Tuer la misère

Bagnolet (93)
du 25 mai au 5 juin 2009

Tuer la misère

Une pièce musicale construite avec et autour de la présence d'André Robillard, artiste d'Art Brut. Le paysage scénique se déploie à la manière d'un collage de textes et de motifs musicaux ou sonores...

Une pièce autour de la présence d'un artiste d'art brut
Les machins d'art
La blessure de l'histoire
Entretien

Pièce musicale.

Par la compagnie Endimanchés.

  • Une pièce autour de la présence d'un artiste d'art brut

André Robillard construit ses fusils faits de matériaux de récupération depuis plus de quarante ans. Il appartient à la "constellation de l'art Brut", dont les œuvres ont très tôt intégré les collections rassemblées par Jean Dubuffet. Il figure parmi les derniers artistes vivants découverts par le peintre. Ses œuvres sont exposées à Lausanne au Musée de l'art Brut, mais sont également présentes dans les collections de l'Aracine et de l'abcd. Son quotidien et son espace de vie entretiennent un rapport de perméabilité avec ses créations; tout autour de lui est empilement, collections de masques et d'animaux en tous genres, de matériaux soigneusement conservés et de photos polaroïd constituant un espace imaginaire en équilibre instable, d'où émanent presque naturellement ses constructions et dessins d'animaux ou d'engins galactiques.

André Robillard est en outre un musicien autodidacte, il pratique l'accordéon, s'accompagne d'un plain-chant ou d'un râle, à la fois guttural et curieusement mélodieux, qui forme un contrepoint au maniement brutal de son instrument, il joue de l'harmonica amplifié avec un seau, de la caisse claire avec des cartouches de fusil,. Il se révèle également être un étonnant inventeur de langues et de dialectes.

Charlotte Ranson rencontre André Robillard à l'hôpital psychiatrique de Fleury-les-Aubrais dans le courant de l'année 2006 et passe la majeure partie de son temps à le côtoyer plutôt que de rester enfermée dans les pavillons. Entre eux se bâtit une amitié indépendamment de toute préoccupation d'ordre artistique ou de tout projet lié à l'œuvre d'André. Charlotte Ranson séjourne ensuite à la clinique de la Borde où elle fait venir André Robillard à deux reprises; il vient une première fois jouer de la musique et montrer quelques-unes de ses réalisations puis revient en tant que visiteur.

En 2007, Charlotte Ranson présente André Robillard à Alexis Forestier qui connaissait son œuvre de même que certains de ses enregistrements. Une relation de proximité amicale et de complicité musicale se tisse peu à peu au fil des visites et du temps partagé et fait naître l'idée d'un projet commun.

L'immédiate évidence avec laquelle André Robillard rencontre l'autre et l'invite à entrer dans son paysage, la vigueur avec laquelle il convoque son arrière-pays, ses arrière-mondes et les transfigure par la parole, le chant ou ses productions plastiques, son attrait pour les formes scéniques théâtrales et musicales que sa curiosité lui permettent d'approcher avec un étonnement sans cesse renouvelé, enfin l'inventivité qui le caractérise et qui est partie intégrante de son quotidien sont autant d'aspects qui ouvrent les voies d'une mise en commun de matériaux, musicaux, textuels, plastiques et sonores qui conduiront à échafauder un objet scénique, plus proche sans doute de la performance et faite d'une succession de séquences inspirée à la fois de l'imaginaire d'André Robillard et des moments de vie partagés avec lui.

Le projet se joue avec André Robillard lui même, dans une scénographie élaborée à partir de grands dessins, (une iconographie à l'échelle du plateau), de fusils de sa fabrication et d'éléments lui appartenant (ses oiseaux son présents sur le plateau). Le paysage scénique se déploie à la manière d'un collage de textes et de motifs musicaux ou sonores. Le matériau prend la forme de ce qui s'est inscrit dans le travail avec André , autour de sa présence, en l'ayant intégré à nos explorations et expérimentations musicales ou en ayant accompagné ses propositions rythmiques et improvisations vocales.

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  • Les machins d'art

"Né le 27 octobre 1931 André Robillard est un phénomène de la nature. Artiste peintre de la collection de l'Art Brut de Lausanne. Mon père était garde chasse et a travaillé dans les fermes, à la Caillaidière et à la métairie jaune. Ma mère était garde-barrière en Seine et Marne à Moret-sur-Loing. J'ai rencontré Charlotte à Fleury-Les-Aubrais et elle est venue me chercher pour aller faire un tour à La Borde. J'ai fait des machins d'œuvres, artiste, j'ai entendu parler des spectacles mais je les connaissais pas. Je connaissais les collections de l'Art Brut, les machins d'art, mais le théâtre c'est un peu différent des machins d'artistes. Alexis et Charlotte sont venus me chercher chez moi pour aller faire le spectacle au Mans à la Fonderie il sont venus me chercher le 12 mars jusqu'au 29 mars on a travaillé quinze jours, le spectacle n'est pas fini. Le spectacle c'est pas un machin d'artiste, sans être artiste on peut faire du théâtre. Moi j'étais sur la scène, mais j'ai travaillé quand même, j'ai fait des fusils j'ai continué à faire des machins d'œuvre. Les machins d'artiste ça attire du monde, le spectacle ça attire du monde aussi même si c'est différent. Il y a deux choses différentes.
Les gens qui voient le spectacle voient bien qu'on a fait des tableaux, des fusils, des machins d'œuvres ils voient bien qu'il y a un artiste. Si il n'y a pas de machins d'œuvres ils ne voient pas que c'est un artiste, ils peuvent pas le deviner. Le théâtre si c'est de l'art c'est un peu différent ça n'a rien à voir. Même si on et musicien ce n'est pas de l'art ou alors on peut être artiste dans un machin musical. Le théâtre c'est un machin d'art différent, si on en parle aujourd'hui, ça a toujours été comme ça. Je me demande si l'opéra c'est pas aussi un machin d'art. Bah, c'est à dire qu'il y a de l'art partout. On pourrait même se demander si l'art c'est pas puissant. On peut penser à l'univers ça peut bien être de l'art aussi. L'art de l'Univers. C'est le machin d'artiste de l'art qui a fait disparaître la misère. Détruire la misère c'est pas rien. C'te sacrée misère, il faut l'arrêter avant qu'il soit trop tard. Et on peut même se détruire par nous même sans s'en rendre compte, il faut contre-attaquer pour détruire la misère."

André Robillard, 1er juin 2008

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  • La blessure de l'histoire

L'imaginaire d'André Robillard est empli de souvenirs de la guerre, les russes, les allemands, Hitler, l'aviation militaire, avec pour arrière plan la guerre froide; ces souvenirs ne s'additionnent pas pour former une conscience politique ou organiser une mémoire de la guerre; ils sont une accumulation d'éléments ou d'événements qui manifestent une persistance des traumatismes de l'histoire, une certaine forme d'irréconciliation.à l'œuvre .

Cette fascination brute, directe, au-delà de tout jugement moral ou de toute préoccupation éthique nous met en présence des signes et des images obsédantes déposés par l'histoire. C'est cette blessure inaltérée par le temps qui se joue et que l'on tente de déjouer sur le plateau, la blessure de l'histoire, mais aussi la blessure de l'être pris dans notre histoire contemporaine, celle du siècle achevé, qui habite sous forme motifs récurrents l'imaginaire d'André.

La structure et la scénographie du projet se sont élaborés à partir de ces images qu'il fait apparaître, peuplées de référents, marquées notamment par la seconde guerre mondiale de même que par divers événements ayant trait à la conquête de l'espace. André Robillard est également fasciné par les engins spatiaux, les premiers hommes qui ont marché sur la lune, le lancement des spoutniks soviétiques, la comète All-Bopp, les O.V.N.I et les martiens. Il évoque ses rêves qui fréquemment se déclinent sous la forme de voyages sur la planète Mars ou Jupiter ; il a pour habitude de rencontrer des martiens avec trois yeux, le nez décentré, parlant une langue étrange - langue qu'il aime à parler lui-même.

La structure s'organise ainsi à partir d'improvisations d'André - un discours en faux allemand, une conférence sur le lancement des spoutniks, une séquence durant laquelle il imite la langue des martiens - qui ponctuent la trame du spectacle; le bruissement de la guerre et le murmure des chants révolutionnaires (Le front des travailleurs, La marche de Boudienny, plus tard Aux soldats allemands sur le front de l'est) sont là au commencement comme un arrière plan qui se révèle être avant tout un support de jeu et d'invention, de déconstruction par lequel l'enfance se confond avec l'imaginaire de la guerre: on était habillé en bleu horizon, on regardait les soldats américains passer, on jouait aux soldats (extrait d'un témoignage diffusé dans les premiers instants du spectacle).

Les obsessions d'André portent également sur les musique traditionnelles d'Auvergne, de Suisse Alémanique ou d'ailleurs - paysages musicaux familiers aux endimanchés primitifs. Il s'établit alors un dialogue incessant entre le monde d'André, territoire traversé par la culture populaire et les territoires poétiques et musicaux qui sont les nôtres, à la recherche d'une articulation juste, d'un point d'équilibre où puissent se rencontrer voire se télescoper nos désirs et nos possibilités d'investissement mutuels. Nous avons suivi ce chemin notamment à travers différents textes de Paul Celan:

« Parle toi aussi fusses-tu le dernier à parler » écrit Paul Celan. Prononcer, dire encore qu’après la nuit d'Auschwitz, la poésie, le verbe peuvent encore, non seulement avoir lieu, mais dessiner d'autres possibles. « Rester là tenir dans l’ombre de la cicatrice en l’air » Stehen, tenir par-delà l’être détruit, amoindri par l’expérience de l’Holocauste, l’expérience de l’histoire ayant altéré le paysage intime. « Ainsi donc il y a encore des temples debout, une étoile a bien encore de la lumière, rien rien n’est perdu. »

Le combat pour tenir par-delà les bouleversements et les secousses de l'histoire, pour maintenir une part irréductible du vivant, pour Tenir dans la douleur, au coeur même d’une brisure intime, c’est aussi le combat d’André Robillard qui à travers son œuvre plastique mais aussi sa nécessité d’inventer, de créer des langues imaginaires s’est maintenu dans le mouvement de la vie.
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D'autres écrits ont également pris place dans la structures du spectacle: un texte de Fernand Deligny intitulé Le seau de grenouilles mais aussi des textes de Karl Brendel.

Le seau de Grenouille de Fernand Deligny occupe une position centrale dans le projet; il donne à entendre l'histoire de Roger Luce, personnage qui ne cède jamais sur son désir, quel que soit le prix à payer, qui se révèle être celui d'une errance indéfinie, d'une certaine impossibilité d'adaptation. Roger Luce ne parvient à trouver les conditions d'un séjour parmi les hommes, et quand bien même les trouverait-t-il, il ne consent à rejoindre le petit personnage que l'on attend qu'il soit à la table de la ferme où il est attendu, il ne peut se résigner à un état social indiqué.

Enfin nous donnons à entendre quelques textes de Karl Brendel, pensionnaire à l'hôpital de Heidelberg et sculpteur dont certaines paroles ont été retranscrites par le docteur Hans Prinzhorn dans son ouvrage intitulé Expressions de la Folie. Prinzhorn à travers toute son élaboration théorique sur l'origine de la Gestaltung - le mouvement d'apparition de la forme - s''attache à décrire et à analyser les phénomènes pulsionnels de création esthétique, notamment à travers des études de cas et des retranscriptions de paroles de patients.

Karl Brendel décrit diverses situations où il se trouve à la fois égaré et persécuté, en proie à des menaces de tous ordres, où la nature elle-même, avec laquelle il entretient une relation d'intimité devient subitement menaçante; La présence des textes de Brendel n'est pas souhaitée comme une parole à travers laquelle nous voudrions révéler des éléments de compréhension ou de déchiffrement sur la vie d'André Robillard, sur son existence antérieure.

Brendel, ou Roger Luce - à travers le texte de Deligny -, sont présents sur le plateau comme des compagnons de route lointains d'André Robillard, à distance de toute perspective d'assimilation, indiquant des potentialités de rencontre, à la croisée de ces chemins sinueux.

Les textes présents deviennent le support d'un dialogue direct, immédiat avec André Robillard qui s'en saisit de par ses réflexions, commentaires ou improvisations gestuelles.

Alexis Forestier, Charlotte Ranson

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  • Entretien

Comment est né le projet « Tuer la misère » entre André Robillard & Les Endimanchés ?
Il est né de la rencontre insoupçonnée avec André Robillard. Charlotte Ranson m’a parlé de Robillard qu’elle avait rencontré à Fleury-les-Aubrais en banlieue d’Orléans. Je connaissais ses œuvres de même que certains de ses enregistrements. On s’est donc rendu chez lui, en visite, à Fleury-les-Aubrais, il vit dans l’enceinte de l’hôpital psychiatrique où il a été placé à l’âge de neuf ans par ses parents et a passé sa vie. Dans les années soixante, on lui a proposé de travailler pour la station d’épuration de la clinique, dès lors il a commencé à dessiner ou à construire des engins de guerre et des fusées, à bâtir son œuvre. Avec des matériaux ramassés à droite et à gauche, il a commencé à fabriquer ses premiers fusils. Aujourd’hui, il vit dans une petite maison-atelier, un trois pièces totalement saturé de ce qu’il ramasse et conserve avec soin. “Il ramasse tous les débris du monde”, comme le dit Jean Oury à propos d’Auguste Forestier, pour se réengendrer, se reconstruire lui-même. Je suis arrivé au cœur de cette complicité entre Charlotte et André. J’ai été invité à y entrer et à former avec eux cette petite constellation.

Comment s’est formé votre projet commun ?
La rencontre avec André a provoqué une chose assez curieuse, c’était comme si je retrouvais certains arrière-mondes qui avaient constitué les endimanchés à leur origine : l’imaginaire lié à l’enfance, une curiosité pour les musiques traditionnelles ou folkloriques, un attrait pour la culture populaire. Aussitôt, une sympathie s’est instaurée parce qu’André est extrêmement accueillant, prêt à déployer le monde qui est le sien, formé de ressassements, de stéréotypies et débordant à la fois d’une générosité, d’une drôlerie sans égal. C’est comme si j’avais eu des dispositions particulières dans la mesure où son univers m’était familier. Il a une propension naturelle à se mettre en jeu, il est toujours en train de raconter des histoires qui contiennent ou déploient sa propre histoire. C’est en partie pour cela que nous avons appelé le spectacle “Tuer la misère”, car il raconte toujours et sous différentes formes une existence mal engagée et cette possibilité soudainement aperçue d’accéder à la création qui lui permet de s’extraire, "de balayer" la souffrance. Elle constitue chez lui un territoire abandonné ou du moins mis à distance grâce à la création.

C’est votre travail au service de l’œuvre de Robillard ?
Nous éprouvions la nécessité de convoquer des arrière-plans qui allait donner la mesure de ce qui peuple l’imaginaire d’André. Un imaginaire rempli de souvenirs de la guerre, sous la forme de signifiants un peu usés, de signes déposés par l’Histoire, d’éléments dont il se saisit pour élaborer ses fusils, construire ses dessins : l’aviation russe, les allemands, Hitler. Il a une mémoire de la guerre, de ce qui lui a été contemporain mais ce n’est pas une conscience politique, c’est une accumulation d’événements qui manifeste une persistance des blessures de l’Histoire. Il se saisit des conflits de l’histoire pour faire œuvre, les sublimer et puis tuer la misère : tuer la misère intime et régler quelque chose de la misère du monde.

Comment se fera la construction entre votre univers et celui d’André Robillard?
Nous cherchons à construire une unité de langage à partir d’éléments hétérogènes. La musque y prend une place essentielle grâce à la complicité aigüe d'Antonin Rayon.C’est une sorte de va-et-vient entre une parole brute et un montage complexe dans ses articulations. Il faut que l’on puisse voir l’arrière-plan de l’Histoire sur un autre mode que celui d’André. Il y a des lieder de Eisler, les bruissements de la guerre, le murmure des chants révolutionnaires. Leur présence révèle la faculté d’André à se saisir de ces motifs pour en faire un support de jeu et d’invention. Avant même de commencer le travail, nous nous étions penchés Charlotte et moi sur des textes de Celan. Certains poèmes avaient une résonance très forte avec les obsessions d’André, et sa capacité de résistance, l’expérience de la Shoah ayant chez Celan altéré les paysages intimes Ce qui est communément perceptible dans l'écriture de Celan et la vie de Robillard est cette part irréductible du vivant, dès lors que s'est joué un combat pour tenir par-delà les secousses de l'histoire. Le combat d'André se situe à cet endroit où il n'a cessé de "contre-attaquer pour détruire la misère" et d'élargir son territoire de par les ramifications liées à son oeuvre: aller vers le monde, faire venir le monde à lui, imaginer au-delà du monde palpable.

Entretien réalisé pour les Subsistances à propos de Tuer la misère (en compagnie d'André Robillard)

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Spectacle terminé depuis le vendredi 5 juin 2009

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