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Adaptation cinématographique de l’opéra de Richard Strauss, ce méli-mélo amoureux, par le maître de l’expressionisme allemand, Robert Wiene, reflète à merveille l’esprit et la dramaturgie de l’opéra néoclassique du génie allemand.
Il est rarissime qu’un compositeur d’opéra ait pu lui-même travailler à sa propre adaptation cinématographique…
C’est pourtant ce qui est arrivé à Richard Strauss au début du XXe siècle. En 1910, il écrit d’abord son opéra Le Chevalier à la rose, sorte d’hommage lointain et nostalgique au XVIIIe siècle ; puis il collabore, avec le cinéaste Robert Wiene, à une version filmée qu’il accompagnera en dirigeant un grand orchestre symphonique, le 10 janvier 1926 à l’Opéra de Dresde. Le résultat est un petit miracle : le lyrisme de la musique trouve un écho fabuleux dans les images de Wiene qui, par leur capacité à travailler le réel, sont un prolongement des expériences tentées dans Le Cabinet du docteur Caligari, le film allemand qui est resté le plus bel exemple du cinéma expressionniste.
Direction Frank Strobel
Le Chevalier à la rose, film de Robert Wiene (1926)
Musique Richard Strauss (adaptation du compositeur)
Tandis que son époux s'illustre à la guerre, la maréchale de Werdenberg se console dans les bras du jeune Octavian et tente d'arranger les affaires de coeur de son cousin, le baron Ochs, en lui présentant une jeune fille. Celui-ci décide de la demander en mariage, et Octavian est chargé du rôle de « chevalier à la rose » qui, comme le veut l'étiquette de la cour, doit porter une rose d'argent à l'heureuse élue. Mais les deux jeunes gens s'éprennent l'un de l'autre...
En analogie avec les trois actes de l’opéra, les scénaristes divisent le film en trois grandes unités. Mais entre celles-ci, ils intercalent deux scènes de guerre qui matérialisent l’univers du Maréchal, personnage absent de l’opéra, qui se profile surtout à la fin du film et dont l’action est déterminante pour l’intrigue amoureuse. Le baron Ochs auf Lerchenau prend de l’importance, lui aussi : les scénaristes veulent en faire le personnage clé d’une oeuvre qui doit plaire au public. Interprété par Michael Bohnen, baryton-basse de renommée internationale, le baron Ochs est présent dans tout le film dont il est l’inaltérable figure comique - balourd, sot et avare, mais aristocrate malgré tout. Le chevalier à la rose est joué par un homme, le comédien français Jaque Catelain ; malgré son style efféminé, il n’a plus rien du charmant chérubin mozartien qui avait inspiré à Strauss son fameux rôle travesti. L’objectif des scénaristes était différent : parodier les moeurs de la cour, écrire une comédie burlesque avec des personnages absents de l’opéra. Ils ont choisi un final débridé, aboutissement d’une habile manoeuvre - et non la mélancolique fin de l’oeuvre opératique.
Robert Wiene, réalisateur d’un des films les plus célèbres de l’histoire du cinéma, Le Cabinet du
docteur Caligari a tourné avec les grands acteurs de son époque comme Conrad Veidt ou Fritz
Kortner. Il a trouvé en Michael Bohnen un formidable interprète, considéré pendant de longues
années comme l’incarnation idéale du rôle à l’opéra. Un grand nombre de figurants viennent de
l’Opéra de Munich. Le tournage a lieu en extérieur à Vienne et dans les studios de Schönbrunn,
accompagné au piano par Joseph Holzer, chef d’orchestre au Carl-Theater. Il est probable qu’à ce
moment, la musique du film existe déjà, ou au moins certains passages, et que le répétiteur la joue :
on est surpris, à plusieurs reprises, par l’étroite corrélation entre les prises de vue, la gestuelle de
quelques-uns des acteurs, notamment de Michael Bohnen dans le rôle du baron Ochs, et la musique.
Comme si les scènes avaient été chorégraphiées. Ce qui donne au film une fluidité incomparable, une
écriture à la Lubitsch.
Deux copies seulement ont survécu à l’époque du muet : une pellicule nitrate retrouvée à Londres, avec des intertitres en anglais, et une autre retrouvée à Prague, en langue tchèque.Les deux copies destinées à l’exportation ont été utilisées pour la restauration. Parallèlement, Bernd Thewes s’est occupé de l’adaptation musicale. Le choix des tempi a été guidé par un enregistrement historique sous la baguette de Richard Strauss, qui a également fourni une base temps pour la synchronisation de l’image et de la musique.
La musique du film est reprise de l’opéra et adaptée par Richard Strauss lui-même. Il remanie son oeuvre, avec ses collaborateurs, Otto Singer et Carl Alwin, en une version instrumentale. Les voix supprimées sont en partie réécrites pour certains pupitres. L’opéra est raccourci, sa chronologie est parfois modifiée, des scènes supplémentaires sont tournées pour le film. Trois compositions plus anciennes de Strauss ainsi qu’une marche composée plus tard sont alors ajoutées. C'est sous sa baguette que l'orchestre a accompagné les deux premières projections, à Dresde et à Londres, en 1926.
« Je vais quelquefois au cinéma. Je veux parler de mes incursions officieuses dans les salles du boulevard. Je m'assieds, de préférence, entre un vieux monsieur et une jeune midinette. Ainsi puis-je connaître des impressions diverses. Le vieux monsieur n'est jamais d'accord avec la jeune midinette. Il sourit quand elle pleure. Il grogne quand elle voudrait applaudir. Ils n'aiment, d'ailleurs, pas les mêmes parties du programme. Je ne les vois vraiment unis que sous le signe de la musique. Alors, ils s'attendrissent ou s'exaltent au même endroit. Leur âme se fond à la vibration d'une note, au prolongement d'un accord. Il est, en effet, remarquable que, selon la valeur de son adaptation orchestrale, un film ébranle plus ou moins les nerfs et situe en de diverses atmosphères l'attention du spectateur. Le rythme conjugué de l'image et du son arrive à produire, s'il est d'un rigoureux synchronisme, des effets que ne pourraient atteindre, de leur propre mouvement, le cinéma et la musique. C'est dire qu'un film commande aujourd'hui sa partition, au même titre qu'un drame de la densité de l'Arlésienne exigeait la collaboration d'un Bizet. » Huguette Duflos (Maria Theresia von Werdenberg), Heures d'actrice, 1929
La musique de Strauss, alliée aux images, atteste d’une force narrative surprenante. C’est certainement la première fois, dans l’histoire de la musique, qu’un opéra est recomposé en version instrumentale destinée à être exécutée pendant la projection du film. Ici c’est la musique et non le livret qui prime.
1, place du Châtelet 75001 Paris