Le Maître et Marguerite

Aubervilliers (93)
du 16 au 19 mars 2006
3 heures avec entracte

Le Maître et Marguerite

Spectacle en lituanien, surtitré. De cette fresque sauvagement carnavalesque portée par une furie de vérité, O. Korsunovas offre une version électrique dans laquelle les comédiens sont rois. Autour d’une table circulaire trouée en son centre, véritable cène pour festin du Diable, on s’y assoit, on y danse, on y disparaît pour y resurgir aussitôt. Il envisage le théâtre dans le feu de l'action, au sein de la plus grande dépense physique et mentale. Renversant.

Spectacle en lituanien, surtitré.

Amour et création
Note du metteur en scène
Le mot de l'adaptateur
Le théâtre des paradoxes d'Oskaras Korsunovas
Le roman de Mikhaïl Boulgakov : repères
La dimension mystique de l'écriture de Boulgakov
La presse

Dans le Moscou des années 30 se nouent deux intrigues : d'une part, la visite du Diable flanqué d'une pittoresque suite qui sème la panique dans le monde mesquin des littérateurs et des bureaucrates, et d'autre part, la persécution d'un écrivain anonyme, le Maître, contraint de brûler sa dernière oeuvre, véritable roman dans le roman de Boulgakov, qui raconte l'impossible dialogue entre le philosophe Yeshoua et le procurateur Ponce Pilate.

S'ajoutent les amours, en rupture avec les valeurs traditionnelles, du Maître et de Marguerite, femme bourgeoise mariée qui pactise avec le Diable.

Les histoires se lient lorsque le Malin, illusionniste, justicier et mécène, qui prononce une des phrases les plus célèbres de la littérature russe « Les manuscrits ne brûlent pas », sauve le livre du Maître, et lui fait rencontrer Pilate.

Ce roman soumis au feu roulant de la censure ne sera publié qu’en 1966, vingt-six ans après la mort de l’écrivain. Au-delà du plaidoyer contre les dérives totalitaires de la Russie des années 30, Mikhaïl Boulgakov pose une question universelle à travers les figures symboliques de l’écrivain maudit et de la femme amoureuse : la création est-elle une valeur spirituelle qui mérite le sacrifice absolu de sa vie ?

De cette fresque sauvagement carnavalesque portée par une furie de vérité, Oskaras Korsunovas offre une version électrique dans laquelle les comédiens sont rois. Autour d’une table circulaire trouée en son centre, véritable Cène pour festin du Diable, on s’y assoit, on y danse, on y disparaît pour y resurgir aussitôt.

Oskaras Korsunovas, figure incontournable du théâtre lituanien, envisage le théâtre dans le feu de l'action, au sein de la plus grande dépense physique et mentale.

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La densité de sens et l'intrigue très élaborée du Maître et Marguerite rendent impossible sur scène sa réalisation complète. C'est pourquoi la seule issue est de couper juste un petit morceau de la lune magique de cette oeuvre. La relation entre le Diable et Marguerite, histoire de Faust réalisée à travers une femme, est le thème principal du roman. C'est un fil conducteur douloureux et au fort ressort dramatique.

Marguerite n'est pas seulement une femme qui s'est sacrifiée comme dans le Faust de Goethe ; elle est celle qui a consciemment choisi l'autodestruction perpétuelle par amour, qui est pour elle la plus grande source de création. Woland (le Diable) et sa suite effrayante et grotesque sont dotés de quelques traits sympathiques - ce qui n'est pas un hasard dans ce roman.

Dans le système totalitaire stalinien, eux seuls restent impunis pour leur liberté d'esprit. Plus encore, ils démentent toute démagogie idéologique : ils sont les seuls à accorder au Maître et à Marguerite le droit à l'individualisme.

Oskaras Korsunovas

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  • Le mot de l'adaptateur

Le spectacle est construit autour du principe du "rêve dans le rêve" : le mystère de la vie et de la mort, de la reconnaissance et de l'oubli, de l'amour et du désespoir, se passe dans la tête de Biezdomny, personnage principal enfermé dans une clinique psychiatrique.

Dans un certain sens, ce personnage représente Mikhaïl Boulgakov lui-même, la figure symbolique de l'Écrivain, d'un écrivain qui avec son œuvre ou pour son œuvre, pour la Vérité, doit, comme le Christ, passer par des métamorphoses spirituelles différentes : de l'humiliation, au mépris et à la folie, pour atteindre l'état de sainteté.

L'amour et le sacrifice forment l'autre ligne conductrice à travers le pacte de Marguerite avec le Diable. Les activités destructrices de Woland, l'esprit du mal, et de ses compagnons mettent en lumière l'imperfection de la nature humaine.

La polyphonie de ces sujets entremêlés est concentrée autour du message principal de ce spectacle : la création est-elle vraiment une valeur spirituelle qui mérite le sacrifice absolu de sa vie ?

"Les manuscrits ne brûlent pas", c'est l'auteur qui doit brûler dans ce feu pour atteindre à l'immortalité de son œuvre.

Sigitas Parulskis

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  • Le théâtre de paradoxes de Korsunovas

"J'ai toujours été intéressé par un certain aspect du théâtre : la possibilité d'exprimer ce qui ne peut être transmis par les mots, et créer une mystérieuse communication interne entre le public et la scène. La divergence entre les mots et l'action, tout comme entre les mots et les images, est très importante pour moi. Cette divergence facilite l'émergence de nouvelles significations. L'expression visuelle, le mouvement et la chorégraphie sont employés dans le but de faire émerger un autre espace de significations qui communique activement avec le public lors de l'interprétation des mouvements et des mots. C'est cela, je pense, qui constitue le vrai théâtre." Oskaras Korsunovas

Pour Korsunovas, Le Maître et Marguerite est le résultat d'une décennie de travail et de recherche théâtrale. C'est un reflet de l'expérience scénique du metteur en scène et de son travail avec les acteurs. Créée avec le maximum de moyens d'expression, la pièce atteint des généralisations de plus en plus universelles tout au long de l'action. Le thème non seulement de l'artiste mais de l'être humain soumis à son destin en général résonne ici plus fortement qu'avant.

Korsunovas, qui a toujours prêté une attention particulière aux images et au plan visuel et plastique d'une pièce, n'a jamais dans ses travaux antérieurs traité le texte comme un obstacle. Ce qui charmait dans la trilogie de l'Oberiu était que l'idée plastique semblait à la fois commenter d'une façon paradoxale et s'opposer à la structure illogique du texte.

Le metteur en scène a créé des scènes-images-situations dont la signification et la dynamique d'interprétation étaient comme un terreau duquel jaillissaient plus de dialogues statiques de "gros plan" et plus de monologues. Combinées les unes avec les autres, ces scènes-images-situations produisaient une chaîne d'actions liant image et mot, libres de toute relation de cause à effet.

Cette nouvelle dramaturgie appliquée à une structure de texte différente a légèrement corrigé la compréhension du théâtre de Korsunovas. Le metteur en scène n'a cependant pas modifié son opinion : un travail théâtral n'existe que par rapport à ses propres règles, en tant que réalité unique, et il ne peut être compris qu'à travers un "soi" subjectif.

Le monde subjectif de Korsunovas est un monde de fantasmagories, de rêves-cauchemars et d'hallucinations polyphoniques, habité de personnages eux aussi fantasmagoriques. Ce n'est pas un hasard si chacune de ses mises en scène se rapproche de la structure d'un rêve et d'un paradoxe qui ne peut être justifiée de façon rationnelle, et qui exige une expression verbale et plastique typique seulement d'elle-même.

Un mot doit être prononcé, parfois être supprimé. À certains endroits surgissent images et mots, à d'autres ils développent une distance presque impossible à couvrir. Dans son théâtre, "au commencement était le mot" est évincé par "au commencement était l'action".

Rasa Vasinauskaité
Extrait de
Le théâtre d'Oskaras Korsunovas

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  • Le roman de Mikhaïl Boulgakov : repères

L’action du roman de Mikhaïl Boulgakov se déroule sur trois plans librement entrecroisés, et qui parfois se superposent : à Moscou dans les années 30, entre un vendredi et un dimanche de Pâques ; à Jérusalem, du temps de Ponce Pilate ; et dans un royaume des esprits où les lois de notre terre n’ont plus cours.

Tout commence un vendredi, près de l’étang du Patriarche. Berlioz, homme de lettres, et Biezdomny, poète, tous deux convaincus que le Christ n’est qu’un mythe sans réalité historique, font la connaissance d’un étrange professeur qui leur affirme le contraire, puis leur prédit l’avenir en termes cryptiques : avant le soir, Berlioz sera décapité, et Biezdomny, frappé de folie et interné. Les prédictions se réalisent à la lettre – car le professeur, qui se fait appeler Woland, n’est autre que le diable.

Cette farce sinistre est la première d’une longue série. Satan est en effet de passage à Moscou pour voir où en sont les Moscovites. Pour s’en faire une idée, il a choisi d’examiner un échantillon de population important et varié – et rien de tel, pour réunir cet échantillon, qu’une salle de théâtre !

Afin de réaliser son plan tout en s’amusant un peu, Woland, assisté de ses fidèles démons Azazello et Béhémoth, s’en prend à d’autres victimes. Parmi elles, Stiopa Likhodieïev, directeur du Théâtre des Variétés (Satan l’expédie à Yalta après lui avoir fait signer un contrat de représentation en qualité de magicien) ; Nicanor Bossoï, président du comité des locataires (dont il obtient l’autorisation de se loger chez Likhodieïev avant de le faire arrêter pour trafic de devises) ; et d’autres encore, dont le présentateur Georges Bengalski (au cours d’une mémorable séance de magie noire que Woland et son escorte, sur la scène des Variétés, offrent au public moscovite).

Après avoir croisé la route du démon, la plupart de ces malheureux finissent par échouer, fous de terreur, dans la clinique psychiatrique du Docteur Stravinski, où ils occupent des chambres voisines de celle de Biezdomny.

Biezdomny, le premier à être hospitalisé dans cet asile des environs de Moscou, y a fait la connaissance d’un écrivain qui refuse de dire son nom et se fait appeler le Maître. Le Maître lui raconte son histoire : sa rencontre avec Marguerite, leur bonheur dans son petit sous-sol, les encouragements de sa bien-aimée qui le pousse à publier un fragment de son roman sur le Christ, les critiques qui le dénoncent au pouvoir comme apologiste de Jésus.

Peu à peu, devant un tel accueil, le Maître passe du rire à l’étonnement, puis à une peur obsédante. Un soir, n’y tenant plus, il brûle son manuscrit. Marguerite en sauve quelques fragments. Ce geste de désespoir la décide : elle va quitter son mari pour lui. Mais le Maître, convaincu d’avoir perdu la raison, ne veut pas qu’elle lui sacrifie sa vie. Resté seul, il choisit de disparaître en se faisant interner comme patient anonyme.

Le roman du Maître – à moins qu’il ne s’agisse d’une histoire réelle ? –, cité littéralement dans Le Maître et Marguerite, raconte comment Ponce Pilate, procurateur de Judée, eut un jour à confirmer la sentence de mort prononcée par le Sanhédrin contre un certain Yeshoua Ha-Nozri, philosophe ambulant et agitateur.

Pilate, après avoir interrogé le condamné, éprouve pour lui une mystérieuse amitié, et tente de le soustraire au supplice. Mais le grand prêtre de Jérusalem, Caïphe, s’y refuse et choisit de faire plutôt gracier Bar-Rabbas. Pilate, comme pour venger Ha-Nozri, fait exécuter son dénonciateur (un certain Judas de Kerioth) puis propose en vain un poste de bibliothécaire à Matthieu Lévi, disciple de Yeshoua qui le suivait partout pour noter (et déformer) ses moindres paroles.

À Moscou, après le chaos provoqué par Woland et ses complices, la situation semble redevenir normale. Marguerite, alors qu’elle suit des yeux le convoi funèbre de Berlioz, fait la rencontre d’Azazello. Le démon lui transmet l’invitation de "messire" le diable : être la reine de son bal. Elle y consent. Azazello lui remet un onguent magique qui l’embellira et lui permettra de se rendre à la soirée (Marguerite ne sera pas seule à essayer cet onguent : sa domestique, Nathalie, en profitera également).

Au bal des damnés, Marguerite fait notamment la connaissance de Frieda, une infanticide condamnée à voir sans cesse réapparaître le mouchoir qui lui servit à étouffer son nouveau-né. Lorsque Satan, pour remercier Marguerite d’avoir accepté son invitation, lui accorde un voeu, Marguerite souhaite que Frieda soit délivrée de son tourment. Satan l’exauce, mais invite la reine de son bal à désirer quelque chose pour elle-même. Alors seulement Marguerite demande à être réunie à son Maître. C’est ainsi que les amants retrouvent leur sous-sol, et même le manuscrit du roman. Mais "rien n’est jamais comme avant" : le Maître, brisé, hait son oeuvre et ne veut plus écrire.

À nouveau, Azazello vient leur rendre visite pour leur proposer "une balade". Avant de partir, il les fait boire – et peut-être meurent-ils, mais c’est par cette voie, au cours d’un dernier voyage fantastique, que leur histoire ainsi que le roman parviennent à s’achever : le Maître trouve la paix auprès de Marguerite dans leur "maison éternelle", tandis que le dialogue reprend enfin, après tant de siècles, entre Ha-Nozri et "le cruel cinquième procurateur de Judée, le chevalier Ponce Pilate".

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  • La dimension mystique de l'écriture de Boulgakov

"L'écriture s'oppose au mal que représentent, pour l'écrivain, les frustrations des libertés vitales et les tracas insupportables de la vie soviétique.

Dépassant le constat initial de la "catastrophe", il aboutit à une première vision, cyclique, de l'histoire humaine, apparentée à celle de Tolstoï dans La Guerre et la Paix. À la fois intuitivement et en émule conscient de Gogol et de Dostoïevski, c'est au Diable qu'il impute les invasions massives et comme planifiées du Mal dans l'histoire.

Présence inquiétante dans le sous-texte de toutes ses œuvres, le Diable est montré en pied dans Le Maître et Marguerite. Cela dit, son emprise s'étend au moyen de relais humains qui peuvent être des hommes supérieurs, des inventeurs, ou des réformateurs, les "Faust" des temps modernes ainsi que les plus grands pêcheurs : fanatiques comme Caïphe, êtres vénaux comme Judas, lâches comme Pilate.

Nouveau Faust, l'écrivain peut être réduit par la peur à désavouer son œuvre et à se détruire. Cette tension entre l'hybris faustienne et l'extrême faiblesse humaine l'apparente au Crucifié.

La seconde partie du "roman du couchant", écrite dans l'imminence de la mort, témoigne d'une élévation vraiment spirituelle : le "maître" franchit le cap de la mort, communique avec la Lumière grâce à des médiateurs et, surtout, se voit pardonné, ce qui l'autorise à accorder le pardon même à Pilate."

Françoise Flamant
Extraits de l'article sur Mikhaïl Boulgakov paru dans l'
Encyclopédie Universalis

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"Une sarabande endiablée. Quinze acteurs qui, trois heures durant, cavalcadent, voltigent. Quinze funambules équilibristes. Une mise en scène charivari, tourbillonnante, explosive." Le Monde

"Un brio peu commun. Du roman de Mikhaïl Boulgakov, voici une version nerveuse et diabolique. Sur scène tout se passe dans l'ordre d'un cauchemar à tiroirs, par le truchement d'acteurs jeunes d'une mobilité et d'une souplesse imparables. Il est clair qu'avec ce brillant jeune homme on tient quelqu'un d'une grande valeur." L'Humanité

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Plan d’accès

Théâtre de la Commune
2, rue Edouard Poisson 93304 Aubervilliers
Spectacle terminé depuis le dimanche 19 mars 2006

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