
Les carnets du sous-sol lus par Patrice Chéreau, d’après Le sous-sol (1864) de Fédor Dostoïevski. Texte français d’André Markowicz
« Je suis un homme malade… Je suis un homme méchant. Un homme repoussoir. Voilà ce que je suis. Je crois que j’ai quelque chose au foie. De toute façon, ma maladie, je n’y comprends rien, j’ignore au juste ce qui me fait mal. Je ne me soigne pas, je ne me suis jamais soigné, même si je respecte la médecine et les docteurs. En plus, je suis superstitieux comme ce n’est pas permis : enfin, assez pour respecter la médecine. (Je suis suffisamment instruit pour ne pas être superstitieux.) Oui, c’est par méchanceté que je ne me soigne pas. Ça, messieurs, je parie que c’est une chose que vous ne comprenez pas. Moi, si ! Evidemment, je ne saurais vous expliquer à qui je fais une crasse quand j’obéis à ma méchanceté de cette façon-là ; je sais parfaitement que ce ne sont pas les docteurs que j’emmerde en refusant de me soigner ; je suis le mieux placé pour savoir que ça ne peut faire de tort qu’à moi seul et à personne d’autre. Et, malgré tout, si je ne me soigne pas, c’est par méchanceté. J’ai mal au foie. Tant mieux, qu’il me fasse encore mal ! »
« Aujourd’hui, il m’est parfaitement évident que c’est moi, moi-même, avec mon incommensurable vanité et, donc mon exigence envers moi-même, qui me considérais tout le temps avec cette insatisfaction furieuse pouvant aller jusqu’au dégoût et que, du coup, j’assignais cette opinion à tous les autres. (…) C’est vrai quoi ! Je me pose une question complètement oiseuse - mais que vaut-il mieux : un bonheur bon marché ou une souffrance qui coûte cher ? Non, mais, que vaut-il mieux ? »
Fédor Dostoïevski
37 bis, bd de la Chapelle 75010 Paris