de Titus, due à son tempérament légitimiste, sera de faire attribuer le pouvoir à Saturnius, parce qu’il est le fils aîné de l’empereur défunt.

A.A : Et le premier grain de sable, est un acte de barbarie : le meurtre du fils de Tamora. Pour ces personnages vivant sous la loi “ œil pour œil ”, la vengeance devient inévitable. Elle est légale. La machine diabolique est en marche, plus personne ne peut l’arrêter. Alors on s’interroge, car prendre en charge le mal finit par dévoyer les pensées, les actes, par procurer une sorte de plaisir. La séduction du Mal ! Elle pousse à une sorte de frénésie qui peut amener le rire, mais c’est celui du débordement de vie. Jamais celui de la raillerie.

R.B : On a parfois envie de pousser vers un jeu baroque, mais la construction même de la pièce nous en empêche. Surtout au premier acte, où tout se met en place. Il contient, il annonce la suite, donne le ton. Titus est un vieil homme fatigué à qui on a fait outrage, et qui veut absolument être écouté, respecté. Et parce que son fils, ce fils que profondément il aime, est en désaccord avec lui, devant le forum assemblé il le poignarde. Plus encore que du désespoir, il porte en lui la rage, la souffrance. Une sorte d’énergie exubérante, destructrice.

A.A : Quand à la fin, tous ou presque sont morts, alors revient l’ordre... La pièce est d’une grande richesse, il ne faut pas s’y perdre. Lukas Hemleb nous a fait travailler par strates. Il nous laisse aller dans une direction, puis une autre, on revient en arrière, ce n’est pas tout à fait la même chose, on repart ailleurs. D’avoir été traversés par ces différentes expériences nous amène à en faire la synthèse, à trouver la cohérence des personnages, leur logique particulière, ce qui est fondamental.

R.B : Il fait semblant de proposer, on devine ce qu’il cherche, ce qu’il veut. Sans aucun doute, il a énormément réfléchi. Il est perspicace, pointu ? Calmement il nous observe, nous conduit. Il met en scène beaucoup d’opéras, et nous accorde comme un chef d’orchestre le fait avec ses musiciens.

A.A : On a l’impression qu’il cherche en même temps que nous, ça donne des ailes. On arrive à la connaissance de ce que nous avons à jouer ensemble.
Ainsi donc, vu par Lukas Hemleb, Titus Andronicus, demeure une fable sauvage, mais ni grand-guignolesque, ni dérisoire : parfaitement cohérente.
-”Par son archaïsme même, dit-il, elle nous renvoie à un désarroi très profond. Enfants de la Renaissance, nous avons cru en un processus de civilisation qui ne pourrait que progresser. À présent, notre confiance est ébranlée. Nous regardons autrement le Moyen-Âge, nous essayons de comprendre. Cette pièce, et je le découvre chaque jour, est construite avec une maturité au premier abord insoupçonnable, dans la façon dont sont exposées les menaces qui pèsent sur la société élisabéthaine, la façon dont se joue le jeu du pouvoir dans le cercle politique comme dans le cercle familial. Une grande œuvre ”.

Entretien réalisé par Colette Godard
pour le magazine oct/nov 2003 de la Maison de la Culture de Bourges

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  • La dextre de Dieu

Cette pièce, nous la prenons au sérieux, et nous nous posons la question : quel en est réellement non pas l’intrigue, mais le sujet ? Quel est le moment essentiel à partir de quoi l’histoire, la vraie histoire se construit ? Nous nous sommes fixés sur ce moment où Lavinia sort, avec dans la bouche la main de Titus. Non pas pour son apparence “ Grand-Guignol ”, dont nous n’avons rien à faire. Mais parce que, en utilisant notre méthode habituelle, c’est-à-dire prêter attention aux expressions qui se répètent - chercher ce que nous appelons, Françoise Morvan et moi, le “ motif ”. Nous nous sommes arrêtés sur ce mot-là : main.

Les uns les autres, ils parlent sans cesse de mains. Et il y a toutes sortes d’expressions, en même temps, “ avoir l’affaire en main ”, “ être à portée de main ”… Bref, à force d’être répétée, cette main, quand on la tranche, devient comme la dextre de Dieu. Ou des Dieux. Des Dieux mutilés. Ce dont, finalement, parle Shakespeare, c’est de leur absence, et par voie de conséquence, de l’absence de langage. À partir du moment où ils font défaut, la parole devient impossible. Alors deviennent impossibles les relations “ normales ” entre les êtres humains.

Les enfants ne protègent plus les parents vieillis, les parents ne nourrissent plus les enfants. Ils les dévorent. Ce n’est ni grotesque ni terrifiant, ni réaliste, ni symbolique. Ni “ actuel ”. - D’ailleurs l’actualité du répertoire ne m’intéresse pas.

Titus Andronicus est une pièce mythologique, et médiévale. Un Mystère médiéval appartenant à ce théâtre de village, que Shakespeare sans doute devait connaître. Il en a traversé la forme, l’a enrichie de sa propre métaphysique...

La pièce n’est pas considérée comme une des “ grandes ”, on dit qu’elle est la première, ou l’une des premières. Chez lui, n’existe ni première ni dernière œuvre. Et n’aurait-il existé que celle-là, Shakespeare resterait l’un des plus grands de tous les temps.

André Markowicz
Préface, traduction A.M.,
Editions Les Solitaires intempestifs

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Sélection d’avis du public

Titus Andronicus&ltbr&gt la lamentable tragédie Le 29 décembre 2003 à 14h27

Ce spectacle est tout simplement extraordinaire....le decor, les acteurs,....tout était là, et tout était parfait. C'est la maeilleur pièce que je n'ai jamais vu. sherine soliman.

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Titus Andronicus&ltbr&gt la lamentable tragédie Le 29 décembre 2003 à 14h27

Ce spectacle est tout simplement extraordinaire....le decor, les acteurs,....tout était là, et tout était parfait. C'est la maeilleur pièce que je n'ai jamais vu. sherine soliman.

Informations pratiques

Théâtre de Gennevilliers (T2G)

41, avenue des Grésillons 92230 Gennevilliers

Accès handicapé (sous conditions) Bar Grand Paris Hauts-de-Seine Librairie/boutique Restaurant
  • Métro : Gabriel Péri à 464 m
  • RER : Les Grésillons à 1 km
  • Bus : Marché de Gennevilliers à 15 m, Place Voltaire à 293 m, Gabriel Péri - Métro à 371 m
  • Transilien : Asnières-sur-Seine à 2 km
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    A 86 Sortie Paris Porte Pouchet. Au premier feu tourner à droite, avenue des Grésillons.

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Spectacle terminé depuis le dimanche 1er février 2004

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