L'affaire de la rue Lourcine

L’Affaire de la rue de Lourcine est une pièce en un acte, mais si compliquée, si virevoltante, si haletante, qu’elle se laisse à peine résumer. Un lendemain de cuite, le bourgeois Lenglumé se réveille avec un homme dans son lit. Qu’ont-ils fait la nuit d’avant ? et où sont parapluie vert et mouchoir brodé ? et qui est ce cadavre dont parle le journal ? Oh mon Dieu, Lenglumé est-il un meurtrier sans le savoir ?

Après avoir porté à la perfection dans Un chapeau de paille d’Italie toute la saveur de son rythme, course poursuite et répliques à fond de train, Eugène Labiche pousse encore un peu plus loin sa fantaisie, voire sa folie. L’Affaire de la rue de Lourcine (1857) abandonne la vraisemblance des situations pour friser, longtemps avant l’heure, le théâtre de l’absurde au point d’avoir fait frémir la censure de l’époque qui exigea des coupes. Car, autant qu’un délire explosif, L’Affaire de la ruede Lourcine est aussi un portrait à charge de la bourgeoisie alors en pleine ascension. Lenglumé qui se pense assassin finira par accepter de le devenir pour protéger argent et respectabilité.

Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma n’ont pas a priori de liens évidents avec le théâtre de Labiche, mais ils ont trouvé dans cette pièce « au-delà du burlesque de la fable et du ton, la complexité humaine et le trouble qui pourraient être les dénominateurs communs de tous nos spectacles ». C’est précisément cette distance qui fait tout l’intérêt et la nouveauté de leur mise en scène d’un texte déjà monté, entre autres, par Patrice Chéreau ou Klaus-Michael Grüber. Avec de jeunes comédiens de l’école du TNS et du Conservatoire de Paris, Jeanneteau et Soma mettent en évidence les liens profonds qui unissent l’univers de Labiche avec celui d’autres auteurs hantés par les dysfonctionnements oniriques ou réels du monde : Tex Avery, Franz Kafka, ou David Lynch. Ce qui se donne à voir sur scène, sous la baguette imaginative des metteurs en scène, c’est avant tout l’angoisse d’un homme qui découvre les méandres obscurs de son inconscient.