"Ces choses n'eurent jamais lieu, mais elles sont toujours. Les
raconter, c'est forcément se poser certaines questions qui, elles aussi, sont "
toujours "... Peut-être le mythe est-il une narration qu'on ne peut comprendre qu'en
la narrant. Peut-être, la manière la plus immédiate de penser le mythe est-elle d'en
conter de nouveau les fables, tel un immense et très léger filet qui se pose sur le
monde." Roberto Calasso. Les Noces de Cadmos et d'Harmonie.
"Pélops - fils de Tantale, eut de nombreux enfants parmi lesquels Atrée et
Thyeste. Ils se disputèrent le trône d'Argos. Zeus avait établi que le roi serait celui
qui aurait dans ses étables un bélier à la toison d'or. Atrée l'aîné, serait monté
sur le trône si Thyeste n'avait séduit la femme d'Atrée afin qu'elle volât pour lui le
bélier dans les étables de son mari. Zeus, furieux de voir Thyeste l'emporter, ordonna
au soleil de faire demi-tour afin de dénoncer par ce signe, le tricheur. Atrée reprit le
pouvoir et exila son frère, pour le faire ensuite revenir à Argos, en lui offrant le
pardon et la moitié du trône. Puis il s'empara de ses fils et les lui donna à manger au
cours d'un banquet. De nouveau le soleil fit demi-tour." Florence Dupont
Sénèque, Théâtre complet.
Au début de chaque tragédie de Sénèque, le héros a subi une atteinte terrible, une
mutilation affective qui fait de lui une sorte de grand brûlé psychique. Au début de
Thyeste, Atrée ressent sa descendance comme illégitime : sa femme a couché avec son
frère et il est persuadé que ses enfants sont des bâtards. Son pouvoir est fragilisé,
puisque sans avenir, et il est traumatisé par le détournement de sa descendance. Il doit
passer à l'acte pour recouvrer ses droits. Ce passage à l'acte est au cur de la
tragédie romaine : le héros humilié commet un crime innommable qui transgresse les lois
de l'humanité. Il élabore une sorte " d'anti-morale ", il donne du sens à
l'horreur pour marquer à jamais la mémoire, pour qu'on se souvienne éternellement de
son acte. Il arrête le Temps, pervertit l'ordre du monde et fait fuir les Dieux. Il
accède, par la violence, à un statut qui redonne une valeur à son nom : Atrée
s'inscrit ainsi en fondateur avec Tantale de la lignée des Atrides, de funeste mémoire.
Sénèque écrit un théâtre qui met en scène des " monstres ". Ils nous
font certainement horreur, mais ils nous fascinent. Cette ambivalence est un moteur
puissant pour le spectateur : on consent à assister au spectacle de la cruauté pour
mieux la mettre à distance et peut-être en rire. Shakespeare qui est un excellent
lecteur de Sénèque l'a très bien compris, qu'on songe à Titus Andronicus...
Cette " mise à sac " du " sacré " nous interroge tous. Elle est
la question centrale de ce théâtre : la barbarie est dans l'homme, et il convient pour
la juguler de bien la connaître. Le théâtre peut être le moyen de cette connaissance.
C'est le sens que je souhaite donner à cette mise en scène.
Sylvain Maurice
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