L’Opéra de quat’sous

du 17 décembre 2003 au 11 janvier 2004
2H15

L’Opéra de quat’sous

L'Opéra de Quat'Sous parodie les compromissions, les riches, les arrangements. Et pose la question de l’opéra comme " art " de classe. La question d'un genre apparemment sans avenir mais avec la verve du rire et de la parodie.

Le théâtre doit faire plaisir, Brecht l'a dit mille fois : " Les grandes tâches critiques n'excluent pas le plaisir "  Roland Barthes

Un regard sur Quat'sous
Nouveau final de écrit par Brecht en 1948
De l'opéra des Gueux à l'opéra de quat'sous
La partition
La collaboration de Brecht et Weil sous la République de Weimar

Avec L'Opéra de Quat’ Sous, Brecht et Weill brouillent les cartes de l'opéra traditionnel, ils mélangent sans complexes des références à Bach, au jazz, au choral luthérien. Ils se situent en fait dans ce vaste champ de réflexion sur la place de l'opéra dans la société entamée par tous leurs contemporains de la république de Weimar. L'art explose ses frontières, que ce soit par l'architecture, par le cinéma, la peinture dans un milieu industriel florissant. C'est dans ce contexte que naît leur proposition « désordonnée » de mise en abîme de l'opéra. Mais une mise en abîme à l'image de la société des années 30, où de grandes utopies se mettent en place, la crise sépare encore plus les pauvres des dirigeants, un monde souterrain et interlope tente de survivre !

C'est dans le cabaret-cirque de Jenny des lupanars, dans ce bouge proche de L'Ange Bleu, que se préparent les provocations envers les bourgeois, les repus, les riches : alors, trahisons, mensonges, coups bas et couteaux dans le dos ouvrent le bal.
Il n'y a pourtant pas de sang, pas de chagrins, pas de morts.
Tout est faux, les billets, les baisers, les larmes et les moignons des mendiants.
Normal, nous sommes dans un cirque !
Peachum le fait tourner au son des grincements de dents. Il lancera ainsi vers la surface une meute de clowns, de vieux cabotins, de saltimbanques…

Chaque numéro est bien rodé ; les pirouettes sont impressionnantes, les tours de passe-passe réussis… l'illusion est parfaite.
Le tigre lui-même est si bien dressé qu'il entre seul dans sa cage et se met à pleurer.

Alors, on rit, on applaudit, on en redemande.
Tout le monde sait pourtant que sous les maquillages, les faux crânes, les perruques des clowns, il y a la tristesse, l'amertume, le dérisoire et l'absurde.
Et si on reste jusqu'au bout c’est peut-être pour voir vraiment tomber le funambule et se réjouir ainsi de n'être que spectateur de ce cirque grotesque.

Eric Perez, Olivier Desbordes
metteurs en scène

Haut de page

Cessez de réprimer tous les délits mineurs,
Le crime s'éteindra de lui-même, sans lois,
Songez à la profonde nuit, au froid
Dans cette vallée de larmes et d'horreur

Mais pourchassez les vrais, les grands voleurs,
Exterminez-les tous dès aujourd'hui :
C'est d'eux que vient le froid, c'est d'eux que vient la nuit
C'est par eux que la terre est un monde d'horreur.

Haut de page

Le succès obtenu par la reprise, en 1920, de l'Opéra des gueux (satire sociale de John Gay et Johann Pepusch créée en 1728) décide Brecht à écrire une nouvelle pièce, transposant deux cents ans plus tard la critique sociale qui s'en dégage. S’inspirant du texte de Gay, il introduit des poèmes de François Villon et de Rudyard Kipling.

Kurt Weill compose la musique des épisodes chantés qui s'intercalent entre les dialogues. Après huit mois de travail, la première représentation a lieu le 28 août 1928, au théâtre du Schiffbauerdamm, à Berlin.

Brecht, qui, dès 1919, avait participé au mouvement spartakiste de Bavière, reprend son livret en 1931 pour lui donner un ton marxiste. La même année, le réalisateur de cinéma allemand Georg Wilhelm Pabst adapte l'œuvre à l'écran ; mais Brecht refuse de cosigner le film car le cinéaste reste fidèle à la version originale.

C'est le livret repris en 1931 qui est le plus souvent interprété de nos jours. Lieu de mensonge, le théâtre permet aussi de faire entrevoir la vérité. Derrière les faux mendiants de M. Peachum se cache la foule des vrais déshérités. Le succès prodigieux de l'œuvre (en Allemagne, il fut interprété plus de 350 fois en deux ans. Les représentations se multiplièrent également à l'étranger et l'éditeur de Weill recensa plus de 130 productions différentes jusqu'en 1933) tient autant aux rebondissements comiques de l'intrigue, jouant avec les classiques et arrachant les oripeaux de la respectabilité bourgeoise, qu'à la musique de Kurt Weill dont le ton allègre, dissonant, sert admirablement l'ironie et la poésie acerbes des chansons.

spartakiste : le spartakisme est un mouvement de l'extrême gauche du parti social-démocrate allemand, formé en 1914 contre la politique d'union sacrée de la majorité du parti. Ce mouvement, fidèle aux résolutions des congrès de Stuttgart (1907), Copenhague (1910) et Bâle (1912) de la IIième Internationale, est animé par Karl Liebknecht, Rosa Luxemburg, Clara Zetkin et Frantz Mehring. Malgré l'emprisonnement de ses leaders, il exerce, par l'intermédiaire de son bulletin (Lettres politiques, retitrées Spartakus en 1916) une influence importante sur les ouvriers.

Haut de page

Initialement, l'Opéra de Quat’Sous était conçu pour des artistes de théâtre, de cabaret et d'opérette, accompagnés par un ensemble de sept musiciens. Après la première représentation, Kurt Weill décide de modifier sa partition : il réécrit une pièce pour 23 instruments.

Les sources auxquelles Kurt Weill a puisé sont diverses. Le compositeur s'inspire des chansons populaires ou de cabaret, comme le « chant des canons » ou la « complainte de la fiancée du corsaire ». Il parodie également des grands airs d'opéra et les dissonances, qu'il accumule, rapprochent parfois cette œuvre des grands opéras allemands du début du siècle.

Source : Yahoo encyclopédie

Haut de page

Il faut revenir en 1927 et au contexte expérimental propre au festival de Baden-Baden pour comprendre la nature du lien qui unit pour un projet théâtral ambitieux les deux principaux artisans de l'avant-garde dramatique et musicale : Bertolt Brecht et Kurt Weill. Après avoir longtemps hésité sur plusieurs canevas, ceux-ci font des Chants de Mahagonny, publiés dans le recueil des Sermons domestiques, le laboratoire de leur volonté commune de rénovation de l'opéra. Weill ne tarit pas d'éloges sur le talent poétique de son nouveau collaborateur ; il avait loué peu de temps auparavant les qualités novatrices et les potentialités épiques de sa pièce Homme pour Homme, montée dans le cadre d'une production radiophonique. Domaine dans lequel lui-même avait apporté des innovations probantes, particulièrement en 1926, avec la musique de scène destinée au drame de Grabbe : Herzog Theodor von Gothland.

Si donc, l'embryon d'un développement existait, l'impulsion décisive manquait encore. La rencontre historique intervient au printemps 1927 où Brecht et Weill honorent la commande d'une courte pièce scénique s'appuyant sur les Chants de Mahagonny. Dans ses premières réflexions esthétiques sur l'opéra, Weill manifeste le refus de l'illustration sonore et du drame wagnérien, au profit d'un retour à la musique pure et au modèle mozartien. L'opéra épique traduit une perspective sociale en révélant non pas la représentation extérieure de l'actualité, à travers les accessoires de la vie moderne, mais l'actualisation des sujets de caractère universel. Dans sa configuration nouvelle, l'opéra est appelé à se muer en force « formatrice ou promotrice de l'esprit communautaire ».

Brecht ne pouvait que louer les tentatives du compositeur de dépoussiérer l'institution de l'opéra, de le déromantiser tout en balayant les velléités de modernisation stériles telles que le recours à une actualité primaire. Brecht, qui a évolué d'un propos anarchisant vers une conception du monde marxiste, envisage la musique comme un moyen d'expression quotidien, requérant néanmoins le concours d'un compositeur digne de ce nom, dont l'engagement dans la modernité esthétique et sociale lui permettrait d'appliquer ses théories sur la transformation du théâtre.
De son côté, Weill est conscient que l'avènement d'une forme nouvelle ne pourra résulter que de la collaboration d'un musicien avec un créateur littéraire, de niveau au moins égal.

Au printemps 1928, un jeune acteur berlinois reconverti directeur de théâtre, Ernst Josef Aufricht, se met en quête d'une pièce pour l'ouverture de sa saison au Theater am Schiffbauerdamm, sur les bords de la Spree. Au terme de contacts infructueux, il est instruit par Brecht de l'adaptation allemande de L'Opéra du Gueux (The Beggar's Opera) de John Gay et John Christopher Pepusch (1728), réalisé à l'occasion de son bicentenaire. Le contrat est signé et Kurt Weill, engagé, après quelques réticences. Bouclant une genèse chaotique qui voit Brecht et son collaborateur s'exiler au Lavandou pour travailler dans une sérénité toute relative, les répétitions se déroulent dans un climat houleux. La pièce débute de manière plus qu'hésitante, avec l'orgue de barbarie qui tombe en panne, et sans que les passages comiques ne provoquent le rire à aucun moment. Mais une fois le « Chant des canons » entonné, « chaque phrase, chaque note furent un succès ».

Aufricht et les représentants de la presse pouvaient évoquer le succès théâtral (4000 représentations données dans 50 théâtres en l'espace d'un an), le triomphe se portait avant tout sur la musique. En 1930, le compositeur américain George Antheil témoigne encore que dans l'Europe entière, les vendeuses fredonnent les airs de Kurt Weill.

Avec L'Opéra de Quat'Sous, Weill applique le principe de la fusion des styles en conférant au genre léger une actualité criante. Son propos était d'« ouvrir une brèche dans une industrie de consommation jusque-là réservée à un tout autre type de musiciens et d'écrivains ». Il s'agissait de « toucher un cercle d'auditeurs dépassant de loin le cadre des concerts et de l'opéra » en faisant sortir l'opéra de son « splendide isolement » par le biais d'une création collective. L'Opéra de Quat'Sous s'inscrit dans un mouvement qui intéresse aujourd'hui presque tout les jeunes musiciens. Le renoncement à la position de l'art pour l'art, l'abandon du principe artistique individualiste, l'idée du film musical, le rattachement au mouvement musical pour la jeunesse, la simplification des moyens d'expression musicaux à toutes ces tendances nous font progresser dans la même direction.
Coup d'essai, coup de maître : cette conception moderne du spectacle musical est entérinée par le critique théâtral Herbert Jhering, lequel associe dans la même esthétique Weill, Chaplin, Buster Keaton, Brecht, Klemperer et Hindemith.

« C'est moins une époque de talent individuel qu'une époque de force et de mouvement commun. (…) L'époque de l'isolement est révolue. »
La composition de l'opéra en trois actes Grandeur et Décadence de la ville de Mahagonny prend place entre avril 1927 et le printemps 1929, période interrompue par la conception et la création de plusieurs œuvres importantes dont L'Opéra de Quat'Sous, Happy End, le Requiem berlinois et Le Vol de Lindbergh. Portée durant des mois par un échange intellectuel fructueux entre les deux collaborateurs, elle développe, dans sa phase ultime, de profondes divergences de vue sur la question clé du rôle de la musique dans l'opéra. Si, dans l'esprit du compositeur, l'opéra et ses moyens ont encore toute leur raison d'être dans le cadre d'une forme nouvelle, Brecht, qui considère le genre lyrique comme daté et « culinaire », pensait que l'opéra devait « être actualisé quant au contenu et technicisé dans sa forme ».

Tentant de résoudre la question de la primauté respective des éléments dans l'opéra, Brecht opte pour leur séparation, dans une optique située aux antipodes de l'œuvre d'art totale wagnérienne ; ce principe est appliqué pour la première fois avec conséquence - Mahagonny-Songspiel l'expérimentait dans la petite forme - dans L'Opéra de Quat'Sous où l'irruption de songs, interrompant l'action et les dialogues, provoque l'apparition d'un écriteau-titre et d'un éclairage spécifique sur le devant de la scène, là où est placé le chanteur-acteur. Dans Mahagonny, Brecht met en avant le pouvoir pernicieux de la réification : l'amour est réduit à une marchandise, tout se paie et rien n'est plus grave que de manquer d'argent. C'est le règne du chacun pour soi. L'homme est un loup pour l'homme : ce qu'avait dénoncé sur un ton léger L'Opéra de Quat'Sous est ici étalé sous une lumière crue, avec le cynisme le plus désenchanté. Mahagonny, cette ville dont l'existence fantomatique s'appuie d'abord sur la qualité des assonances, renvoie au Berlin mortuaire que n'ont pu transfigurer les leurres de la stabilisation. Expression de l'anarchie sociale de l'ère capitaliste, le cortège final de l'opéra se mue en cauchemar visuel et sonore où reviennent, selon la technique du montage, les principaux thèmes musicaux de l'ouvrage, contre-pointant le slogan « On ne peut jamais rien pour personne ». La tension accumulée est inexorable. Le spectateur se voit projeter l'image de sa propre déchéance.

De leur côté, les représentants de la critique libérale saluaient ce premier opéra d'actualité au sens profond du terme. Alfred Einstein soulignait que si tout était grossier, la langue comme les situations, c'était parce que la société qui évolue devant nous est aussi peu respectable que celle présentée dans L'Opéra de Quat'Sous. Et de continuer : « Dans Mahagonny, l'amour n'existe pas. Il n'y a que l'argent, une pulsion qui habite tous les personnages : c'est la détresse, le vide existentiel porté à son comble.

Mais l'amour n'est-il pas, justement pour cette raison, ce qu'il nous faut ? Les Leipzigois qui sifflaient et quittaient la salle avaient certes saisi l'agressivité de Bertolt Brecht et de Kurt Weill, mais ils n'avaient absolument pas compris à quel point ces derniers étaient sérieux. En ce sens, ils avaient tort. » En effet, jamais par le passé on ne s'était affronté avec une telle pugnacité ; cette œuvre puissamment réaliste attaquait de front les fondements de l'ordre économique et moral allemand. Par la force novatrice de sa facture et les déchirements idéologiques de sa réception, Mahagonny illustrait les derniers soubresauts de la République de Weimar.

Textes extraits de La musique sous la République de Weimar de Pascal Huynh
éditions Fayard

Haut de page

Vous avez vu ce spectacle ? Quel est votre avis ?

Note

Excellent

Très bon

Bon

Pas mal

Peut mieux faire

Ce champ est obligatoire
Ce champ est obligatoire

Vous pouvez consulter notre politique de modération

Informations pratiques

Théâtre Silvia Monfort

106, rue Brancion 75015 Paris

Accès handicapé (sous conditions) Bar Restaurant
  • Métro : Porte de Vanves à 417 m
  • Tram : Brancion à 251 m
  • Bus : Morillons - Brancion à 104 m, Brancion - Morillons à 166 m, Fizeau à 186 m, Porte Brancion à 236 m, Vercingétorix - Paturle à 360 m
Calcul d'itinéraires avec Apple Plan et Google Maps

Plan d’accès

Théâtre Silvia Monfort
106, rue Brancion 75015 Paris
Spectacle terminé depuis le dimanche 11 janvier 2004

Pourraient aussi vous intéresser

- 31%
Colette, l'indomptable

Théâtre Montmartre Galabru

L'Oiseau paradis

Paradis Latin

- 42%
La Crème de Normandie

Gymnase Marie Bell

- 30%
Les Funambules - Elles

Gaîté Montparnasse

Spectacle terminé depuis le dimanche 11 janvier 2004