
Dans ses nouvelles, l’écrivain Raymond Carver décrit l’Amérique des années 1970, après l’âge d’or, au moment où l’American way of life vacille et une réalité sociale plus sombre transparaît. La metteuse en scène Olivia Corsini offre à ces histoires vertigineuses une adaptation théâtrale tout en finesse.
Dans ses nouvelles, l’écrivain Raymond Carver décrit l’Amérique des années 1970, après l’âge d’or, au moment où l’American way of life vacille et une réalité sociale plus sombre transparaît.
La metteuse en scène Olivia Corsini offre à ces histoires vertigineuses une adaptation théâtrale tout en finesse. En suivant six personnages et leurs existences ordinaires, faites de petits ratages et de frustrations, elle nous fait plonger dans un monde modeste, où on parle peu et on n’ose jamais assez.
Dans un décor qui fait penser à un tableau d’Edward Hopper, accompagnée par une équipe d’interprètes de haut vol, elle décrit avec maestria l’errance nocturne de femmes et d’hommes qui arrivent à un moment clé de leur vie : l’heure où tout peut basculer…
« À l’image du tableau de Edward Hopper, Nighthawks, où les grandes parois de verre du bar laissent deviner la profonde solitude des quatre personnages qui ne se regardent pas, les protagonistes des nouvelles de Carver vivent dans leur monde fait d’objets, de lits, de téléphones, de bouteilles, telles des figurines dans un grand tableau. Les personnages comme des petites poupées restent dans des intérieurs isolés, des refuges éclairés par les lueurs des abat-jour. Chacun dans leur espace, comme autant d’îlots sans connexion entre eux.
Je voudrais tout d’abord construire des images qui aient un impact sensoriel et émotionnel et pas seulement esthétique. L’envie d’un projet naît d’une vision ; le décor n’est pas une scénographie mais la matrice ; le cadre est le moteur de l’état dans lequel je cherche à plonger les acteurs. Carver n’avait pas le temps d’écrire de romans, sa situation économique ne lui permettait pas de se consacrer complètement à l’écriture, il n’écrivit donc que des nouvelles courtes. En peignant ses personnages par des détails extrêmement parlants et reconnaissables, il restitue pour nous des instants clefs, des moments banals du quotidien où pourtant tout peut se jouer, où tout peut vriller. Oui, malheureusement, on ne se quitte que très rarement dans la brume au petit matin sur le quai d’une gare… Le plus souvent cela se
passe sans romantisme entre l’arrivée du plombier et le départ pour le travail.
La vraie vie entrave l’image de la vie en nous révélant en tant que petits individus dont les actions entraînent des conséquences inéluctables. Pour incarner ces gens qui pourraient être nous-mêmes dans ces moments de grande détresse, il nous faut les approcher avec beaucoup d’empathie et d’affection, sans jamais les juger. Dans ce chemin de reconnaissance en l’autre, Carver est notre guide. C’est aussi la violence du rêve américain qui se devine à travers les nouvelles de Carver. Ses personnages figurent l’Amérique déclassée, humiliée et hantée par les soucis matériels. Pas de winner ici, seulement des êtres obsédés par la peur de manquer, de rater et de perdre le peu qu’ils ont encore. Ces émotions ne concernent plus la seule Amérique aujourd’hui. Confrontées à la précarisation généralisée et à l’individualisme qui en découle, nos existences et nos intimités dialoguent avec celles dépeintes par Carver. Il ne s’agit pas de prétendre qu’il est notre contemporain mais de réfléchir avec lui à ce que le monde post-moderne et l’idéologie ultralibérale fait à nos âmes. »
Olivia Corsini
2 bis, avenue Franklin Roosevelt 75008 Paris