Saleté

du 14 janvier au 22 mars 2009
1h15

Saleté

Un étranger, un exclu, un clandestin, parle de son pays d’accueil. Le texte de l'auteur autrichien Robert Schneider est très fort, d'une actualité confondante et servi par un comédien virtuose dans une mise en scène efficace de Hans Peter Cloos. Une réussite glaçante.

Un clandestin parle de son pays " d’accueil " 
Extrait
Rendre curieux du monde
La presse

  • Un clandestin parle de son pays " d’accueil " 

Je m’appelle Sad. J’ai trente ans. En Anglais, Sad veut dire triste. Je ne suis pas triste. Sad, et ensuite ? Sad vend des roses dans les restaurants de Vienne. Il est Irakien. Un Arabe. Un sémite. Pas un Kurde. Pas un réfugié politique. Non, un clandestin parmi tant d’autres, qui, après la première guerre du Golfe, a bouclé ses valises pour un ailleurs meilleur. Bassorah. Les marécages. Téhéran. Ankara. Varsovie. Stockholm. Et, enfin, Vienne, une ville propre, où de jolis bancs publics aux pieds en fonte attendent les hommes de quarante ans.

Sad est Irakien. Pas un persécuté. Il a étudié la philosophie et la littérature allemande. Une langue magnifique, une culture riche qui l’a fait rêver. Il était si heureux de venir dans ce beau pays aux lacs vert foncés et aux montagnes bleutées… Mais il ne savait pas qu’il était de la merde. On ne lui avait jamais dit là-bas.

Sad. Il s’appelle Sad. C’est tout ce qui lui reste : un prénom et quelques souvenirs. Le claquement des feuilles de palmier, le goût du thé amer, les parties de backgammon, la transpiration de ses soeurs, les lunettes d’écaille qui laissent une marque rouge sur le nez de son père et quelques photos qui s’effacent à force d’être regardées.

Sad… Il le dit et le répète : il s’appelle Sad. Mais il pourrait s’appeler Ahmed, Hassan, Nabil, Ismaïl, Artan, Bahiyyih. D’ailleurs, il a peut-être menti, comme tous les Arabes de sa race. Il a ça dans le sang. Il en est conscient. Il sait aussi qu’il n’a pas le droit de vivre là et de s’asseoir sur les jolis bancs publics. Il ne l’a pas mérité : il sait qui il est ! Il connaît son odeur, le grain grossier de sa peau, la noirceur de ses yeux… Et plus il regarde les hommes de quarante ans assis sur les bancs publics, plus sa culpabilité augmente.

Sad, l’Arabe - mais il pourrait être Egyptien, Turc, Roumain, Pakistanais, … ou clochard. Sad, celui qu’on tutoie. Celui à qui on dit non, sans même le regarder. Celui que l’on prive de tout droit. Celui dont la fierté - cette insolente fierté ! - est continuellement bafouée… Sad, le sans-papier, vit la peur tenaillée au ventre... Il était si heureux de venir dans ce pays civilisé, cultivé, démocratique. Il l’aimait. Il en rêvait. Aujourd’hui, il ne rêve plus, car il connaît sa fin : un coup de tesson au détour d’une ruelle, une insulte qui va droit au coeur.

Sad qui salit tout, sait qu’il n’y a aucun échappatoire pour lui. Il va mourir. Il doit mourir, au nom de la propreté. Alors il crie aux hommes de quarante ans assis sur les jolis bancs publics de se lever et d’agir, enfin, pour mettre un terme à son calvaire et nettoyer la tâche… Il n’aurait jamais dû venir.

Saleté, c’est une nuit avec Sad. Il dit ce qu’il entend, ce qu’il ressent mais qui ne s’exprime pas : le regard de l’autre sur la différence de peau, la différence d’habitudes et de comportement. Peu à peu, au fil de son écrit, il s’enflamme, se révolte et parle par la bouche de ceux qui le jugent et le rejettent.

Traduction : Claude Porcell

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  • Extrait

Sad : Maintenant je sais - et beaucoup d’entre nous le savent aussi - que je n’aurais jamais dû venir ! Jamais ! Nous n’avons pas mérité ce pays ! Ce beau pays ! Avec ses lacs d’un vert profond, ses montagnes bleues de neige, sa grande culture et ses admirables penseurs ! Nous ne le savions pas !

  • Rendre curieux du monde

Schneider : un nouvel auteur autrichien qui me fascine. Voici Saleté (« Dreck »). Dans Saleté, c’est un étranger, un exclu, un clandestin, qui parle de son pays d’accueil. Il a pour nom Sad, il est Arabe et immigré clandestin. Dans un texte grandiose, Sad parle de lui et du pays duquel il vient, de ses souvenirs, de ses rêves et de ses espoirs. En des termes pleins de poésie et souvent très directs et provocants, il décrit sa vie dans une ville allemande, la découverte qu’il a de sa différence, et du mépris affiché par les autres. Il se fait humblement bouc émissaire, il fait sien les préjugés les plus absurdes. Pourtant il laisse toujours entendre sans la moindre ambiguïté qui sont les véritables responsables.

Saleté est une pièce où le racisme et la xénophobie sont vus d’une toute autre perspective - par le regard chargé d’émotion d’un étranger sur la vie chez nous.

J’entends donner à ce texte toute sa beauté et toute sa force. Je travaille pour cela avec un acteur très particulier, Florian Carove ; il est jeune, Autrichien et plein de talents. Le spectateur doit être très près de l’action. L’espace doit être petit, et intime. Sad s’y présente devant un petit groupe de témoins, qui sont les spectateurs. Le théâtre implique. Il est là pour rendre curieux du monde.

* Robert Schneider vit seul, lui aussi, dans un village des Alpes autrichiennes. En retrait du monde, pour écrire, comme Thomas Bernhard, et comme Thomas Bernhard, d’ailleurs, il écrit des romans et des pièces de théâtre sur son pays. Robert Schneider connaît lui aussi un succès international. Son roman Frère Sommeil, publié en France aux Éditions Calmann-Lévy, a été traduit en vingt quatre langues et littéralement encensé par la critique, dans son pays comme partout ailleurs ; il a été adapté au cinéma et transposé en livret d’opéra.

Hans Peter Cloos, Paris, le 4 octobre 2008

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  • La presse

 " Saleté, haut morceau de littérature, puissant, politique. Décor, musique, son, lumière, la conception du spectacle est précise, mais ici ce qui compte est le jeu, impressionnant, profond, délicat de Florian Carove, aussi doux qu’inquiétant. "  Armelle Héliot, Le Figaro

 " Hans Peter Cloos a trouvé l’acteur rêvé. Extraordinaire densité de jeu. Une révélation. Plus jamais on ne verra un vendeur de roses à la sauvette sans penser à lui. "  Jacques Nerson, Le Nouvel Obs

 " Exceptionnel. Florian Carove, pathétique et bouffon, rusé, tendu comme un arc, et qui semble prêt à rompre. Robert Schneider a l’art de mettre les mots vrais et crus là où ça fait mal. Saleté, en allemand : « Dreck » - c’était le mot réservé aux juifs dans les camps. "  Frédéric Ferney, Le Point

 " Envie d’un théâtre au plus près du vivant, de l’actualité ? Ce spectacle bouscule et sonne comme un appel à la réflexion (notre société, la différence, la liberté, la mémoire), loin du brouhaha pailleté. Et ça nous va très bien. "  Myriem Hajoui, A nous Paris

 " Servi par ce dispositif impliquant, Saleté dérange, déroute et interroge le spectateur-témoin qu’il renvoie à sa peur de l’autre. À une époque où les lieux de parole et de réflexion sur la société, l’être humain et ses passions sont de plus en plus reniés, le théâtre révèle ici sa force politique. Que la pièce ait été écrite par un autrichien 18 ans plus tôt n’y change rien : en éclairant notre époque et ses contradictions, Saleté bouscule notre façon de saisir le monde. " C. Loze, France Culture

 " Florian Carove, passant du rire aux larmes, de la férocité à l’abandon, de la dureté à la détresse, propose un jeu tout en nuances, très physique et sensible. Le Public est pris aux tripes. Saleté déroute et interroge. Le théâtre révèle ici sa force politique. Saleté bouscule notre façon de saisir le monde. "  Caroline Loze, France Culture

 " Unique ! Un texte littéraire, émouvant et touchant à la fois, qui possède une très grande vertu : nous faire comprendre les autres : c’est à dire nos propres frères ! Florian Carove, excellent comédien. Une jeu de scène remarquable, une aisance, un charisme. "  Bernard Moncel, Paru vendu

 " Florian Carove, seul sur scène, passe du rire aux larmes, de la rage à la détresse. Face au public il se déchire, tremblant, transpirant il joue la douleur de l’étranger rejeté. Ce jeune comédien autrichien, qui joue pour la première fois en français, se révèle généreux et beau. Il nous transcende, nous touche. Un spectacle féroce qui ne peut laisser indifférent. " EB, Froggy's delight

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Sélection d’avis du public

Saleté, courrez-y ! Le 4 mars 2009 à 19h42

Pièce d'une grande intensité. Le message est humaniste, politique, et d'autant plus fort que la mise en scène est sobre. Et surtout, SURTOUT, le jeu de Florian Carove est excellent, très profond. Superbe performance d'acteur. On en ressort bousculé. Ce n'est pas du divertissement, mais si vous aimez le théâtre qui sort de l'ordinaire et fait réfléchir, allez voir Saleté.

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Saleté, courrez-y ! Le 4 mars 2009 à 19h42

Pièce d'une grande intensité. Le message est humaniste, politique, et d'autant plus fort que la mise en scène est sobre. Et surtout, SURTOUT, le jeu de Florian Carove est excellent, très profond. Superbe performance d'acteur. On en ressort bousculé. Ce n'est pas du divertissement, mais si vous aimez le théâtre qui sort de l'ordinaire et fait réfléchir, allez voir Saleté.

Informations pratiques

Théâtre des Mathurins

36, rue des Mathurins 75008 Paris

Bar Madeleine Saint-Lazare Salle climatisée Vestiaire
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  • RER : Haussmann Saint-Lazare à 296 m, Auber à 319 m
  • Bus : Havre - Haussmann à 86 m, Pasquier - Anjou à 94 m, Gare Saint-Lazare à 155 m, Paris Saint-Lazare à 252 m, Anjou - Chauveau Lagarde à 295 m, Gare Saint-Lazare - Rome à 312 m, Saint-Augustin à 339 m, Madeleine à 368 m, Opéra à 393 m
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Plan d’accès

Théâtre des Mathurins
36, rue des Mathurins 75008 Paris
Spectacle terminé depuis le dimanche 22 mars 2009

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