- Un thème d’une actualité brûlante
A bout de force, en chute libre, Blanche Dubois saute dans le tramway nommé « Désir », pour fuir les fantômes de son passé. Elle atterrit chez sa sœur, Stella, pour se réfugier dans les souvenirs de son paradis perdu… Belle Rêve. Mais Stella est mariée à un ouvrier d’origine polonaise, Stanley Kowalski, qui ne supportera pas de voir son quotidien déstabilisé. Ce qui ne devait être qu’une halte de quelques jours se transforme en un long séjour qui n’en finit plus. L’intrusion de cette femme dans la vie si tranquille de Stanley va le pousser à percer à jour les secrets de sa belle-sœur…
Cette pièce met en exergue toutes les difficultés des protagonistes à faire « cohabiter » leurs désirs. Tennessee Williams, obsédé par la crainte de devenir fou, décortique, à travers son œuvre, l'humain et ses pathologies. Nous assistons ici à la dernière chance de Blanche afin de ne pas sombrer dans la folie. L’atmosphère moite et chaude de la Nouvelle-Orléans, sa musique fiévreuse et sensuelle, jouée sur scène par tous les personnages, entrainent les spectateurs dans l’univers brûlant d’un des plus grands auteurs américains du XXème siècle.
La condition de la femme contemporaine est encore loin d’être celle de l’homme. Les violences, les inégalités et les privations de liberté qu’elles subissent, aussi bien dans leur foyer qu’au travail, sont encore nombreuses dans nos pays occidentaux dit « civilisés ». Les évènements récents dans le monde de la production cinématographique le prouvent. Il est aujourd’hui de nécessité publique de présenter au spectateur des œuvres qui heurtent sa sensibilité sur ce thème. Un Tramway Nommé Désir est d’une actualité brûlante. Notre devoir est donc de ne pas « singer » la vérité mais d'en tirer l'essence et le sens profond dans le cadre dramaturgique, pour s'approcher au plus près du réalisme défendu par l’Actor's Studio. La violence physique et psychologique est ici assumée pour qu’elle ne devienne pas un terme générique.
- Interview du metteur en scène
Pourquoi avoir choisi de monter cette pièce ?
L’adaptation cinématographique ne correspondait pas à la vision que j’avais de l’oeuvre, trop axée sur la relation de Blanche et Stanley. Stella est l’enjeu de cette guerre de territoire entre Stanley et Blanche. Le rapport de ces deux personnages est conditionné par Stella et non par une attirance charnelle ou le désir de séduire.
Comment abordez-vous la bascule vers la folie ?
La pièce montre à quel point quelqu’un de fragile psychologiquement peut être encore sauvé. C’est la dernière chance de Blanche et sa rencontre avec Mitch pourrait lui donner « un nouvel élan ». Ils sont comme deux infirmes qui vont se sauver l’un l’autre. Comme Stanley et Stella se sont sauvés lors de leur rencontre, « J’étais sale et tu m’as lavé » dit Stanley. L’amour est au centre de cette pièce. Il permet de se construire. Sans lui, la réalité n’a plus d’intérêt, c’est pour l’autre et à travers l’autre que l’on existe. Afin de garder leur identité, Stanley et Blanche ont besoin de l’amour de Stella et de Mitch. Stanley et Mitch ont fait la guerre ensemble, ils sont comme des frères. Les personnages se battent tous pour leur propre survie, Stanley pour conserver son statut social, Blanche pour rester ancrée dans la réalité, Stella pour conserver la famille qu’elle a construit et Mitch pour ne pas finir seul.
Comment retranscrivez-vous l’univers de la Nouvelle-Orléans ?
Par l’univers musical, car dans la conscience collective, la Nouvelle-Orléans symbolise l’avènement du blues et du jazz. On a la chance d’avoir des acteurs musiciens donc nous utiliserons principalement de la musique en direct, avec des standards de jazz. Il fallait aussi faire exister l’ambiance moite et chaude de la Nouvelle-Orléans, et nous le faisons à travers les couleurs du fond de scène, le damier noir et blanc incontournable aux Etats-Unis et particulièrement en Louisiane, les persiennes, les ventilateurs… et bien sûr la transpiration des comédiens !
Qu’est-ce qui vous a séduit dans l’univers de Tennessee Williams ?
Après avoir abordé Molière, Hugo et Claudel, qui sont des auteurs à texte, j’avais envie de m’attaquer à une oeuvre américaine qui met en valeur le contexte et qui appelle le jeu, ce qui demande une direction d’acteur pointue. C’est un théâtre contextuel et non textuel qui laisse une part importante à l’acteur d’incarner leur personnage. Ensuite l’oeuvre de Tennessee Williams est toujours à la limite de la déraison et de la folie. C’est un auteur qui aborde la fragilité de la santé mentale de l’homme. Comment dissocier l’homme de l’animal ? Par la conscience sans doute, mais la conscience est fragile.
Quel est dont ce « Désir » dont parle Tennessee Williams ?
Le désir exprimé à travers cette pièce n'est pas tant d’ordre charnel mais existentiel. Nous sommes ici dans une quête profonde d’identité. Le « Désir » est commun à tous les personnages mais il est dirigé vers des « objets » différents. C'est la diversité de ces derniers qui crée les obstacles et les conflits. Le désir de Blanche est de retrouver son amour propre, recommencer à zéro, retrouver le temps où elle était immaculée, « blanche ». Stella éprouve le désir inébranlable de construire une famille, même si son homme est violent et alcoolique. Elle s'accroche à ce rêve malgré les réticences récurrentes de sa soeur, car il justifie sa fuite loin de « Belle rêve ». Stanley a un désir d’ascension sociale. Lui, l'immigré, a acquis un semblant de statut social en épousant une propriétaire terrienne. Sans elle, il n'est plus rien, et à l'idée de la perdre, il sanglote comme un enfant. Mitch a le désir de satisfaire les attentes de sa mère. Il doit épouser la femme modèle, pure et immaculée, pour coller à l'image idéalisée qu’il a de sa mère. Lorsqu'il apprend le passé scandaleux de Blanche, il la rejette avec dégoût.
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