Lisbeth est complètement pétée

Bagnolet (93)
du 17 mars au 8 avril 2006
1h30

Lisbeth est complètement pétée

Lisbeth… est une pièce débridée et lubrique, une œuvre pudique et profonde qui interroge, à sa façon, le parcours et le devenir de notre humanité.

Irréductible à la compréhension et réfractaire à toute assignation
Eprouver plus que comprendre
Extrait
Donner corps aux sens
Entretien avec Armando Llamas

  • Irréductible à la compréhension et réfractaire à toute assignation

"[…] quant à vous délivrez quelque chose, ah ça non, on a sa fierté, allez chercher le sauveur ailleurs, ici il n’y en a pas, moi je dis, moi Hermione."

Lisbeth… est une pièce débridée et lubrique, une œuvre pudique et profonde qui interroge, à sa façon, le parcours et le devenir de notre humanité.

A travers la rencontre de trois collégiennes et d’un jardinier, ce sont deux mondes que tout oppose, celui de la Nature et celui de la Culture, deux parts "non conciliées" de notre humanité, que Llamas confrontent l’une à l’autre. Nos collégiennes sont des filles du savoir et de l’esprit, notre jardinier, lui, est un homme de la terre et des sens.

Leur rencontre a lieu dans "le jardin français d’un collège anglais". Dans cet Eden "cultivé", ce n’est pas une pomme que nos collégiennes goûteront mais des chocolats "Mon Chéri", et c’est un objet de consommation courante, produit de la technologie, "un superbe compact-disc" qui les unit au pied de l’arbre de la connaissance…

Mais un jardin reste un jardin… et le plaisir y fera bientôt son apparition. Car s’il a sensiblement perdu de son influence, le jardinier y réalise encore quelques prodiges, dionysiaques plus que chrétiens. Avec lui arrivera le plaisir, et le plaisir engendrera le chaos dans ce jardin trop ordonné.

Elisabeth, en hébreux, signifie "La maison de Dieu", et cette maison de Dieu… est complètement pétée !

"Entre le début et la fin de la pièce, s’écoulent trois millions d’années". Ce n’est pas trop si l’on considère qu’il s’agit ici de la durée de l’aventure humaine… car -faute de réconcilier savoir et sensibilité ?- à la fin de la pièce, l’humanité disparaîtra.

Le texte se termine sur une ultime indication : "Du sable commence à tomber sur la scène. Du vent". La Nature reprend ses droits.

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  • Eprouver plus que comprendre

Mais "Lisbeth…" n’est pas réductible à un discours sur l’art et la culture, Llamas n’y défend pas un point de vue ou une vision du monde. Ici le sens est sensation et il s’agit d’éprouver tout autant, peut-être même plus encore, que de comprendre.

Combinant la force de lisibilité du sens et la force d’étrangeté du non-sens, jouant sur une ligne d’indiscernabilité, Llamas navigue à son gré entre l’idée et le sensible.

Etranger à toute combinaison de moyens et de fins, Llamas ne "calcule" ni ne prémédite les effets ou les émotions à produire : il se contente de perturber l’ordinaire de notre perception, l’ordinaire de l’expérience sensible et de notre relation au monde.

Il ne s’agit pas ici de prendre un ascendant sur les évènements et les individus à travers un propos ("…ah ça non, on a sa fierté…"), mais d’en finir avec l’opposition de la forme intelligente et de la matière sensible, comme avec l’opposition du vulgaire et du sublime, de l’humour et de la gravité, de la culture "noble" et de la culture populaire.

Lisbeth est complètement pétée a été publié en 2001 aux Solitaires Intempestifs.

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  • Extrait

WINIFRED : […] Mais le corps masculin, lui, est classique. Il n’y a que le sexe qui soit baroque.

HERMIONE : C’est curieux, ça, ça m’a toujours impressionnée, ce bout de baroque greffé sur une surface purement classique.

WINIFRED : Comment inclure une forme baroque sur une surface classique sans qu’il y ait rupture de style ?
De ce point de vue, la statuaire Renaissance ne s’en tire que grâce à un compromis. D’ailleurs, la statuaire grecque a eu les mêmes problèmes.

HERMIONE : Oui, ils ont supprimé les poils, par exemple…

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  • Donner corps aux sens

Avec Lisbeth…, Llamas ne représente pas le monde, il en crée un, libéré de toute soumission à la vraisemblance.

Représenter ce monde de Lisbeth c’est le réduire, voire le détruire. En imposer une représentation c’est perdre toutes les autres possibles, et c’est immanquablement demeurer en de-ça de celles que l’on peut s’inventer à la simple lecture de la pièce…

C’est pourquoi notre plateau ne représentera pas explicitement le "jardin français" de ce "collège anglais» : les arbustes, les feuillages, les rangées de freesias et de choux nous nous contenterons de les évoquer, ou tout au plus de les signifier.

Pour cela nous nous appuierons d’abord sur le pouvoir d’évocation du verbe.

Les indications scéniques -dont la charge poétique et comique s’impose à la lecture- seront intégrées au corps du texte, énoncées au même titre que les dialogues.

Il en ira de même pour les titres des scènes : "Révélations", "Merveilles du Monde", "No pasaran", "Jaune de cadmium", "Daughter of the silent age" etc. Pourquoi Llamas aurait-il titré les scènes si ce n’est parce que ces titres sont partie intégrante de la pièce ? Ils méritent donc d’être entendus.

Un "acteur-opérateur", qui par ailleurs interprètera les deux "personnages à électricité", aura en charge cette fonction d’"annonceur". Présent en permanence, il assurera également les "régies" plateau, son et lumière et interviendra dans la narration, bruitant ou manipulant à vue, machinerie, accessoires ou projecteurs par exemple.

Le caractère artisanal du dispositif scénique, sa pauvreté revendiquée contrediront l’image idyllique du jardin français. Nous montrerons l’activité "laborieuse" de la scène, le processus de fabrication autant que son résultat : ce n’est ni le jardin ni les détails qui le composent qui nous intéresse, mais l’écart qui existe entre les objets en question et leur représentation… Il ne s’agit pas ici d’en imposer au spectateur, mais de l’associer à l’élaboration du sens ou de la sensation.

Nous ferons confiance aux vertus du manque et de l’absence pour libérer les potentialités d’invention et d’interprétation des acteurs… et des spectateurs. Nous nous contenterons de quelques éléments, métonymiques peut-être, de l’inscription d’un mot (signifiant ce qui doit être signifié), voire d’un dessin en plan sur le sol, d’une miniature, de couleurs et de sons…

Il appartiendra au spectateur de prolonger nos propositions et de parachever la construction du "décor" de Lisbeth.

De même, ce n’est pas notre point de vue sur le texte que nous chercherons à faire entendre, mais le texte lui même, laissant au spectateur la liberté de son interprétation.

Il ne s’agira donc pas de "faire les intelligents", mais de donner corps à la pensée sensible et comique de Llamas. Il s’agira d’incarner autant que de désincarner… d’éliminer toute trace de psychologie dans le jeu, car c’est la Passion des humains qui doit être montrée, c’est elle qui est comique, pas leur psychologie.

Nous envisagerons le plateau comme un terrain de jeu… "l’homme n’est vraiment humain que quant il joue", disait Schiller… c’est-à-dire quant, débarrassé de toute visée éducative et de toute ambition discursive, il n’a pas d’autres fins que le plaisir et la gratuité du jeu… Il nous semble que Llamas ne dit pas autre chose : c’est dans le jeu et la jouissance qu’il procure qu’il faut chercher la profondeur.

WINIFRED : … Viens. Ah oui viens, apprends moi tout, raconte-moi tout. Apprends-moi le bien et le mal, apprends-moi le vertige de ta bouche frôlant mon oreille comme une fanfare démesurée, comme une cathédrale de lumière délicatement posée sur mon oreille, comme une mélancolie qui résisterait au polissage impitoyable des éléments… arrête, je lui disais…

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  • Entretien avec Armando Llamas

"Aucune parole ne doit être la chienne d'aucun maître" : à lire cette phrase dans Meurtres de la princesse juive, on se dit que, là, l'auteur livre un message.

[…]
J'écris sans gêne, pas pour combler une attente, ni pour répondre à une demande. Si j'écrivais pour me sentir brimer alors je préfèrerai être marchand de pizza, plombier ou exercer n'importe quelle autre profession où l'on n'investit pas autant de soi-même. Les écrivains, les artistes ne bluffent pas! C'est Jeanne La Brune qui le dit, j'aime bien. L'écriture, ça n'est pas moi, je n'en suis pas responsable.
[…]
Chez moi cela vient de manière inattendue, je ne me vis pas en tant qu'écrivain. Je fais un travail continu d'écrivain avec mon corps, dans la rue, avec les gens. Pour moi écrire, c'est établir des passerelles -avec un garçon de café ou la jeune femme qui enregistre mon billet à l'aéroport, etc.- en redonnant un statut à des personnes qui pourraient ne pas en avoir.

Dans Meurtres..., figurent des répliques entières en ourdou, en hongrois, en allemand, cela rejoint votre idée de passerelle?

Cela provient de mon amour pour toute culture que je ne connais pas. Pour moi, il n'existe qu'une culture alors qu'on nous fait croire qu'il y en a deux : la culture hiérarchisée, élitiste et prétendument inaccessible et la culture populaire. En piochant dans l'une et dans l'autre, je suis à la fois traître aux deux catégories et en position d'observateur privilégié.

En lisant vos pièces, on se croirait dans une comédie musicale, un film, un tableau, une pub... Vous empruntez à tous les styles, il y a un éclatement complet de l'écriture prise dans un tourbillon de saynètes rapides, très courtes.

Parce que j'écris en déversant tout, pêle-mêle, et après j'enlève la rhétorique. Dès que je sens que cela s'enlise, pfuittt, je passe à autre chose. C'est pour cette raison que les scènes sont rapides. Il y a toujours le danger que les idées prennent la place de la passion qu'elles représentent. […]

Il y a quelque chose de transgressif dans vos pièces, à commencer par vos titres - Images de Mussolini en hiver, Meurtres de la princesse juive- pensez-vous que l'écriture doit transgresser?

Ce n'est pas volontaire. J'écris ce que je pense, comme je le pense, mes limites ne coïncident pas forcément avec celles des autres, voilà tout. Il y a quelqu'un qui disait une chose peut-être faite à quoi bon la faire, je préfère aller là où je ne suis jamais allé. En fait, je ne sais pas où je vais. Avez-vous remarqué que mes pièces sont bancales? Chaque fois ce sont des tentatives, c'est pour cela qu'elles sont courtes.
[…]

Est-ce qu'il n'y a pas un héritage des surréalistes argentins?

Dieu merci je suis fils de prolo, de paysan. Partout où j'ai vécu j'ai toujours été étranger. Mes parents ont quitté l'Espagne pour l'Argentine quand j'étais tout petit parce qu'ils crevaient de faim. Nous avons fait l'apprentissage des propositions culturelles de la grande ville en même temps. Nous allions au cinéma voir des Bergman, mais nous ne savions pas qui c'était, […]J'ai vraiment profité de l'âge d'or de la culture argentine qui était à la fois tournée vers l'Europe d'où venaient les migrants, mais aussi beaucoup vers les États-Unis, c'est ainsi que j'ai eu accès à Paul Bowles, Wharol, etc..

En lisant vos pièces, on pense forcément à l'Argentin Copi, vous a-t-il influencé?

Nous venons de la même histoire, il avait le même respect pour la culture populaire. Copi était un modèle à suivre mais il ne m'a pas influencé. Il faisait partie de la génération d'avant, comme Jorge Lavelli, ils sont arrivés plus tôt en France. Quand je suis arrivé en France à mon tour, la parano était devenue terrible en Argentine, tous les intellectuels s'exilaient ce n'était plus possible de travailler là-bas mais je n'avais pas vraiment le projet de rester, c'est une histoire d'amour qui en a décidé. Là-bas en Argentine, j'ai écrit une fiction qui portait un titre à rallonge Sacha Distel, les Rolling Stones et un ange de Jehovah envahissent la ville de Buenos Aires et des texte pour des groupes de rock, j'ai réalisé des happenings. Aujourd'hui je me suis remis à écrire pour un groupe de rap de Malaga, Fila India.

Arrivé en France, avez-vous tout de suite écrit en français?

Oui des articles dont un Les Chiens aboient, Claude Régy passe dans Libération. C'était une arme de plus pour gagner ma croûte, […] La langue française est une langue paternelle pour moi. À 14 ans, quand j'ai dit à mon père que j'étais pédé il m'a frappé et m'a donné un revolver pour que je me tue. Mon père m'a trahi, j'étais en rupture de père. Quand j'ai rencontré l'homme pour qui je suis resté en France -l'histoire d'amour dont je parlais avant- il a été comme un nouveau père pour moi, grâce à lui j'ai conquis une autre langue, un nouveau pays, la France où j'espère pouvoir revenir bientôt.

La maladie a changé votre écriture?

La vie d'abord, l'écriture vient après, je vous l'ai déjà dit. La maladie a changé toute ma vie évidemment. L'écriture changera sans doute aussi, je sens un refus de l'anecdote, j'ai envie de me tourner du côté d'un théâtre proche de l'essai…

Propos recueillis par Maïa Bouteillet
Le Matricule des Anges n °33 Janvier-mars 2001

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