14 minutes de danse

du 28 avril au 9 mai 2009
1h15

14 minutes de danse

Elle et Lui ont une souffrance en partage. Ils n'ont pas pu, ils n'ont pas su en parler. Aujourd'hui, tous deux s'en vont plonger aux enfers de la mémoire. Là où s'est enfoui l'indicible. Là où la guerre est passée. Là où, trop longtemps, les terreurs ont trouvé refuge au creux des non-dits... Dans la sobriété d'une écriture riche de connivences complices et tout entière tendue vers cet instant, Sonia Ristic les invite à s'entendre et se dire jusqu'au bout, jusqu'à l'aveu.

« Ça ne dure pas 14 minutes et ce n'est pas de la danse ! » Sonia Ristic

  • Deux ados de trente ans à la mémoire brûlée

Elle, mutine, gamine, câline. Lui, caustique, cynique, épique. Elle et Lui ont une souffrance en partage. Ils n'ont pas pu, ils n'ont pas su en parler. Aujourd'hui, tous deux s'en vont plonger aux enfers de la mémoire. Là où s'est enfoui l'indicible. Là où la guerre est passée, pour justifier l'injustifiable. Là où, trop longtemps, les terreurs ont trouvé refuge au creux des non-dits...

Aujourd'hui, la pénombre d'une cave va laisser paraître le secret et les douleurs tues, les culpabilités, les trahisons, les lâchetés. La blessure, le feu, les hier à jamais meurtris. Alors, tendres et malhabiles, dans les gestes de l'amour, à mots couverts, à murmures confondus, avec les images floues des instants suggérés, Elle et Lui vont déchirer la nuit des silences, reconstituer la trame, vaincre les terreurs, fuir l'oubli et accepter de voir surgir les fantômes du passé.

Dans la sobriété d'une écriture riche de connivences complices et tout entière tendue vers cet instant, Sonia Ristic les invite à s'entendre et se dire jusqu'au bout, jusqu'à l'aveu. Alors, seulement, ils pourront danser, et s'enlacer.

Chorégraphie Tamara Saphir
Musique et son Stéphane Monteiro
Vidéo Carine Chichkowsky

  • Entretien avec Sonia Ristic

Bernard Magnier : Vous êtes née en Yougoslavie, en 1972, d’un père serbe et d’une mère croate, et après un passage par le continent africain, vous vivez à Paris depuis 1991 où vous écrivez, en français, des pièces et des romans. Comment êtes-vous venue vers la langue française ? Vers Paris ?
Sonia Ristic : Par l'Afrique. Ma mère a toujours été francophile d'une part, et d'autre part elle croyait dur comme fer au Non-Alignement. En tant que diplomate yougoslave, elle a toujours eu des postes en Afrique francophone et enfant, je l'ai suivie. Du coup, j'ai plus fréquenté des écoles françaises que des écoles yougoslaves. Le français a été ma langue d'apprentissage, de tous les apprentissages, d'enfance et d'adolescence. Je pense que c'est en français que je me suis construite. Lorsque j'ai eu mon bac, je voulais partir, m'éloigner d'une géniale et très envahissante famille balkanique et d'un pays au bord de la guerre. Je me cherchais, et il y avait comme une évidence que c'est à Paris que je me trouverais, même si, à l'époque, c'était sans doute plus confus, moins réfléchi, plus viscéral, plus… adolescent.

Pensez-vous que la (les) langue(s) de votre enfance a (ont) laissé des traces dans votre écriture ? Quelles sont-elles selon vous ?
Oui, le goût des archaïsmes, des formules un peu désuètes parfois, me vient du serbocroate. Les répétitions. L'humour noir. Je crois aussi que dans mes textes, je n'ai pas peur du “too much”, d'une certaine grandiloquence, d'un romantisme à outrance, de ces choses considérées comme dépassées dans l'écriture contemporaine française et que, en tant que slave, j'assume et… adore.

Quelles influences ont eu sur vous les années passées en Afrique ?
Presque dix années en Afrique ont laissé beaucoup de traces dans la personne que je suis devenue. La conscience de l'immensité du monde, merveilleux et terrible, pas comme une phrase toute faite, mais comme une sensation aiguë, constante, quotidienne, qui m'habite. Le besoin de me tenir en face de l'Autre, dans toute sa différence et toute sa ressemblance. Le fait de me sentir à chaque instant citoyenne de ce vaste monde. J'espère que cela se ressent dans mon écriture.

14 minutes de danse… Pourquoi ce titre ?
Quand j'ai écrit et monté Le temps qu'il fera demain pour un cabaret au Théâtre de Verre, cette pièce n'avait pas de titre. Comme cette première version durait quatorze minutes et que les interprètes étaient majoritairement des danseuses, un des organisateurs du cabaret avait appelé ce “numéro” 14 minutes de danse, et je trouvais que c’était un beau titre. Par la suite, Le temps qu'il fera demain a trouvé son titre définitif et j'ai décidé d'écrire une pièce qui s'intitulerait 14 minutes de danse. Je n'avais aucune idée de ce que ce serait, je connaissais juste le titre, et je savais qu'il y aurait une femme et un homme en huis-clos. L'histoire s'est vraiment révélée à moi au fil de l'écriture, elle s'est déroulée d'elle-même et le titre a trouvé sa place, comme une évidence aussi.

Dans vos précédents textes, l’action était clairement située dans un lieu précis, Sarajevo pour Sniper avenue, les pays d’oppressions pour les femmes-témoins dans Le temps qu’il fera demain. Avec 14 minutes de danse, vous avez choisi de ne pas nommer les lieux, pourquoi ce choix ?
Parce que je me suis attachée à la “petite histoire” et pas à l'Histoire. J'avais vraiment envie de rester dans l'intime, dans la relation des deux personnages. J'avais envie qu'ils soient monsieur et madame tout le monde, et puis aussi sans doute parce que ces histoires-là, hélas, ont eu lieu à tellement d'endroits différents du globe.

Etait-ce une intention présente dès le début de l’écriture de ce texte ?
Oui. Et avec le recul, je me dis que c'est une influence très « durassienne ».

Les deux personnages sont appelés « Elle » et « Lui »… Pourquoi ce choix de ne pas les identifier ? Est-ce avec la même intention ?
L'écriture de cette pièce a vraiment été très peu réfléchie, c'était un titre et puis une sorte de flot. Je l'ai écrite en quelques nuits, entre 3h et 8h du matin, en rentrant d'un boulot de serveuse. J'avais devant moi un homme et une femme, je les ai fait parler et je découvrais leurs histoires au fur et à mesure que je les écrivais. Au début, je n'avais aucune idée de qui ils étaient et je ne pouvais pas les nommer. Quand la boucle s'est bouclée et que l'histoire s'est révélée, que j'ai fini par les cerner, ils étaient déjà tellement Elle et Lui qu'il m'était impossible de les nommer autrement.

Si vous deviez nous les présenter… Qui sont-ils ?
Ce sont des ados, même s'ils ont la trentaine. Ils sont restés dans l'adolescence, dans le dernier moment d'insouciance, de légèreté, de joie, de jeu, qu'ils ont vécu, avant que leurs vies ne basculent, qu'ils ne soient avalés par l'Histoire. Ils ne font que recréer des rituels, des rites initiatiques, ceux de l'adolescence, qui leur permettent de préserver la beauté et la joie, de sauver l'innocence, malgré les horreurs qu'ils ont traversées et qui continuent à les traverser. Ce sont deux grands ados… dans la trentaine.

Un peu comme Sonia Ristic ?
Je me suis rendue compte récemment que j'écrivais à partir de l'adolescence, ce moment charnière dans la vie où l'on est tiraillé par les excès. Je suis toujours autant en colère qu'à 15-16 ans, je vis le monde et l'humain avec la même acuité, le même émerveillement et la même rage, et si je semble plus apaisée aujourd'hui, c'est grâce à l'écriture.

Ce spectacle a déjà connu une destinée sur la scène pouvez-vous nous raconter son cheminement ?
Je l'ai écrit pour une amie comédienne argentine, presque sur mesure. De 2003 à 2005, j'ai fait partie d'un collectif d'artistes qui squattait des friches, Le Théâtre de Verre. On avait investi une ancienne gare SERNAM, dans le 10e, et nous avions un immense espace pour travailler et accueillir du public, en toute illégalité. C'était un formidable outil, un vrai espace de liberté et de création, complètement alternatif, très vivant. Nous avons créé la première version de la pièce là-bas, avec tous les avantages et inconvénients de ce type de “structures”, avec les moyens du bord. Même si le spectacle n'a pas eu une longue vie, c'était une très belle expérience.

Vous êtes, à la fois, l’auteur et le metteur en scène du spectacle, est-ce un avantage ? Un inconvénient ?
Les deux. Un avantage, parce que j'ai l'impression de vraiment comprendre ce que ce texte raconte, de connaître intimement les personnages, de cerner les enjeux. Je peux, sans avoir à ménager la susceptibilité de l'auteur, creuser à travers la mise en scène ce qui m'apparaît comme une faiblesse du texte. Ecrire du théâtre est parfois terriblement frustrant, un texte n'est jamais fini avant la couche d'écriture scénique, et là, je m'offre le plaisir de le faire, de continuer à écrire la pièce, d'y rajouter des couches de lecture. C'est très égoïste aussi, car je prends mon pied à le faire. C'est sans doute un inconvénient parce que je ne dois pas toujours avoir assez de recul, mais heureusement, les comédiens, la chorégraphe, la vidéaste et le compositeur sont tous d'horizons très différents, avec des sensibilités
fortes, des regards très justes et ils m'apportent ce recul indispensable.

Avez-vous des références parmi les dramaturges ?
J'ai mentionné Duras déjà. J'ai une passion pour Shakespeare, mais uniquement les tragédies. Eschyle, bien sûr. Brecht et Fassbinder. Müller, à la folie. Plus contemporains, Lagarce dont j'aime presque toutes les pièces. Laurent Gaudé, Wajdi Mouawad. Fausto Paradivino a été un vrai coup de coeur. Et puis ceux autour de moi dont j'ai la chance de suivre le travail, Suzie Bastien, Gustave Akakpo, Guy Régis Junior, Dieudonné Niangouna, Dejan Dukovski... Il y en a beaucoup, en fait.

Et pour ce qui est des metteurs en scène ?
Brook, c'est tout le théâtre que j'aime. Mouawad encore. J'ai eu de grands bonheurs de spectatrice avec Stanislas Nordey. Py, parfois. Mnouchkine.

Quelle part attribuez-vous à la vidéo dans le spectacle et quel est son rôle ?
L'image a une force impressionnante dans notre regard d'aujourd'hui, alors on cherche comment la mettre à profit sans lui permettre de bouffer l'acteur. Elle doit être présente mais ne doit pas prendre le pas sur le vivant, le fragile. Elle doit offrir une ligne de fuite, mais pas souligner. Dans le spectacle, la vidéo est là pour restituer la nébuleuse du souvenir, le désordre de la mémoire sensorielle. Il s'agit de projection de sensations, de souvenirs des personnages, de tout ce que ces deux-là n'arrivent pas à mettre en paroles.

Quelle part attribuez-vous à la danse, aux sons et aux musiques dans le spectacle et quels sont leurs rôles ?
Tout le propos de la pièce est la tentative de ces deux personnages d’organiser leur mémoire, de trouver un début, un milieu et une fin, afin de pouvoir raconter l'irracontable, pour qu'il cesse de les grignoter de l'intérieur. Sauf que le souvenir émotionnel échappe à l'organisation, ne respecte pas la chronologie, est beaucoup plus désordonné. D'où la construction en caléidoscope, éclatée, par ces différents outils et langages. Le corps, l'image et le son sont censés donner à voir, à sentir, à entendre tous les sous-textes qui échappent à la parole. Nous essayons de créer des contrepoints, de confronter un discours à une sensation, de creuser le sensible. L'idée de départ était de réécrire ce texte mais de façon polyphonique.

Sarajevo, le Rwanda, l’esclavage, la Shoah, la guerre et ses blessures, votre univers d’écriture est grave et douloureux, imaginez- vous écrire sur un monde apaisé, sur un monde plus proche de votre environnement d’aujourd’hui ?
Le bonheur manque de ressort dramaturgique ! Je m'attache à raconter des histoires et c'est du drame que naît l'histoire. Je suis aussi peut-être trop slave ! C'est au bord du précipice que la joie m'apparaît comme la plus fulgurante. Et puis, même si j'écris à partir de l'ombre, j'ai l'impression que tous mes personnages cheminent toujours vers la lumière, qu’ils s'en sortent toujours à la fin. Que dans tous mes textes, je raconte la même lutte pour faire jaillir la joie et le rire du coeur de la nuit, pour faire vibrer la beauté, même lorsque tout semble perdu.

Propos recueillis en février 2009.

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