Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas

Paris 20e
du 23 septembre au 29 octobre 2005
2h avec entracte

Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas

Un homme, juif, revenu d’Auschwitz, relate en les entrelaçant des conversations avec son ex-femme et un philosophe, où sont abordées entre autres les questions de la judéité, du bien et du mal, de l’arbitraire, de l’altérité, et de l’écriture elle-même.

Une expérience confisquée
Extrait
Extrait du discours d’Imre Kertész prononcé lors de la remise du prix Nobel
La presse

Un homme, juif, revenu d’Auschwitz, relate en les entrelaçant des conversations avec son ex-femme et un philosophe, où sont abordées entre autres les questions de la judéité, du bien et du mal, de l’arbitraire, de l’altérité, et de l’écriture elle-même.

Cette Kaddish - la prière des morts de la religion juive - que le narrateur adresse à l’enfant qu’il n’aura jamais, aborde avec humour les sujets les plus graves sans aucune affectation ni complaisance.

Pour servir ce texte dense fondé sur l’oralité, Joël Jouanneau a choisi un comédien complice à la présence magnétique, Jean-Quentin Châtelain.

Traduction de Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba.

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« Non ! » - cria, hurla en moi quelque chose, immédiatement, tout de suite, et mon cri a mis de longues années à s’apaiser, devenant une sorte de douleur sourde mais tenace, jusqu’à ce que, lentement et malicieusement, comme une maladie latente, la question se dessine en moi - de savoir si tu aurais été une fillette aux yeux bruns, le nez couvert de pâles taches de rousseur, ou bien un garçon têtu avec des yeux joyeux et durs comme des cailloux gris-bleu - oui, si l’on considère ma vie comme la possibilité de ton existence. Et ce jour-là, je considérai toute la nuit cette question.

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Avant toute chose, je dois vous faire un aveu, un aveu peut-être étrange mais sincère. Depuis que je suis monté dans l’avion pour venir ici, à Stockholm, recevoir le prix Nobel qui m’a été décerné cette année, je sens dans mon dos le regard scrutateur d’un observateur impassible ; et en cet instant solennel qui me place au centre de l’attention générale, je m’identifie plutôt à ce témoin imperturbable qu’à l’écrivain soudain révélé au monde entier. Et j’espère seulement que le discours que je vais prononcer pour cette occasion m’aidera à mettre fin à cette dualité, à réunir ces deux personnes qui vivent en moi. Pour l’instant, moi-même, je ne comprends pas assez clairement l’aporie que je sens entre cette haute distinction et mon œuvre, ou plutôt ma vie. J’ai peut-être vécu trop longtemps dans des dictatures, dans un environnement intellectuel hostile et désespérément étranger, pour pouvoir prendre conscience de mon éventuelle valeur littéraire : la question ne valait tout simplement pas la peine d’être posée. De surcroît, on me faisait comprendre de toutes parts que le « sujet » qui occupait mes pensées, qui m’habitait, était dépassé et inintéressant. Voilà pourquoi j’ai toujours considéré l’écriture comme une affaire strictement privée, ce qui rejoignait d’ailleurs mes plus intimes convictions. (…)

Un écrivain n’a pas de grands besoins, un crayon et du papier suffisent à l’exercice de son art. Le dégoût et la dépression avec lesquels je me réveillais chaque matin m’introduisaient vite dans le monde que je voulais décrire. Je me suis rendu compte que je décrivais un homme broyé par la logique d’un totalitarisme en vivant moi-même dans un autre totalitarisme, et cela a sans doute fait de la langue de mon roman un moyen de communication suggestif. Si j’évalue en toute sincérité ma situation à cette époque-là, je ne sais pas si en Occident, dans une société libre, j’aurais été capable d’écrire le même roman que celui qui est connu aujourd’hui sous le titre d’Etre sans destin et qui a obtenu la plus haute distinction de l’Académie Suédoise. Non, car j’aurais certainement eu d’autres préoccupations. Je n’aurais certes pas renoncé à chercher la vérité, mais c’eut été une autre vérité. Dans le marché libre des livres et des esprits, je me serais peut-être efforcé de trouver une forme romanesque plus brillante : j’aurais pu, par exemple, fragmenter la narration pour ne raconter que les moments frappants. Sauf que dans les camps de concentration, mon héros ne vit pas son propre temps, puisqu’il est dépossédé de son temps, de sa langue, de sa personnalité. Il n’a pas de mémoire, il est dans l’instant. Si bien que le pauvre doit dépérir dans le piège morne de la linéarité et ne peut se libérer des détails pénibles. Au lieu d’une succession spectaculaire de grands moments tragiques, il doit vivre le tout, ce qui est pesant et offre peu de variété, comme la vie. (…)

J’ai vite compris que les questions de savoir pour qui et pour quoi j’écrivais ne m’intéressaient pas. Une seule question me travaillait : qu’avais-je encore en commun avec la littérature ? Car il était clair qu’une ligne infranchissable me séparait de la littérature et de ses idéaux, de son esprit, et cette ligne - comme tant d’autres choses - s’appelle Auschwitz. Quand on écrit sur Auschwitz, il faut savoir que, du moins dans un certain sens, Auschwitz a mis la littérature en suspens. A propos d’Auschwitz, on ne peut écrire qu’un roman noir ou, sauf votre respect, un roman-feuilleton dont l’action commence à Auschwitz et dure jusqu’à nos jours. Je veux dire par là qu’il ne s’est rien passé depuis Auschwitz qui ait annulé Auschwitz, qui ait réfuté Auschwitz. Dans mes écrits, l’Holocauste n’a jamais pu apparaître au passé. On dit à mon propos - pour m’en féliciter ou pour me le reprocher - que je suis l’écrivain d’un seul thème, l’Holocauste. Je ne trouve rien à y redire, pourquoi n’accepterais-je pas, avec quelques réserves, la place qui m’a été attribuée sur l’étagère idoine des bibliothèques ? En effet, quel écrivain aujourd’hui n’est pas un écrivain de l’Holocauste ? Je veux dire qu’il n’est pas nécessaire de choisir expressément l’Holocauste comme sujet pour remarquer la dissonance qui règne depuis des décennies dans l’art contemporain en Europe. De plus : il n’y a, à ma connaissance, pas d’art valable ou authentique où on ne sente pas la cassure qu’on éprouve en regardant le monde après une nuit de cauchemars, brisé et perplexe. Je n’ai jamais eu la tentation de considérer les questions relatives à l’Holocauste comme un conflit inextricable entre les Allemands et les Juifs ; je n’ai jamais cru que c’était l’un des chapitres du martyre juif qui succède logiquement aux épreuves précédentes ; je n’y ai jamais vu un déraillement soudain de l’histoire, un pogrome d’une ampleur plus importante que les autres ou encore les conditions de la fondation d’un Etat juif. Dans l’Holocauste, j’ai découvert la condition humaine, le terminus d’une grande aventure où les Européens sont arrivés au bout de deux mille ans de culture et de morale.

A présent il faut réfléchir au moyen d’aller plus loin. Le problème d’Auschwitz n’est pas de savoir s’il faut tirer un trait dessus ou non, si nous devons en garder la mémoire ou plutôt le jeter dans le tiroir approprié de l’histoire, s’il faut ériger des monuments aux millions de victimes et quel doit être ce monument. Le véritable problème d’Auschwitz est qu’il a eu lieu, et avec la meilleure ou la plus méchante volonté du monde, nous ne pouvons rien y changer. (…)

Pendant que je préparais ce discours, il m’est arrivé une chose très étrange qui, en un certain sens, m’a rendu ma sérénité. Un jour, j’ai reçu par la poste une grande enveloppe en papier kraft. Elle m’avait été envoyée par le directeur du mémorial de Buchenwald, M. Volkhard Knigge. Il avait joint à ses cordiales félicitations une autre enveloppe, plus petite, dont il précisait le contenu, pour le cas où je n’aurais pas la force de l’affronter. A l’intérieur, il y avait une copie du registre journalier des détenus du 18 février 1945. Dans la colonne « Abgänge », c’est-à-dire « pertes », j’ai appris la mort du détenu numéro soixante-quatre mille neuf cent vingt et un, Imre Kertész, né en 1927, juif, ouvrier. Les deux données fausses, à savoir ma date de naissance et ma profession, s’expliquent par le fait que lors de leur enregistrement par l’administration du camp de concentration de Buchenwald, je m’étais vieilli de deux ans pour ne pas être mis parmi les enfants et avais prétendu être ouvrier plutôt que lycéen pour paraître plus utile.

Je suis donc mort une fois pour pouvoir continuer à vivre - et c’est peut-être là ma véritable histoire. Puisque c’est ainsi, je dédie mon œuvre née de la mort de cet enfant aux millions de morts et à tous ceux qui se souviennent encore de ces morts. Mais comme en définitive il s’agit de littérature, d’une littérature qui est aussi, selon l’argumentation de votre Académie, un acte de témoignage, peut-être sera-t-elle utile à l’avenir, et si j’écoutais mon cœur, je dirais même plus : elle servira l’avenir. Car j’ai l’impression qu’en pensant à l’effet traumatisant d’Auschwitz, je touche les questions fondamentales de la vitalité et de la créativité humaines ; et en pensant ainsi à Auschwitz, d’une manière peut-être paradoxale, je pense plutôt à l’avenir qu’au passé.

Imre Kertész, le 10 décembre 2002 à Stockholm
Traduction : Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba

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"Jean-Quentin Châtelain. C’est une voix qui hante, un timbre qui saisit… Un être crissant comme la neige et moelleux comme du coton… Acteur roi dans un exercice de haute virtuosité." Le Figaro

"Un des plus grand textes que nous ait donnés la littérature contemporaine. Pour un texte hors normes, il fallait un comédien hors normes. Et c’est la grande réussite de la mise en scène de Joël Jouanneau d’avoir compris quelle rencontre, ici, pourrait avoir lieu." Le Monde

"C’est à un paradoxal-et d’autant plus foudroyant-périple intérieur que nous convient ainsi auteur, metteur en scène et acteur. Expérience intime ce brûlant Kaddish… devient juste lancinante invite à naître à soi même." Télérama

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Sélection d’avis du public

Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas Le 23 novembre 2004 à 21h41

est ce pièce suffisamment drôle pour y entrainer des amis peu "théatreux"?

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Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas Le 23 novembre 2004 à 21h41

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159 avenue Gambetta 75020 Paris

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159 avenue Gambetta 75020 Paris
Spectacle terminé depuis le samedi 29 octobre 2005

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