Le plus heureux des trois

du 10 septembre au 20 octobre 2013

Le plus heureux des trois

Eugène Labiche mis en scène par Didier Long avec Jean Benguigui, Arthur Jugnot et Arnaud Gidoin.
CLASSIQUE Terminé

Eugène Labiche dresse le portrait de bourgeois qui ont la passion de l'argent et la peur du changement. Il met à jour la vacuité de leurs idéaux, leur individualisme, et surtout les tromperies auxquelles ils se livrent dans leur ménage et dans leurs affaires. Une mise en scène de Didier Long avec Jean Benguigui, Arthur Jugnot et Arnaud Gidoin.

La femme et l'amant trompent le mari. L'amant trompe sa maitresse et le mari sa femme. L'oncle de l'amant est l'amant de la première femme du mari et les domestiques à leur tour entrent dans cette ronde du désir et de l'infidélité passée, présente et à venir. Le plus heureux n'est pas forcément celui qu'on croit.

Comme beaucoup d'auteurs dits « comiques », Labiche a longtemps souffert d'un malentendu, et l'image à l'emporte-pièce qu'on se fait encore parfois de son œuvre, tend à en réduire considérablement la portée.

Il est reconnu à juste titre comme un maître du rire, fort de l'esprit et de la verve qui le caractérisent sans conteste, du mouvement qui animent ses œuvres, de la fertilité de ses inventions et du comique extravagant, que Théophile Gautier a le premier défini comme une logique de l'absurde, avant que les Surréalistes, Soupault en tête, ne reconnaissent en lui un de leurs précurseurs.

Car bien loin d'être des caricatures, des fantoches sans âme ni chair, les personnages de Labiche pensent et agissent toujours dans la logique de leur caractère. Ce sont les circonstances qui les révèlent, et les obligent, les dépassant, à se montrer dans leur vérité profonde. Ils sont mis à nu, perdus, prisonniers d'une situation qu'ils ont toujours contribué à provoquer.

La revendication du vaudeville chez Labiche se double incontestablement d'une peinture des mœurs de son époque. Son univers est ainsi, comme celui de Balzac, un univers orchestré de portraits finement ciselés, clairvoyants, impitoyables, terriblement humains, organiques.

Ces portraits sont ceux de ses contemporains, qu'il connaît bien, ces bourgeois sous Louis Philippe, qui plus tard, porteront Louis Napoléon de la République à l'Empire, ces bourgeois qui composent la classe dirigeante depuis 1830.

Comme un chirurgien, il dissèque en détail une galerie de portraits qui ont la passion de l'argent et la peur du changement. Labiche met à jour la vacuité de leurs idéaux, leur individualisme, et surtout les tromperies auxquelles ils se livrent dans leur ménage et dans leurs affaires.

Dans chacune des pièces de Labiche, ces portraits à la Daumier, revendiquent les principes de fidélité, de probité, d'honnêteté, et pourtant passent leur temps à les battre en brèche.

Si ces personnages sont souvent lâches, mesquins, vaniteux et narcissiques, il est possible de déceler sans mal, la solitude qui les envahit, l'amertume et la mélancolie de leur quotidien fait de déception, de renoncements, d'ennui. Et Labiche soigne cette tristesse par le rire. « Je ne suis jamais parvenu à prendre les hommes au sérieux. » écrira t-il à Zola.

En fait il n'est pas une seule grande pièce de Labiche dont on ne pourrait en tirer un drame. Et c'est la grande force de son théâtre, comparé en son temps à Molière par Flaubert, à Marivaux par Soupault.

Avec Faut-il le dire, et avant Le Prix Martin, Le plus heureux des trois, traite avant tout de l'infidélité, de la sexualité, de son rapport au secret, au mensonge, au doute, à la peur, à l'orgueil et à la valorisation de soi.

Avec Le plus heureux des trois, Labiche, secondé par Gondinet (dont ses contemporains louaient la rigueur et l'architecture des textes), porte la thématique à son paroxysme.

Si le trio bien connu du mari, de la femme et de l'amant est présent, Labiche le décline à l'infini et de manière exponentielle. Si l'amant et la femme trompe le mari, l'amant trompe sa maîtresse et le mari sa femme... Et l'amant est le meilleur ami du mari et le neveu de l'amant de la première femme du mari. Première femme que le mari ne cesse de prendre comme exemple... Et les domestiques eux mêmes entrent dans cette danse du désir et du mensonge...

Pour Labiche le rire naît toujours de la férocité d'une situation dont les personnages sont à la fois les responsables et les détracteurs.

Le plus heureux des trois n'est pas une comédie-cortège comme le Chapeau de paille d'Italie ou La cagnotte. Comme Le Prix Martin, l'amitié trahie et l'adultère sert de socle à une spirale de sentiments intérieurs qui nourrissent l'action, laquelle à son tour les provoque dans un mouvement ascensionnel. L'absurdité surréaliste naît de la mise en abîme de la thématique, que Labiche pousse aussi loin qu'il est possible, avec un mécanisme à la logique implacable.

L'acte 1 fait en durée le double de l'acte 2, qui fait à son tour le double de l'acte 3 : l'action s'accélère et les protagonistes ont de moins en moins de temps à consacrer à la réflexion et sont contraints de plus en plus à l'urgence et à l'action. Leurs certitudes se déconstruisent, à l'image du décor, de bourgeois traditionnel au premier acte, il s'appauvrit dans le cabanon à tout vent de l'acte deux, pour finir dans le no man's land du jardin au troisième acte.

A la fin, l'infidélité persistera. Au fond rien ne changera. Seul un mariage qui repose sur un malentendu sera célébré. L'amour n'aura pas davantage sa place qu'au début et l'amitié n'existera que trahie.

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Spectacle terminé depuis le dimanche 20 octobre 2013

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