Quand vient la nuit

du 26 janvier au 19 février 2005

Quand vient la nuit

Appartement de Cecil, la soixantaine. Lui, le beau-père, chauffeur de bus et syndicaliste, aime la bière et le sens commun. Elle, la belle-fille, veuve et riche héritière, peint et expose. Jane a quitté Venise, pris un avion pour venir parler, mettre à mal les secrets qui la bousillent. Règlement de compte ou acte sacrificiel, les retrouvailles de Cecil et Jane expurgent le mal à sa racine dans une langue crue, sans afféterie. Hanif Kureishi oppose deux êtres sur les décombres d’un passé mal enterré.

Secrets de famille
Note d’intention
Extrait
Note de l'auteur
Il m’a donné une conscience politique

Appartement de Cecil, la soixantaine. Lui, le beau-père, chauffeur de bus et syndicaliste, aime la bière et le sens commun. Elle, la belle-fille, veuve et riche héritière, peint et expose. Jane a quitté Venise, pris un avion pour venir parler, mettre à mal les secrets qui la bousillent. « Je n’attends pas de guérison, mais seulement d’apprendre à vivre avec moi-même. » Elle commence à fouiller le passé et finit par brandir un couteau. Règlement de compte ou acte sacrificiel, les retrouvailles de Cecil et Jane expurgent le mal à sa racine dans une langue crue, sans afféterie. Hanif Kureishi oppose deux êtres sur les décombres d’un passé mal enterré.

Né dans le Kent en 1954 d’une mère anglaise et d’un père pakistanais, l’auteur, romancier et réalisateur, signe les scénarios de The Mother de Roger Michell, de My Beautiful Launderette et de Sammy et Rosie s’envoient en l’air, portés à l’écran par Stephen Frears. Ses nouvelles inspirent notamment les films My son the fanatic d’Udayan Prasad et Intimité de Patrice Chéreau.

En contact et en accord avec l’écrivain, la metteur en scène Garance s’attèle à la version première de Quand vient la nuit. « Je souhaite montrer que l’affrontement de ces deux personnages les mène à se transformer, explique-t-elle. Ils se livrent ensemble à une véritable catharsis. Deux êtres vont subtilement parvenir à dénouer le nœud qui leur rendait la vie impossible… »

Après La Confession impudique de Junichirô Tanizaki, Antigone de Sophocle ou des adaptations du roman Beloved de Toni Morrison, ou du monument Ulysse de James Joyce, Garance poursuit sa quête de textes non encore représentés, explorant les nuances et les aspérités des relations humaines.

Pierre Notte

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Pièce à deux personnages : Cecil, le beau-père et Jane, la fille de sa femme

Un demi secret entre ces deux personnages sert de guide caché à l’action psychologique : le lien continué entre Esther, sa mère, et Cecil, son beau-père - dont Jane, au début ignore tout (elle les croit séparés depuis longtemps !) - que Cecil lui révèle par fragments au fur et à mesure qu’elle parle, qu’elle se confie, confession active mais aussi règlement de comptes avec ce beau-père parâtre qui l’a maltraitée, elle et son frère, tandis qu’elle était adolescente.

Jane vient pour une catharsis personnelle, pour inverser le rapport teinté de sadisme que Cecil entretenait avec elle dans son adolescence et qui l’empêche encore de dormir, la laisse inquiète, l’envoie chez le psy, l’empêche de s’affirmer comme artiste, d’exister pour elle-même et non dans l’ombre de son mari décédé (cinéaste célèbre, riche), « multimillionnaire » dont elle hérite.

On comprend que Cecil a été à la fois un parâtre tyrannique, qui remet sur le droit chemin une adolescente sur la mauvaise pente – qui l’a fait à coups de ceinturon qu’il prend plaisir à donner – dans un milieu où sans sa solidité d’homme du peuple avec un métier (il est conducteur de bus et syndicaliste) tout le monde dans cette famille sans chef avant sa venue se serait retrouvé à la rue et la fille à faire le trottoir. Parâtre efficace donc, avec l’ambivalence que cela représente, mais aussi véritable éducateur qui favorise à sa manière l’éveil artistique de l’adolescente. Sans doute le rapport de séduction était-il également à l’œuvre chez Jane de manière inconsciente, comme chez la plupart des adolescentes. Cecil a entretenu avec elle une situation trouble du point de vue érotique. Mais Jane a accepté le rôle positif d’éducateur chez Cecil. La Jane auto-vengeresse, venant voir armée d’un couteau l’homme qu’elle hait, source de toutes ses angoisses, va relativiser au fur et à mesure que Cecil lui fera prendre conscience qu’il a déjà largement compensé, par ce qu’il lui a apporté, les dégâts qu’il avait pu faire dans sa jeune tête.
Jane est de deux mondes, elle a frôlé les bas-fonds mais l’action de Cecil l’en a tirée ; elle s’est affirmée contre lui, mais aussi grâce à lui. Par son mari rencontré dans le monde interclasse du cinéma et de l’art, elle est devenue « autre » ou essaie de le devenir, mais elle n’a pas complètement renié son monde d’origine. Elle veut expurger tout ce passé avec Cecil ; elle le fait parler, elle cherche dans son inconscient (à lui), elle veut comprendre. Cecil devient modèle martyrisé volontaire, c’est la réhabilitation catharsis de leur relation ancienne. Elle a au fond gardé une image traumatisante de son éducation sous la férule de Cecil. C’était un moment fort de son existence, un arrachement à une vie où le pire pouvait lui arriver, mais un arrachement mené par des méthodes brutales et donc laissant un goût traumatique.

Cecil, homme frustre mais intelligent, assez classiquement adonné à la boisson par désœuvrement, fidèle dans ses attachements, se justifiant bien de ses brutalités et de ses privautés envers Jane et son frère par les conditions de vie et les mœurs du milieu dans lequel il les a élevés. Il se plie intuitivement à l’exigence de Jane de procéder à une « réparation » symbolique et en cela, il valorise à ses propres yeux tout ce qu’il a fait par le passé.

J’ai à cœur de mettre en scène cet univers âpre, tendu et sauvage avec des personnages attachants et ambigus, qui sont habités par le désir et l’appétit de vivre.

Garance

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Jane Où on n’arrête pas de te répéter que le miroir a été réinventé au treizième siècle, il y a des reflets partout. Je me suis retrouvée toute seule, pour la première fois depuis des années. Je marchais, je mangeais, je prenais en photos les Vénitiens qui travaillent dans les hôtels. Et puis j’ai écrit mon journal. Des pensées, des rêves, des souvenirs… des histoires. Pour essayer de me retrouver un peu. Tu n’as jamais rêvé de ça ?
Cecil Non.

Jane Et le soir, je peignais - enfin, j’apprenais - je repensais à tous ces visages, ces chairs, ces corps. Pour voir ce que je pouvais faire. Je suis obligée d’aller vite, j’ai tellement de retard…

Cecil Écoute, prends tout ton temps, Jane.

Jane Oui…

Cecil Tu sais bien… reste calme, ne te presse pas, laisse mûrir…

Jane J’ai des insomnies depuis l’adolescence, il m’arrive de passer deux nuits blanches coup sur coup… Enfin, toujours est-il que je ne pouvais pas regarder les photos des adultes sans y voir des enfants. Je regardais d’autres portraits, mais tout ce que je voyais, c’est que les sujets étaient morts, le corps brûlé ou putréfié. Je me suis remise à un autoportrait auquel j’avais travaillé, dans des teintes sombres, les genoux repliés, avec un livre à la main. Et devant le miroir, j’ai entendu des chuchotements… des voix qui me disaient que je n’étais qu’une bonne à rien, une nullité, un néant, une aberration…

Cecil Non

Jane Et à mesure que ma confiance en moi se brisait, mon visage s’est mis à m’échapper, à se désintégrer lui aussi. Il y avait quelqu’un d’autre…

Cecil Quelqu’un d’autre ?

Jane C’était toi. Toi en fantôme, puis c’est devenu plus palpable, tes yeux, ton visage, tes doigts, ton corps s’imposaient sans cesse à moi.

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Quand on finit par écrire, les mêmes questions se posent sans cesse.

Pourquoi fais-je ça ? Pour qui ? Pourquoi écrire ceci plutôt que cela ? Je suis persuadé que dans d’autres professions les gens n’ont pas tous les matins une crise existentielle. On dirait qu’on cherche un prétexte pour s’arrêter. Bien sûr, on peut finir par échapper à ces problèmes, par se fatiguer de ses états d’âme et de ses préoccupations. On peut espérer ainsi que collaborer avec quelqu’un vous fera dépasser tout ça. Un metteur en scène aura d’autres doutes, d’autres appréhensions. On a envie de voir comment les autres travaillent et - pourquoi pas ? - de se laisser transformer par eux.

Ma première aventure professionnelle ce fut d’écrire une pièce intitulée Le Roi et moi, qui fut montée au théâtre Soho Poly en 1980, dans une mise en scène d’Antonia Bird que j’avais connue au Royal Court. Il s’agissait d’une femme entichée d’Elvis Presley et l’enthousiasme d’Antonia qui parvint finalement à faire jouer la pièce me donna l’impression qu’objectivement ce que j’avais écrit n’était pas mal. Deux ans plus tard, comme je travaillais avec la compagnie théâtrale Joint Stock, j’eus l’occasion de collaborer avec le metteur en scène Max Stafford-Clark et les comédiens que nous avions choisis pour créer une pièce au Royal Court, Borderline. Je découvris quel plaisir ce pouvait être d’écrire pour des acteurs précis. En écrivant de nouvelles scènes ou en modifiant des répliques dans la salle de répétition, on pouvait presque immédiatement voir si ça marchait. Après cela, c’était difficile et déprimant de me retrouver tout seul dans ma chambre à créer quelque chose à partir de rien.

J’ai travaillé depuis en collaboration avec plus d’une douzaine de metteurs en scène. Presque tout ce que j’ai écrit, y compris les ouvrages en prose, est passé par d’autres mains avant de trouver son public. Si faire preuve d’imagination tout seul peut être difficile, je suis tout à la fois terrifié et fasciné par ce que d’autres vont faire de ce que j’ai commencé. Que va-t-on penser ou dire si on s’abandonne aux associations d’idées, si sans inhibition on laisse libre cours à ses fantasmes. Il y a là bien des sources d’angoisse. Que sera-ce de commettre des bévues, de dire des idioties, d’avoir des idées bizarres devant quelqu’un d’autre ? L’autre va-t-il vous écraser ou vous imposer un compromis - à moins que ce ne soit le contraire ? Va-t-on se libérer ou cela va-t-il éveiller en nous de nouvelles craintes ? Et lesquelles ?

Le défi de la collaboration, c’est de trouver une méthode qui permette à chacun des deux d’être ridicule sans crainte ; c’est de voir si votre union va se traduire par une dilution ou une expansion de vos talents associés. Ce qu’on veut, c’est que votre partenaire vous surprenne, pas qu’il vous limite. Vous ne voulez ni l’un ni l’autre perdre votre temps à poursuivre une idée qui paraît tout bonnement sans intérêt.

La collaboration pourtant est comme l’amitié ou comme l’écriture : on ne peut que démarrer avec une idée vague du but à atteindre. Au bout d’un moment, avec un peu de chance, on commence à voir si cela vaut le voyage. La plupart des artistes qui ont une voix bien à eux ne tardent pas à découvrir le domaine qui les intéresse - les personnages, les scènes, les ambiances - et sur lequel ils vont travailler presque toute leur vie ; le plupart des artistes, comme la plupart des existences, se répètent. Une collaboration dès lors est une tentative pour développer sa personnalité ou pour en multiplier les facettes, pour en étendre le champ et les possibilités. Avec quelqu’un d’autre, on pourrait réaliser un projet qu’on aurait été incapable de mener à bien seul. Qu’il s’agisse du produit final - le film- ou de l’intimité du travail en commun, du plaisir qu’on éprouve à rencontrer quelqu’un régulièrement, ou à discuter d’un projet qui vous excite tous les deux, je ne sais trop. C’est sans doute tout cela à la fois. Chacun des metteurs en scène - parmi tout ceux avec qui j’ai collaboré au théâtre, à la télévision ou au cinéma - s’est toujours intéressé à un aspect précis de mon travail. Il y avait un point de mon texte qui éveiller en eux une résonance, qu’ils avaient envie de souligner ou d’exprimer à travers moi. Et puis dès l’instant où nous nous étions mis à l’œuvre, je commençais à écrire pour eux, pour la conception qu’ils se faisaient du projet, pour ce qui touchait leurs doutes et leur points forts. Ce processus vous fait, avec chaque metteur en scène, devenir un autre écrivain - dans une certaine mesure, une autre personne.

Hanif Kureishi, Souvenirs et divagations, Christian Bourgois, 2003

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« En glissant dans ma boîte aux lettres le scénario de My Beautiful Laundrette en 1984, Hanif a changé ma vie. En mélangeant le drame, l’humour, le politique, il m’a appris des choses que j’ignorais, chez moi et dans le monde. J’étais comme cette majorité d’Anglais qui ne savaient pas comment vivait une famille pakistanaise immigrée à Londres. A l’époque, personne n’en parlait, aucun livre, aucun film. Il m’a ouvert les yeux et m’a donné une conscience politique. My Beautiful Laundrette a été un choc en Angleterre, c’était du jamais vu : un héros paki, une liaison homosexuelle avec son copain skinhead, etc. Ensuite, avec Sammy and Rosie Get Laid (1987), Hanif m’a fait plonger dans les conflits de l’Angleterre thatchérienne. Avec ses films et ses livres, il a été un des rares auteurs à traiter des problématiques contemporaines au moment même où elles apparaissent dans la société. Si Hanif me proposait aujourd’hui un scénario sur une question socio-politique, je signerais immédiatement. J’ai trouvé les scènes de sexe d’Intimité réalisé par Patrice Chéreau, très réalistes, et je n’ai pas compris le mauvais accueil de la critique, choquée par leur caractère explicite. La critique est étrange : elle a confondu le livre Intimité et le divorce d’Hanif, il a été jugé en tant qu’homme.

Il y a quinze ans, Hanif était plus sauvage, plus impulsif. En vieillissant, il est devenu plus grave. En avançant, la vie devient beaucoup plus compliquée et, croyez moi, celle d’Hanif l’a été particulièrement : aujourd’hui, les questions de couple, de séparation, d’éducation des enfants le préoccupent davantage… Il n’en reste pas moins l’un de mes amis les plus hilarants : on prend notre petit-déjeuner ensemble tous les vendredis depuis quinze ans, comme deux vieux gentlemen qui refont le monde. »

Stephen Frears,
Propos recueillis par Nelly Kaprièlian, les Inrockuptibles

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Spectacle terminé depuis le samedi 19 février 2005

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