La Cerisaie

Bobigny (93)
du 25 novembre au 19 décembre 2004

La Cerisaie

C’est une Cerisaie antillaise que veut nous livrer Jean-René Lemoine, metteur en scène originaire d’Haïti et ses quatorze comédiens. Un parallèle entre une société russe en plein bouleversement à l’aube du XXe siècle et la bourgeoisie créole engoncée dans ses privilèges et reproduisant le modèle esclavagiste.

Une Ceraisaie caribéenne
Tchekhov est avec nous

Extrait

Tout est né du désir de raconter comment sont inscrits dans l’inconscient collectif caribéen la discrimination raciale, le caractère social de la couleur de la peau. Cette Cerisaie se centre sur la figure de Lopakhine, homme du peuple, noir, dont le grand-père, comme le dit Tchekhov, était esclave. Tout en gardant un attachement aussi entier que paradoxal envers ses anciens maîtres mulâtres, Gaev et Lioubov, il essaie en vain de les sauver. Il rachètera le domaine avec l’argent qu’il a gagné à force d’acharnement et de travail et “brisera” ainsi des décennies de tradition et d’atavisme.

Dans ces rapports, violence et tendresse sont intimement mêlées car, quelle que soit la nuance de la couleur de leur peau, les protagonistes appartiennent au même peuple, à la même famille “élargie” ; ils sont liés de façon viscérale, si bien qu’on se demande qui, des oppresseurs ou des opprimés, souffre le plus du changement.

Il m’est apparu qu’à travers un texte maintenant classique qui raconte les transformations d’une société (russe) du début du Xxe siècle, on pouvait faire également la chronique d’une bourgeoisie créole consciemment ou inconsciemment esclavagiste, irrémédiablement tournée vers son passé, engoncée dans ses habitudes et ses préjugés et bouleversée par les irréversibles mutations idéologiques et sociales.

Qu’importe si leurs noms sonnent étrangement (ne sont-ils pas aussi arbitraires que les prénoms français donnés aux esclaves arrivant en Amérique Centrale ?) C’est précisément pour prendre une distance, m’éloigner d’un discours dogmatique, que j’ai choisi le texte d’un dramaturge qui écrit ses personnages sans jamais porter de jugement. Que d’horreurs pourtant, que de monstruosités dans les rapports entre maîtres et serviteurs ; mais par la magie de l’écriture, ils gardent tous une dignité, nous fascinent, nous séduisent et nous amusent.

Cette société caribéenne est sans doute peu connue en Occident et peut-être même peu décrite aux Antilles. Voilà pourquoi il me semble important d’en parler maintenant, en m’adressant à des spectateurs de théâtre, quelle que soit leur origine géographique.

Jean-René Lemoine

Texte français André Marcowicz et Françoise Morvan.

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Il est certain que la situation exposée par La Cerisaie est bien proche des mécanismes subtils en œuvre dans toutes les formes d’oppression, et de résistance ; mais au-delà de cette base, il y a tant de justesse, de profondeur, de sensibilité objective chez Tchekhov que cette œuvre peut se transporter (avec beaucoup d’enrichissement et de bonheur) dans un contexte comme celui des Caraïbes, et du système des plantations.

Tchekhov disait souvent que ce n’était pas la peine d’expliquer quoi que ce soit au spectateur, qu’il fallait l’effrayer, et que lui-même se mettrait à réfléchir, et c’est justement cette esthétique qui rend possible, sans aucune trahison et dans le bénéfice de tous, de transposer l’horlogerie de sa vision dans des réalités humaines, même pas similaires, mais relevant tout simplement d’un aspect de l’humaine condition. Ses vides, ses silences, sa brièveté légendaire, son lyrisme intériorisé, son exploration du tragique de la solitude, correspondent bien à la sensibilité contemporaine, donc à cette indéchiffrable fraternité qui s’ouvre désormais dans la totalité-monde.

Les grandes dramaturgies classiques ont maintenant vocation à vivre l’aventure des peuples, des cultures et des langues ; elles reflètent non seulement la profondeur et l’unité humaine mais aussi (on l’oublie trop souvent) le volcanisme profond de leur diversité. Je vois donc dans cette Cerisaie la précieuse possibilité de montrer à quel point Tchekhov est en nous, avec nous, parmi nous, autant dans l’exaltation de nos différences que dans celle - bien plus précieuse - de nos opacités.

Patrick Chamoiseau

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Dites-moi que je suis ivre, que je suis fou, que c’est mon imagination, tout ça... Ne vous moquez pas de moi. Si mon père et mon grand-père sortaient de leur tombe, s’ils voyaient cette aventure, leur Iermolaï, celui qu’ils cognaient, qui savait à peine lire, le Iermolaï qui allait pieds nus, oui, Iermolaï a acheté un domaine qui est le plus beau domaine du monde. J’ai acheté le domaine où mon père et mon grand-père étaient esclaves, où ils n’avaient même pas le droit d’entrer à la cuisine (...)

Acte III, Lopakhine

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Spectacle terminé depuis le dimanche 19 décembre 2004

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