Au monde

du 14 septembre au 19 octobre 2013
2h10

Au monde

Nouvelle chance de (re)découvrir un des spectacles cultes de Joël Pommerat
La pièce de Joël Pommerat évoque les grandes sagas familiales ramenées au microcosme d'une famille en proie aux tensions et à l'incompréhension malgré une infinie tendresse. Magnifiquement servie par une scénographie en clair obscur fascinante et élégante, Au Monde se conçoit comme une pièce existentielle et abstraite émouvante.

« Quelque chose même dans l'ombre, caché peut-être aux yeux des autres. Quelque chose de vrai et de profond, simplement. »

  • Capturer des ombres

Voici une nouvelle chance de découvrir l'une des pièces qui ont le plus contribué à faire connaître la personnalité artistique de Pommerat, déployant avec une intensité calme son sens des présences, des non-dits, des mystères : Au Monde. Pour certains de ceux qui l’auront vu il y a dix ans, ce sont des souvenirs de tout un monde, en effet – d’un univers théâtral dont s’imposait soudain la saisissante cohérence. Plus que jamais le théâtre de Pommerat, pourtant à l’œuvre depuis des années, se découvrait et devenait pleinement visible dans ce huis-clos en forme de labyrinthe intime. Il y avait, et l'on reverra donc, pareille à une colonne éblouissante, une haute fente qui figurait souvent la croisée d’un très vaste appartement. L'on reverra aussi la nappe absolument immaculée sur une table où deux vieux hommes – c’est ainsi que cela commençait – étaient assis en silence. La clarté des deux plans – fenêtre verticale, table horizontale – trace dans la pénombre les coordonnées d’une action presque abstraite.

Le cadre extérieur de l’intrigue est aussi dépouillé que son décor. Mais de même qu’on ne peut, sans doute, se trouver simultanément dans plusieurs pièces de cet appartement aux recoins un peu fantastiques, de même on ne saurait fixer de point de vue unique d’où embrasser l’ensemble des positions et des histoires de tous ses habitants. Comme si, où que l’on cherche à se placer, il subsistait toujours un point aveugle. Telle est bien la complexité de cet espace familial et des personnages qui le hantent. Un vieillard très puissant, un père qui n’en finit plus de rejoindre l’absence, voudrait passer la main à Ori, le fils cadet, qui vient de renoncer à sa vie passée et reste là, comme en suspens, au seuil d’autre chose qu’il ne sait pas nommer. Autour d’eux, comme autant d’autres centres possibles du récit, trois sœurs (l’hommage à Tchekhov est explicite) dont l’une est adoptée. Un frère. L’époux de la sœur aînée. Et puis l’étrange étrangère que ce dernier a engagée, à l’idiome aussi incompréhensible que la nature exacte de sa fonction…

Les échanges sont ponctués d’angoisses et d’attentes obscures. Les incertitudes de la mémoire, du désir, de l’identité, troublent la limite entre jour et nuit, tandis que çà et là éclatent des faits à demi énigmatiques. Pareils à des fragments de rêve lucide passés d’un autre monde jusque dans le nôtre, des instants de vertige surgissent dont le sens semble tout près de se dire, sur le bout de la langue – mais de qui ?...

Par la Compagnie Louis Brouillard.

  • Extrait

LA SECONDE FILLE . Vous savez, je vais vous dire moi, comment je vois l'avenir, l'avenir de l'humanité. Le travail va disparaître un jour. Il y a moins de travail aujourd'hui pour les hommes et il y en aura de moins en moins demain... Le travail, les travaux forcés comme je dis, le labeur forcené, l'esclavage par le travail, bientôt les hommes en seront libérés, vous verrez. Bientôt le travail deviendra une idée comme la peste, une maladie d'un autre temps, d'une autre époque, d'un vieux Moyen Âge enfoui sous la poussière. Les hommes ne travailleront plus parce qu'ils n'auront plus besoin de travailler et parce qu'il n'y aura plus de travail. Tous nos satanés objets n'auront plus besoin de mains humaines pour être fabriqués, non. Ils se fabriqueront d'eux-mêmes ou presque. Là où il faut cinq heures aujourd'hui, il ne faudra plus que cinq minutes demain, et après-demain nos objets n'auront finalement plus besoin de personne. Le travail n'existera plus. Les hommes seront dispensés de corvée, et ils pourront enfin profiter d'eux-mêmes, de leur corps, de leur âme, de tout ce qu'il y a dans leur tête de plus beau, leurs plus belles pensées, leurs plus beaux rêves et leurs désirs, même les moins raisonnables. L'homme aura enfin du temps à lui. Nous aurons tout notre temps et nous serons libres, car ce qui coûtera vraiment cher ce sera l'homme. Oui, vous verrez comme ça coûtera cher une heure d'un homme, très cher. C'est l'homme qui aura de la valeur... Et nous, nous pourrons enfin être heureux oui, enfin heureux, vraiment heureux, vous verrez...

Joël Pommerat : Au monde (Actes Sud-Papiers, 2004, pp. 21-22)

  • Le théâtre a besoin de temps

Le dernier temps de I'écriture, c'est la rencontre avec un public. C'est là qu'une dernière opération invisible mais pourtant concrète s'opère sur les mots, les gestes, les corps, les silences de la représentation. Pour moi, ce temps-là ne s'achève pas au soir de la première, au contraire ce dernier temps de l'écriture est peut-être le plus long de tous. J'ai donc la volonté depuis quelques années de faire vivre mes spectacles sur des durées les plus longues possible. D'insister, vraiment, de persister de manière pas tout à fait raisonnable, même. Le théâtre est l'art de la répétition, peut-être aussi celui de l'effort, celui du corps, de la permanence et de la persistance du corps. Je rêve d'un théâtre artisanal, c'est-à-dire de pouvoir dans ma pratique du théâtre créer ce type de relation au travail : quotidien, modeste, exigeant, patient, raisonnable et fou... Trouver le temps pour l'incorporation des idées, un vrai temps de maturation pour les esprits et pour les corps, ce temps où le corps accède à l'intelligence.

Je rêve donc de pouvoir garder en vie tous mes spectacles, et ainsi de créer un répertoire de pièces qui augmente chaque année. Mon idéal serait de pouvoir jouer nos créations sur des durées de vingt, trente ans, voire plus. Qu'on voie vieillir les comédiens avec les spectacles. C’est une expérience utopique dont l’idée me passionne et me fait rêver. C’est une des raisons qui m’ont poussé au départ à créer une compagnie, c’est-à-dire une communauté de gens engagés sur le long terme. Il m'est arrivé de recréer certains spectacles, d’en refaire la mise en scène, et aussi de réécrire totalement sur un même sujet à six ans d’intervalle. Mais pour Au monde et Les Marchands, c’est la même mise en scène que nous présenterons à l’Odéon, et pour la vingtaine de rôles que comptent ces deux pièces il n’y aura que trois nouveaux comédiens.

Joël Pommerat, 18 avril 2013

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Spectacle terminé depuis le samedi 19 octobre 2013

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