American Tabloïd

Bobigny (93)
du 9 au 22 décembre 2013
1h40

American Tabloïd

C'est derrière la belle façade du mythe Kennedy que James Ellroy parle de l'inquiétante et fascinante histoire d'une Amérique aux prises avec ses démons, ses mensonges en imaginant un roman-feuilleton policier qui est devenu une des grandes œuvres de la littérature du XXe siècle. Une mise en scène de Nicolas Bigards, avec Judith Henry et Theo Hakola.

Une histoire énigmatique non encore résolue
Extrait
Entretien avec Nicolas Bigards

  • Une histoire énigmatique non encore résolue

C'est derrière la belle façade du mythe Kennedy que James Ellroy nous fait découvrir l'inquiétante et fascinante histoire d'une Amérique aux prises avec ses démons, ses fantasmes, ses mensonges en imaginant un roman-feuilleton policier qui est devenu une des grandes œuvres de la littérature nord-américaine du XXe siècle.

Ils sont tous là, ces héros d'une histoire énigmatique non encore résolue, faite de complots divers, d'alliances et de mésalliances, de coups tordus, ceux du « clan » Kennedy, ceux du F.B.I. dirigé d'une main de fer par Edgar J. Hoover, ceux des syndicats, dont l’une des grandes figures est Jimmy Hoffa, ceux du showbiz, Lenny Sands ou Howard Hughes, ceux des milieux d'affaires si proches des mafias diverses qui agissent dans l'ombre du pouvoir. Ceux dont l'histoire a retenu le nom croisent les êtres de fiction inventés par le romancier qui peut ainsi se permettre d'offrir toutes les hypothèses, toutes les rêveries, toutes les possibilités pour mieux cerner les enjeux d'une épopée présidentielle d'à peine mille jours qui a eu les allures d'un tremblement de terre.

Nicolas Bigards les fait s'incarner sur le plateau de son théâtre pour qu'ils nous racontent cette histoire qui, entre vérité et fiction, nous plonge au cœur des méandres de la vie politique d’une démocratie par moment si peu démocratique.

Traduction Freddy Michalski.

  • Extrait

L’Amérique n’a jamais été innocente. C’est au prix de notre pucelage que nous avons payé notre passage sans un regret sur ce que nous laissions derrière nous. Nous avons perdu la grâce et il est impossible d’imputer notre chute à un seul événement, une seule série de circonstances. Il est impossible de perdre ce qui manque à la conception.

La nostalgie de masse fait chavirer les têtes et les coeurs par son apologie d’un passé excitant qui n’a jamais existé. Les hagiographes sanctifient les politiciens fourbes et trompeurs, ils réinventent leur geste opportuniste en autant de moment d’une grande portée morale. Notre ligne narrative ininterrompue se dissout dans le flou, laissant de côté toute vérité toute sagesse rétrospective. Seule une vraisemblance impitoyable, sans souci des conséquences, peut redonner la vision nette de cette ligne dans toute sa rectitude.

La véritable trinité de Camelot était : de la Gueule, de la Poigne et de la Fesse. Jack Kennedy a été l’homme de la paille mythologique d’une tranche de notre histoire particulièrement juteuse. Il avait du bagou, et arborait une coupe de cheveux classe internationale. C’était le Bill Clinton de son époque, moins l’oeil espion des médias envahissants et quelques poignées de lard.

Jack s’est fait dessouder au moment propice pour lui assurer sa sainteté. Les mensonges continuent à tourbillonner autour de sa flamme éternelle. L’heure est venue de déloger son urne funéraire de son piédestal et de jeter la lumière sur quelques hommes qui ont accompagné son ascension et facilité sa chute.

Il y avait parmi eux des flics pourris, des artistes de l’extorsion et du chantage ; des rois du mouchard téléphonique, des soldats de fortune, des amuseurs publics pédés.

Une seule seconde de leurs existences eût-elle dévié de son cours, l’Histoire de l’Amérique n’existerait pas telle que nous la connaissons aujourd’hui.

L’heure est venue de démythifier toute une époque et de bâtir un nouveau mythe depuis le ruisseau jusqu’aux étoiles. L’heure est venue d’ouvrir grand les bras à des hommes mauvais et au prix qu’ils ont payé pour définir leur époque en secret.

À eux.

  • Entretien avec Nicolas Bigards

Vous présentez cette année un nouveau travail autour de l’oeuvre de James Ellroy, American tabloid. Pourquoi cet attachement à cette oeuvre ?
Cette création s’inscrit autour d’un projet initié avec USA, le roman de Dos Passos, questionnant la capacité de certains écrivains américains à raconter des histoires qui démontent les histoires que nous nous racontons. Ils ne sont pas dans la fin de l’Histoire, ou celle des grands récits, mais dans leurs réécritures. Avec Ellroy, la réécriture renverse un peu plus le décor, de USA à Underworld USA, la descente continue, on enterre un peu plus le rêve en déballant les poubelles des « bas-fonds » du mythe. American tabloid associe le mythe à la rumeur, le récit de la réussite aux racontars des manipulateurs. Le souci de l’auteur étant de révéler le sale boulot, conjointement horrible et comique des vrais décideurs de l’histoire, d’une Histoire perçue comme prometteuse ou progressiste.

C’est à la fois une grande fresque historique, avec un souffle épique incroyable, et en même temps, une minutieuse entreprise de démolition, de déboulonnage, de la mécanique éventrée de certains mythes tenaces. Précisément parce que le mythe est une mélodie sans sous-sol. Que ce soit des mythes positifs, comme les frères Kennedy qui sont encore aujourd’hui des icônes, ou négatifs comme le Klu Klux Klan ridiculisé dans American Tabloid, ce que Ellroy révèle finalement, en passant par ses personnages de fiction, ce n’est plus ce que la société doit au mythe mais ce que le mythe doit à la corruption organisée. C’est là où le roman noir d’Ellroy, en mêlant documents historiques et fiction, trouve une entrée majeure dans la matière du récit qui forge l’identité américaine.

Dans le roman, les volontés les plus opposées en apparence convergent sous le visage fragmenté des personnages principaux. Pete Bondurant, le tueur, ou Kemper Boyd, l’homme de main de l’État, résument leur analyse à un réalisme laconique : « c’est bon pour les affaires ». Le rôle contestataire et décapant de l’auteur devient vertigineux par l’entremise de la fiction. Ellroy y introduit le soupçon, le doute, en usant d’un humour noir et d’un art du dialogue qui isole les véritables acteurs du pouvoir. Pour Ellroy, l’assassinat de Kennedy marque le début d’une prise de conscience sur le manque d’éthique et de responsabilité politique face aux citoyens.

Votre intérêt pour le roman policier américain est-il lié à sa nature souvent politique et à son intérêt manifeste pour les problématiques sociétales ?
Ce n’est pas tant le polar que le roman noir qui m’intéresse. On a lié plus tard ces deux genres. Ce qu’il faut savoir, c’est que lorsque le roman noir apparaît à la fin des années 20, il est porté par des auteurs comme Dashiell Hammett ou Horace McCoy, mais aussi par John Steinbeck, John Dos Passos, Jack London ou Upton Sinclair. Ces auteurs, pour la plupart engagés politiquement, et bien souvent journalistes, se servent de la fiction pour décrire les dérives de la société. Ils sont en prise directe avec la réalité, et peuvent en explorer, grâce à l’écriture, les angles morts, les recoins sombres, l’envers d’un décor que l’on croit doré.

Les problématiques sociétales sont plus qu’un intérêt pour le polar, c’est son terreau, c’est avec l’encre des caniveaux qu’il s’écrit. En suivant l’évolution du polar américain, on lit en creux l’évolution de la société américaine. Le polar est le genre qui reflète le mieux l’époque où il est écrit. Par exemple, chez Hammett ou Chandler, le personnage principal n’est pas un flic, mais un détective privé. Le privé est celui qui est à la marge, entre deux, ni flic, ni gangster, ou un peu des deux à la fois, souvent en délicatesse avec la loi. Il n’est pas un représentant de l’ordre établi. Il y a une dimension anarchiste chez le privé. Et puis, peu à peu, la figure du privé va s’effacer au profit du flic, de celui qui agit au nom de la loi, même si pour cela il doit utiliser des moyens contraires à celle-ci. Cela donnera naissance à Dirty Harry au début des années 70, époque où la violence citadine explose et devient incontrôlable, et où se pose la question d’un garant de l’ordre, de la justice.

Et où se situe James Ellroy dans cette histoire ?
Il est très proche d’un Dashiell Hammett. Ils sont tout deux sans concessions pour leur époque, et ont une vision très aiguë, politiquement et socialement, de l’Amérique. La vision d’une Amérique aux mains des gangsters, que ce soit dans La Moisson rouge, de Hammett, ou dans American tabloid, où la Mafia fait et défait les présidents ou les dictateurs, reste la même. Il veut rendre hommage à ceux qui brisent les jambes de l’Histoire, qui mettent en acte au plus bas niveau les décisions politiques : les barbouzes, les poseurs de mouchards… Pour Ellroy, il est temps « de jeter la lumière sur quelques hommes qui ont accompagné l’ascension de Kennedy et facilité sa chute. Il y avait parmi eux des flics pourris, des artistes de l’extorsion et du chantage ; des rois du mouchard téléphonique, des soldats de fortune, des amuseurs publics pédés. Une seule seconde de leurs existences eût-elle dévié de son cours, l’Histoire de l’Amérique n’existerait pas telle que nous la connaissons aujourd’hui. » Tout est là. Les hommes qui font l’Histoire ne sont pas ceux que l’on croit, mais ceux qui acceptent de se salir les mains.

Quels personnages allez-vous mettre en valeur dans cette nouvelle version ?
Dans American tabloid, deux types de personnages coexistent : les personnages historiques, tels que Jimmy Hoffa, le patron du plus grand syndicat de camionneurs américains, Edgar J. Hoover qui était de 1924 à 1972 à la tête du F.B.I, Howard Hughes, mythique constructeur d’avion et producteur de cinéma, des mafieux, Sam Giancanna ou Carlos Marcello ; et des personnages de fiction, dont trois principaux qui interviennent dans la conspiration visant à l’assassinat de Kennedy : Kemper Boyd, J. Ward Littell et Pete Bondurant. Représentatifs du rapport de l’Amérique à Kennedy, ces derniers incarnent trois types de posture, trois types de séduction à l’égard du Président. La fascination de Kemper Boyd, agent spécial du FBI, trouve son origine dans le déclassement social qu’a subi sa famille, après la ruine et le suicide de son père. La revanche sociale est donc un moteur très fort, avec la volonté de réintégrer une certaine société qui l’a exclu. Ward Littell, lui aussi agent du FBI, ancien séminariste jésuite, défend un idéal de justice et se reconnaît dans Robert Kennedy qui est la face lumineuse des Kennedy, un parangon de justice, ennemi juré de la mafia et farouche opposant à Hoover. Pete Bondurant, lui, est tout aussi ambitieux que les deux premiers, mais ses motivations sont beaucoup plus opportunistes, l’aventure et l’argent étant des moteurs essentiels chez lui. Tous ces personnages, qui pourraient n’être que des personnages de polar, ont une grande profondeur
psychologique et c’est passionnant de creuser cet aspect de l’oeuvre.

Cela veut-il dire que vous utiliserez les dialogues de James Ellroy ?
Dans une première étape de travail, la saison dernière, lors des Chroniques du bord de scène, nous faisions la part belle à la narration et au récit, où les comédiens étaient potentiellement tous les personnages à la fois. Il nous semble maintenant nécessaire de suivre chacun des personnages d’American tabloid, de leur donner un corps, un visage, et que chacun d’entre eux soit porté par un comédien distinct, afin de montrer de manière plus marquée les fils flagrants ou secrets, mais toujours complexes, qui les relient et qui les tirent vers cet instant fatal : l’assassinat du président Kennedy le 22 novembre 1963 à Dallas. C’est ici la responsabilité de chacun de ceux-ci que nous voulons mettre en relief. C’est pourquoi les dialogues auront une place plus grande dans cette nouvelle version.

Cette incarnation se révèle aussi nécessaire pour la bonne compréhension de l’intrigue qui met en scène plus de cinquante personnages, dont certains nous semblent familiers, comme Hoover et Hoffa, sans pour autant que nous puissions bien situer l’enjeu que représente chacun.

Vous resterez concentré sur les mêmes épisodes que ceux choisis dans les adaptations précédentes ?
Le parti pris d’une plus grande « incarnation » fait que nous avons choisi de nouveaux passages, éclairant un peu plus les relations entre les personnages.

Vous avez choisi un compositeur américain pour créer la partition musicale du spectacle ?
Theo Hakola, une figure du rock en France, nous accompagne depuis que nous avons ouvert ce cycle sur le mythe Américain. Au delà de l’artiste, il y a dans les questions que nous abordons des aspects qui le touchent personnellement. Il est issu d’une famille émigrée suédoise venue aux États-Unis pour travailler dans les mines et les forêts américaines. Ces émigrants étaient très engagés dans les luttes sociales du XXe siècle. Théo nous apporte, en plus de ses créations musicales formidables, un regard critique et engagé sur le travail et sur notre approche. Les couplets de The West is dead fredonnés par Theo reviennent régulièrement hanter notre plateau. Et il y a aussi un autre Américain, Jake Lamar, auteur de roman noir, qui a été journaliste à Time Magazine, qui nous apporte son expertise et ses connaissances sur les arcanes des coulisses du pouvoir politique en Amérique.

Propos recueillis par Jean-François Perrier

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Spectacle terminé depuis le dimanche 22 décembre 2013

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