1187, le Moyen Âge. Franche Comté : le domaine des Murmures. Le châtelain impose à sa fille unique, « Lothaire-le-brutal ». Esclarmonde, 15 ans, refuse le mariage. Le jour de la noce, elle se tranche l’oreille et choisit d’épouser le Christ. Protégée par l’Église elle est emmurée vivante : une recluse. Pourtant, neuf mois plus tard, la pucelle donne naissance à un fils. L’enfant a les paumes percées, les stigmates du Christ... Mystère ? Menace ? Miracle ? Du fond de sa tombe, Esclarmonde va défier Jérusalem et Rome, les morts et les vivants et même le Ciel, pour sauver son fils.
D’après le roman de Carole Martinez, Goncourt des lycéens 2011, éditions Gallimard.
« En entrant dans sa « tombe » et en littérature, ce réceptacle de spectres, Esclarmonde s’est ouverte à une autre verticalité que celle de Dieu : une dimension à la fois archaïque et universelle, mythique et contemporaine, celle de la mise en fiction de soi et de la chaîne accidentée, hantée, qui la relie aux autres. Du domaine des Murmures, elle nous chuchote un chant étincelant des origines, mais aussi une lettre adressée à ses soeurs du XXIe siècle. » Le Magazine Littéraire
« Valentine Krasnochok tient tous les rôles (...) Elle chante, elle hurle, elle murmure, elle pleure... Toute l'humanité s'incarne dans cette jeune femme blonde d'à peine un mètre soixante. (...) La pièce, portée par son actrice, porte les spectateurs dans un Moyen Âge où mysticisme et dureté du réel se mêlent. L'émotion saisit les spectateurs, sans voix, qui applaudissent la jeune interprète. » Marie Périer, Le Figaro , 23 mai 2015
« La comédienne joue très habilement des contrastes entre sa figure angélique et la force de ses gestes pour camper la mystérieuse Esclarmonde (...) José Pliya et les siens offrent, avec ce spectacle, un très beau moment de théâtre, captivant et palpitant. » Catherine Robert, La Terrasse, 18 mai 2015
Le Moyen Âge m’a toujours fasciné. Ça date de mes études de lettres à la Sorbonne. L’ancien français était une matière de prédilection, la littérature, l’histoire et la sociologie de cette époque pareillement. J’ai beaucoup lu à ce propos. J’ai écrit aussi Parabole, une libre adaptation de l’enfant prodigue, transposée au Moyen Âge...
Par ailleurs, le merveilleux, le magique, la relation aux mor ts et aux vivants traversent toute mon œuvre théâtrale et des auteurs comme Maeterlinck sont des auteurs de chevet. Dans mon parcours d’auteur, l’adaptation d’œuvres romanesques pour le théâtre s’affirme de plus en plus. Ainsi, lors de mon arrivée à l’Ar tchipel, Scène nationale de la Guadeloupe en 2005, j’ai produit et adapté pour la scène le chef-d’œuvre foisonnant et romanesque de l’auteure haïtienne Marie Vieux Chauvet Amour, colère et folie (publié à l'origine chez Gallimard). J’en ai fait une trilogie pour trois voix de femmes, trois monologues.
C'est sous la forme du monologue que j’explore Du domaine des Murmures de Carole Martinez. Toute mon œuvre théâtrale est traversée par la question de la relation des fils aux pères et des pères aux fils. Ce qui me séduit dans Du domaine des Murmures, c'est l'idée d'explorer la relation des filles aux
pères, des mères aux fils.
Mon adaptation théâtrale prendra la forme, d’une part, d'une adresse d'une jeune fille-mère de 17 ans à ses pères : le terrestre et le céleste et, d’autre part, d’une adresse à son fils. Elle aura à cœur de leur dire ses vérités et ses secrets, ses choix et ses désirs, ses doutes, ses douleurs, ses espoirs et tout l’amour qu’elle porte en elle. Un amour hors norme.
Il s’agit en somme de la prise de parole d'une jeune fille qui, pour être maîtresse de son destin, pose un acte d'une rare radicalité. J’ai travaillé le paradoxe qui veut que ce soit en s'emmurant qu'elle trouve sa liberté.
José Pliya
Une comédienne, une voix, dans une scénographie qui convoque ombres et lumières, vivants et morts, épure et musicalité.
1h15 d'une parole poétique et concrète, tendue, projetée, violente comme une pierre d'angle jetée du fond d'un cachot vers le ciel. Il y a dans ce roman une dialectique entre « la bouche » qui parle du fond d’un trou et « l’oreille » qui écoute. Or l’oreille ici, celle d’Esclarmonde, est mutilée... Du coup, la question de l’émission et de la réception devient matière théâtrale, matière à traiter. Le recours à une amplification sonore devient une nécessité à moduler, à déployer pour faire vivre le dedans et le dehors, l’intime et l’universel, l’outre-tombe et l’outre-mer.
La scénographie est minérale, organique : un mur de pierres, un angle de jeu pour « coincer » le personnage entre angoisses de l’enfermement et aspirations à l’élévation ; du gravier au sol, des cailloux et toute la force de l’imaginaire. C'est un récit sur la force de l'imaginaire.
Une autre piste est explorée avec force par la scénographie : celle des peurs enfantines, des fantômes qui habitent les murs, du monde des esprits que nous portons dans nos prisons intérieures.
La création lumière est solaire. Un soleil blanc qui raconte bien comment Esclarmonde vit dans le noir d’une tombe mais est éclairée par une lumière intérieure, irréelle, qu’elle produit elle-même. Plus je lisais le roman et plus j'avais des visions de soleil nietzschéen. Il y a quelque chose d'une assomption païenne, la naissance d'une sainte moderne au travers du fracas destructeur des croisades. Pour prolonger la dualité profane/sacré, le chant de Hildegarde de Bingen est présent comme une invitation au voyage.
José Pliya
ESCLARMONDE :
Fils j’ai pris la décision de t’offrir un avenir...
La nuit por te conseil...
Tes paupières s’ouvrent et tu me regardes...
Hier, j’ai prié tout le jour sans ouvrir mon volet... Je ne parviens pas à me décider sur le parti à prendre,
Tête ! Tête !
Il faut éviter qu’on ne devine à tes cris ce qui se passe ici.
Hier soir je t’ai promené de long en large autour de ma fosse...
Tu menaçais de pleurer...
Saisie par la fatigue, je me suis assoupie ?
Tu m’as asséchée.
J’ai faim, j’ai soif.
Mes pensées s’embrouillent.
Je vais ouvrir le volet.
Avant que tu ne te réveilles, j’ai eu très peur. Tes langes étaient souillées, mais tu ne pleurais pas. Je t’ai cru à l’agonie. Il fallait qu’on t’ondoie sur-le-champ ! J’ai tenté d’appeler.
Je n’ai plus de voix. Le travail de l’accouchement me l’a volée. Je ne sais plus crier.
Tu es bien vivant.
Ton regard souffle ma peur.
J’ai pris ma décision. Regarde : Ivette remplit la puisette et m’apporte un repas. Je vais lui ordonner d’aller le trouver. Je vais lui ordonner d’aller lui dire qu’Esclarmonde le réclame au plus vite.
Comprends bien : je ne veux pas me séparer de toi. J’ai été tant privée de caresses, de tendresses, de chaleur humaine, que je suis prête, oui, je suis prête à te tenir enfermé avec moi en si triste lieu !
Mais combien de mois, combien d’années aurons-nous avant que tu ne sois muré à mes côtés ? Et puis, jamais on autorisera une recluse à garder un nouveau-né dans sa tombe...
Jamais on a vu une emmurée accoucher d’un enfant plus de neuf lunes après sa mort au monde...
Personne ne croira à la merveille, personne ne croira au miracle, fils...
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