Les bas-fonds

du 12 au 23 décembre 2007
2h30

Les bas-fonds

Les bas-fonds constituent l'espace physique mais surtout mental où se débattent les personnages : espace sans issue, huis clos des Perdus. C'est la dernière étape vers le néant, un espace où l'on ne possède même plus l'air qu'on respire. Les personnages, prisonniers d'eux-mêmes, prisonniers entre eux, prisonniers de la société, vivent comme des otages de leur propre destinée.

Note d'intention
Démarche dramaturgique
Mise en scène
La chorégraphie

  • Note d'intention

"L’Homme ! Il faut respecter l'Homme. Pas le plaindre, pas l’humilier par la pitié… Il faut le respecter. Buvons à l’homme, baron." Ces paroles sont prononcées dans la cave humide d’un asile de nuit, où le soleil de la vraie vie ne pénètre que furtivement et où finissent de pourrir les âmes, à demi décomposées déjà, des ex-hommes.

La société que dépeint Gorki au début du XXe siècle ressemble étrangement à ce début du XXIe siècle : les rapports individuels toujours et partout empoisonnés par une constante et inutile hostilité de tous contre tous.

Depuis l’après-guerre, les générations ont travaillé et ont donné souvent de leur vie, pour essayer de créer des conditions d’existence et de travail supportables.

Aujourd'hui, ces fragiles rapports sociaux sont plus que jamais mis à mal, notamment par la multiplication des contrats précaires qui engendrent la misère et la pauvreté. Une vie de peur et d'angoisse au quotidien. En effet, la société d’aujourd’hui favorise le combat individuel plutôt que la lutte pour une solidarité entre les individus. Nous assistons à une montée de la haine et de la violence, de la précarité et de la misère.

Par-dela l’envie et l’intérêt personnels, monter “les Bas-fonds” de Gorky m’est apparu comme une nécessité, une évidence, une réponse face au monde actuel : un monde où le système économique européen s’essouffle, un monde où - faute d’idées et de solutions face au capitalisme forcené - on accuse les protections sociales, les services publics (ceux pas encore totalement privatisés) et l’immigration d’être la cause de la dette nationale.

Malgré les discours des politiques, la pauvreté s’est installée et ne régresse pas. Il est facile d’accuser la paresse des pauvres, le coût trop élevé des aides sociales, mais ce n’est pas sérieux.

Les études économiques et sociologiques montrent la volonté de travail d’une majorité de démunis. Les difficultés à trouver un travail et le développement d’une pauvreté de jeunes actifs, qui doive n t utiliser une part croissante de leurs revenus pour se loger, sont bien réels. Dans le même temps, la flexibilité du marché du travail a été accrue : elle était censée résoudre le problème du ch ô m a g e , n’est-il pas temps de remettre en cause ce discours libéral qui ne prend pas en compte les besoins essentiels d’une grande majorité de la population ?

Dans nos métropoles européennes, les problèmes de logements sont évidents et le marché de l’immobilier devient tellement lucratif que les professionnels de l’immobilier exigent des garanties abusives, démesurées : aujourd’hui, on se retrouve ainsi avec plus de 20% de sans-abris qui ont un travail, mais à qui l’on ne veut pas louer un logement. La question étant tellement épineuse pour les politiques que personne ne veut s’en mêler.

Il ne s’agit pas non plus de dénoncer les tares de la société, mais plutôt de s’interroger avec les spectateurs sur la réalité de la vie et la facilité avec laquelle on peut porter des jugements, souvent non réfléchis sur l’autre, sur les différences qui nous fait peur.

Et en même temps, on retrouve dans les bas-fonds une micro-société, avec ses violences, ses cruautés, ses intolérances, sa hiéra rchie, toutes ces choses que ces individus fuient dans la société mais qu’ils retrouvent et reproduisent dans les bas-fonds

Mais au-delà de la réflexion de l’homme dans la société et avec le progrès, la pièce met l’accent sur l’homme lui-même, sur sa cruauté, sa violence, son intolérance, ses chaos de sentiments sombres qui l’éloignent de la liberté. Cette liberté si chère à tous, que ces hommes qui vivent dans la rue se disent avoir, car en fin de compte il ne leur reste plus que ça, mais ils ne voientpas que chacun est soumis aux lois et aux exigences de sa propre nature. Mais ils ne se doutent pas qu’ils sont des esclaves de la société. Leur avenir est leur passé, ces souvenirs qui leur ra p p e l l e n t qu’eux aussi étaient comme tout le monde, normaux, mais voilà… Ils attendent la fin et souvent la souhaitent rapide, pour mettre fin à leurs souffrances. Et en même temps, il y a un espoir que tout change, il y en a qui ont la force de croire et de se battre, puis ceux qui abandonnent…

Ces sans abris, ces moins que rien, ces rejetés, ceux qu’on montre du doigt, ceux à qui l’on donne une petite aumône, ceux qui sentent mauvais et qui ont le visage ravagé, ceux qui nous font peur, ceux qui sont ivres, malades… Ceux-là même ont beaucoup à nous dire et à nous apprendre, et c’est ce que cette pièce met en avant : leur grandeur d’âme ; leur soif de justice et de liberté ; et également l’espoir d'une autre société et d’une autre vie.

Et Gorki, se plaignant de ces personnes qui l’empêchaient de finir d’écrire la pièce, disait :
“Voyez-vous, tous ces gens grouillent autour de moi, se bousculent, se chamaillent, et je n’arrive pas à les faire tenir en place et se réconcilier. Ils ne cessent de parler - et, ma foi, ils parlent bien. Ce serait dommage de leur couper la parole !”

Comment sortir des clichés et prendre le temps de s’interroger ? Comment accepter les différences et vivre les uns avec les autres ? Où trouver la ressource de réagir, questionner, critiquer, proposer ? Toutes ces questions nous ramènent au sens même du rôle du théâtre dans nos sociétés. Que nous apportent toutes ces réflexions avec la force émotive du théâtre, de la danse, de la musique et de la poésie ?

“Nous vous en prions instamment, ne dites pas “c’est naturel” devant ce qui se produit chaque jour ; qu’en une telle époque de confusion sanglante, de désordre institué, d’arbitraire planifié, d’humanité qui se déshumanise, rien ne soit dit “naturel” afin que rien ne passe pour Immuable” Bertolt Brecht

Lucile Cocito

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  • Démarche dramaturgique

L'élément essentiel pour la lecture de la pièce est son titre même : Les Bas-fonds. Les bas-fonds constituent l'espace physique mais surtout mental où se débattent les personnages : espace sans issue, huis clos des Perdus. C'est la dernière étape vers le néant, un espace où l'on ne possède même plus l'air qu'on respire.

C'est une plate-forme renfermée sur elle-même où le mouvement de la marche inévitable vers la mort est marqué par les sursauts de l'irruption du jeu clandestin, de la passion, de la haine et de la violence.

Les quatre actes de la pièce se succèdent dans cet espace vague, incertain, où l'on a parfois l'impression qu'une action va faire basculer cet état des choses, mais ce n'est finalement que du vacarme.

Dans ces bas-fonds, toute action ne peut engendrer qu'une seule réalité, celle de la mort ; on a beau essayer de croire, comme Kletch, que demain tout cela va cha nger, ce n'est qu'une illusion, et le son du marteau concrétise alors le temps qui passe inéluctablement.

Même les entrées et sorties n'élargissent pas cet espace clos, où tous les personnages sont pratiquement toujours en scène, pris dans une toile d'araignées où ils se meuvent , n'ayant que peu d'espoir de s'en sortir.

Ces personnages sont prisonniers d'eux-mêmes, prisonniers entre eux, prisonniers de la société, ils vivent comme des otages de leur propre destinée.

Le premier acte nous introduit dans cet espace-temps particulier, on y découvre les personnages et les motifs dramatiques qui les animent. Dès le premier tableau, Gorki nous met devant la problématique de la rue. Ici le niveau social s'efface, pour laisser l'homme dans la nudité
e sa déchéance. Le Baron : "Le passé est le passé… il n’en reste pas lourd. Tout a disparu, il n'y a plus que l'homme dans sa nudité."

C'est pourquoi Gorki va donner, à chaque personnage, un niveau social différent. Un baron, un ouvrier, un artisan, un acteur, un intellectuel… se croisent et se heurtent à une réalité commune : la rue, pour ceux qui ont tout perdu, ceux qui n'ont plus aucune porte à fermer, aucune adresse à donner, aucune identité à affirmer.

Gorki veut nous montrer que cette même rue que nous parcourons sans y penser peut nous engloutir un jour, peu importe d'où l'on vient et qui l'on est. La descente est très rapide et la remontée en est d'autant plus difficile. Le désespoir et la misère attendent devant chaque porte.

Les personnages sortent tour à tour la tête de leur " poche", protection vitale pour survivre dans les bas-fonds. Ils sortent de partout, masse inerte ou se mouvant lentement, comme si le temps n'allait pas à la même vitesse qu'ailleurs.

L'auteur nous met tout de suite face au passé des personnages avec leurs différences sociales, face aux systèmes hiérarchiques qui se sont reproduits dans les bas-fonds et face à l'état psychique et médical de chacun.

Il y a ceux qui n'espèrent plus rien de la vie et qui attendent la mort, comme l'Acteur, qui se suicide par l'alcool, qui a perdu jusqu'à son nom de théâtre et n'attend que la fin : " …Comprends-tu combien il est pénible d'avoir perdu son nom ? Les chiens eux-mêmes ont un nom… Pas de nom, pas d'être humain ". C'est également le cas du Baron, de Nastia et d'Anna. Puis, il y a Pepel et Satine, qui ont " compris " qu'il valait mieux vivre encore un peu aux crochets de la société.

Satine :
" … Ne fous rien. Sois une charge pour la terre, tout simplement. " D'autres tentent de survivre en se raccrochant à ce qu'ils peuvent, pour se convaincre qu'ils ne ressemblent pas à leurs voisins de misère, comme par exemple Kletch : "… C'est pas des hommes… Moi je suis un ouvrier, ça me dégoûte de les regarder. Je travaille depuis mon enfance… Attends seulement que ma femme soit morte…" ; ou Kostylev qui se persuade qu'il est moins miséreux que les autres, parce qu'il collecte quelques kopecs chez chacun.

Kletch le résume ainsi : "… Ça va bientôt crever et ça ne pense qu'au fric ". L'argent n'a plus la même valeur dans les bas-fonds, puisque personne n'a plus rien, n'espère plus rien. Tous s'entraident donc mutuellement de quelques sous pour aller se soûler ou jouer, et en même temps, ils parlent beaucoup d'argent, comme si c'était la seule chose qui les reliait avec le monde extérieur, avec leur passé.

Puis il y a Louka : un voyageur, un extérieur, un grand-père "spirituel du pauvre", dont l'arrivée va marquer une rupture dans le quotidien des bas-fonds. Louka introduit dans ce milieu un zeste de morale avec son passé culturel religieux, de la sagesse "de comptoir", beaucoup d'espoir et d'écoute. C'est un personnage qui pose beaucoup de questions, par lesquelles l'auteur nous fait découvrir la vie, le passé et les réflexions des autres. Louka est plus une fonction qu'un personnage, car il sert à ouvrir les intrigues dramatiques, et lorsque celles-ci sont consommées, il disparaît étrangement, comme il est venu.

C'est dans le deuxième acte que les conflits éclatent et que Gorki, en opposant les personnages entre eux, dévoile plus en profondeur leur psychologie. L'échec passionnel entre Vassilissa et Pepel, se terminant quasiment dans le meurtre du mari, Kostylev, est placé au coeur de l'intrigue.

Cette histoire d'adultère, histoire banale parmi d'autres, révèle dans la réalité des bas-fonds la précarité de sa population. Tous ici sont à fleur de peau, un rien peut les faire plonger vers la mort ; et la mort est déjà là, juste dans le lit voisin… Anna meurt. Anna, dès le début de la pièce, se débat avec la maladie et lutte contre la mort. Elle marque son temps, celui de l'agonie. On dirait qu'elle envahit tout l'espace avec sa respiration lourde, sa plainte et sa douleur. Le personnage dramatique s'accomplit dans sa mort, mais son esprit persiste. Après la mort physique d'Anna, les bas-fonds plongent dans une spirale infernale.

Louka, par sa fonction révélatrice, prend alors un rôle plus actif et distille l'espoir de changement, directement chez plusieurs personnages : l'Acteur, Pepel, Natacha, et par ricochet chez tous les autres. Ceux-ci, animés par le vieillard, retrouvent une faible lueur d'espérance et tentent maladroitement de s'en sortir, mais ils ne feront que précipiter leur fin.

C'est au quatrième acte que leur drame se consomme : faute d'avoir le courage de continuer à y croire, la vie les abandonne enfin. Il règne, dans les bas-fonds, une atmosphère de jeux, d'alcool et de misère, mais on y trouve aussi une dimension philosophique avec les discours de Louka et les citations de l'Acteur :" … Honneur au fou qui ferait faire un rêve heureux au genre humain… P.J.Béranger."

L'auteur nous donne une leçon de vie dans les endroits les plus misérables. C'est au troisième acte que Gorki nous présente ses discours humanistes avec le désespoir d'amour de Nastia et la folie qui en résulte, il place l'humain au centre de la seule possibilité de s'en sortir : en comptant sur ses propres forces. … Et lorsqu'on sent que l'être humain reprend un espoir de vie, de changement, survient le drame qui va tout anéantir, balayer ce souffle de vie pour laisser place une fois de plus à la mort, à la douleur et à la misère.

Dans le quatrième acte, Gorki nous donne sa grande théorie humaniste : " … l'Homme seul existe, tout vient de l'homme et pour l'Homme… " ou encore : " … L'homme naît pour qu'un jour naisse un homme meilleur… ". Et tous les personnages semblent d'accord, pour un moment.
A travers Satine, c'est Gorki lui-même qui parle. D'ailleurs, c'est le seul personnage qui reste un peu flou pendant toute la pièce : intellectuel sans avoir étudié les lettres, autodidacte, c'est lui qui développe les grandes théories humanistes de l'auteur.

Mais l'auteur ne s'arrête pas là, et au moment où l'on croit le plus à l'Homme, à sa force de vo l o n t é et de changement, le suicide de l'Acteur donne à la pièce une fin ouverte. Gorki conclut alors : l'espoir peut nous faire vivre, mais quant à la possibilité réelle de s'en sortir, c'est à nous, lecteurs d'aujourd'hui et spectateurs de demain, d'en définir le chemin. "…L'Homme peut tout, il n'a qu'à vouloir." (Louka, troisième acte).

Lucile Cocito

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  • Mise en scène

Les idées de mise en scène se sont dessinées au cours du stage de préparation en juillet 2004 : le travail avait été orienté essentiellement sur deux axes, le corps et le texte. Il est apparu, comme une évidence, que le corps, reflet du sentiment, se mêlait au texte.

Alors, comment faire passer les sentiments par le corps autant que par la parole ? Peut-on parler de danse ? de chorégraphie ? En tout cas, le corps, comme la parole, est porteur de sentiments au service de la poésie et du poète. Pour qui ? Et comment ?

Nous sommes partis du fait que nous sommes des êtres humains qui jouent devant d’autres êtres humains qui nous regardent : cela constitue pour nous la base d’une pièce de théâtre.

Il faut être capable, avec les yeux de notre époque, de mettre en avant les sujets de la pièce, d’intéresser tout le monde, afin que le public se reconnaisse dans ce que nous faisons. Au théâtre, en effet, notre temps seul est important, le moment présent, à l’endroit précis où nous sommes.

A chaque moment de la pièce, les images, les sons, les mouvements, les mots ont un effet sur le public, et les situations humaines éveillent son intérêt. Il s’agit d’établir un rapport entre chaque individu et le groupe, chacun y apportant sa sensibilité ; de laisser les corps libres d'improviser, afin de chercher la motivation la plus juste d’un mot, d’un mouvement, d’un sentiment, si anodin qu’il soit, ou d’une action, la plus folle qu’elle puisse paraître.

Nous cherchons comment apporter la vie à chaque mot, développer chaque sentiment d’un corps en mouvement. Le décor, les costumes, la musique et la lumière, sont là pour servir l'acteur et le poète, pour aider l’émotion à surgir des corps, pour accompagner le mouvement ou la compréhension des mots, mais non pour éblouir de façon superficielle l'oeil et l’âme du spectateur.

Musique et danse

En ouverture du spectacle, on voit l’arrivée des personnages dans les bas-fonds. Corps en mouvement qui se débattent et résistent. Le décor des Bas-Fonds n’est pas encore présent.

Pendant cette lutte des corps qui tentent, dans un ultime souffle, de se relever pour ne pas finir dans les bas-fonds, frontière de la mort.

De même pour les costumes des personnages, qui ne seront pas habillés de manière réaliste, comme des clochards, mais plutôt de manière intemporelle, selon diverses cultures, sans que l’on puisse pour autant définir l’époque présente ou future, d’ici ou d’ailleurs.

La musique bien sûr est très présente : Le Sacre du Printemps d’Igor Stravinski, écrit en 1913. Ce n’est sans doute pas un hasard, même si mon but n’était pas forcément de prendre un compositeur russe de la même époque que Maxime Gorki. On retrouve dans Le Sacre du Printemps la même violence que dans Les Bas-fonds, la lutte des êtres pour leur survie, l’affrontement des hommes et des femmes, l’urgence qui les pousse à essayer de s'en sortir coûte que coûte, l’angoisse qui les jette les uns contre les autres, avec une bestialité resurgie ; comme dans Les Bas-fonds, il y a des victimes “sacrifiées”, des boucs émissaires nécessaires à l’apaisement général.

Stravinski tranche au couteau le tissu sonore au moment où on ne s’y attend pas, et lorsque, dans Le Sacre du Printemps, une section s’interrompt, c’est très souvent pour faire place à une autre, de nature toute différente, et ce, sans transition aucune.

Le compositeur met en place des éléments contrastants, brefs ou élaborés, puis les oppose. Comme dans la dramaturgie de Gorki, on retrouve dans Le Sacre du Printemps des rythmes bruts, complexes, superposés, d'accords sauvages, de couleurs ivres, tranchées et violentes.

En mêlant Gorki et Stravinski, je souhaite mêler la parole et le jeu d'acteur à la danse. Précisons qu’une partie du Sacre sera diffusé dans sa version orchestrale et une autre partie de cette oeuvre, sera jouée sur scène dans une libre interprètation ainsi que des compositions originales de Marilou Cocito avec un “cristal” : structure sonore Baschet.

Le cristal est un instrument chromatique au clavier constitué de baguettes de verre, que l’on frotte avec des doigts humidifiés, l’eau faisant office de colophane. La fonction première de cet instrument, totalement acoustique, n'est pas de produire des notes et des mélodies, mais plutôt des sons et des contrastes de timbres. Ses deux propriétés fondamentales sont l’originalité et la qualité sonore : il offre un riche éventail de sons très étonnants. On le nomme “palette sonore”, tant les combinaisons de couleurs sonores sont multiples. Le son obtenu est pur et lumineux comme celui d’un cristal.

On découvre le décor lorsque les personnages, épuisés, rentrent dans les bas-fonds. On voit alors une immence toile d’araignée, symbole de l’enfermement de ces êtres prisonniers de la société mais également prisonnier d’eux-même.

Les personnages seront suspendus à la structure, dans des espèces de “hamacs”, suspendus entre la vie et la mort, entre la terre et les étoiles, comme déjà ailleurs.
Le personnage d’Anna, qui agonise dans le premier acte et qui meurt dans le deuxième, symbolise la mort omniprésente dans les bas-fonds. Le sacre du Printemps demande des corps en mouvement… Une danse de la mort … Anna, meurt et avec sa mort, fait naître La Mort; personnage symbolique présent le restant de la pièce, comme cette mort qui guette sans cesse, surgissant où l’on ne l’attend pas, soutenue par le “Sacre” qui réclame ses proies. La chorégraphie sera de Shaula Cambazzu qui interprétera le rôle d’Anna et de La Mort.

Traduction

La traduction des Bas-fonds est de Génia Cannac dans l’édition de L’Arche.

Lucile Cocito

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  • La chorégraphie

Ma première rencontre avec Lucile Cocito et son projet de monter les bas-fonds de Gorky a eu lieu en été 2004, dans le cadre du stage organisé en Belgique.

Ce stage intensif a été la première phase de rech e rche d'un long processus créatif. A ce moment-là, la figure d'Anna se présenta à moi comme une figure signifiante plutôt que comme personnage cohérent et autonome.

En effet, toute mon attention a été captivée par l'assujettissement de ce personnage à son propre corps. C'est dans l'agonie qu'Anna s'exprime au monde, son corps allongé enferme tout son être. Ainsi, Anna était pour moi la représentation physique de la mort. Si pendant les instants agonisants de sa «réelle» présence dans la pièce, le corps d'Anna ne s'envole pas et reste terriblement et dramatiquement charnel et lié à la terre ; dans mon imaginaire, il se libère dans une danse macabre à la mort physique du personnage.

Puisque la mort habite les bas-fonds et paraît être la seule issue ; Anna «figure», reste présente, et voire même plus affirmée alors que le personnage n'est plus.
La danse a toujours été à mes yeux un moyen de se dépasser, et de dépasser les limites même de notre propre réalité physique. Cela à travers le travail dur et exigeant, la rigueur de la technique confrontée à l'expression la plus libre et la plus spontanée.

En voulant pousser plus loin, à chaque pas encore plus loin nos limites, on ne peut qu'être confronté à la limite ultime de notre existence : la mort.

Dans la perte de soi que peut entraîner la danse, nous pouvons, intuitivement, toucher à la réalité de la mort. Et c'est peut-être le défi suprême du danseur de vouloir se rapprocher des dieux en sublimant la vie dans la danse pour conquérir l'éternel mystère d'après l'existence ; hélas, il ne le peut seulement dans la précarité de l'instant présent.

Tout revient à une lutte acharnée, pour vaincre la puissance inévitable de la mort, pour ressentir «vraie» sa propre existence. C'est un travail qui demande un voyage vers l'essentiel du mouvement, c'est un défi et un challenge que de vouloir danser la mort, ou mieux faire danser une réalité intouchable par un corps défini qui est le nôtre. Une vraie folie, celle peut-être qu'entraîna Nijinski vers la démence réelle et celle même qu'inspira peut-être Stravinsky dans son Sacre…

Le Sacre nous renvoie au sacrifice originaire ou la vie pure d'une vierge est justement sacrifiée pour l'intérêt de la communauté. La jeune fille la plus belle et la plus vertueuse, seule pourrait être apte à apaiser la communauté déchaînée de ses semblants avec le don de son sang. Elle mourra pour permettre aux autres de vivre.

Anna, quant à elle, meurt et emmène lentement mais sûrement tout le monde avec elle. Sacrifier les bas-fonds, c'est sacrifier toute une communauté dérangeant la société, c'est le sacrifice de gens auxquels on a essayé de tout prendre, même leur âme.

Anna devient l'icône de cette archaïque exigence de l'homme à rechercher un bouc émissaire pour consolider son pouvoir temporel. En somme, cette danse macabre est pour moi un baptême de feu…

Shaula Cambazzu

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Informations pratiques

Cartoucherie - Théâtre du Soleil

Cartoucherie - Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris

Accès handicapé (sous conditions) Bar Cartoucherie Librairie/boutique Restaurant
  • Métro : Château de Vincennes à 1 km
  • Bus : Cartoucherie à 45 m, Plaine de la Faluère à 368 m, Stade Léo Lagrange à 571 m
  • Navette : Sortir en tête de ligne de métro, puis prendre soit la navette Cartoucherie (gratuite) garée sur la chaussée devant la station de taxis (départ toutes les quinze minutes, premier voyage 1h avant le début du spectacle) soit le bus 112, arrêt Cartoucherie.

    En voiture  : A partir de l'esplanade du château de Vincennes, longer le Parc Floral de Paris sur la droite par la route de la Pyramide. Au rond-point, tourner à gauche (parcours fléché).
    Parking Cartoucherie, 2ème portail sur la gauche.

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