Roberto Zucco

Mise en scène par la pétillante Pauline Bureau, une jeune troupe de comédiens nous transporte, avec un naturel confondant, dans le monde étouffant de Roberto Zucco décrit par Koltès. L'interprétation est fine et exigeante. Le théâtre de la cruauté et de l’absurde cher à Artaud prend ici tout son sens.
  • Du fait divers au mythe

En 1988, Koltès est fasciné par une affiche dans le métro. C’est un avis de recherche du meurtrier Roberto Succo.

« À 14 ans, Roberto a tué son père et sa mère, sans motivation. Il a été interné en hôpital psychiatrique, et il a été tellement sage qu’on l’a relâché. À 24 ans, ça a déraillé une nouvelle fois, et à nouveau il a tué, sans motif. Quand on l’a arrêté, il était dans la rue, des flics sont arrivés vers lui, ils ne pensaient même pas que c’était Roberto Succo, parce qu’il était en cavale. Ils lui ont dit : « Qui êtes-vous ? » et il a répondu : « Je suis un tueur, mon métier c’est de tuer les gens. »

Il a fini par se suicider dans sa cellule de prison, en s’asphyxiant avec un sac en plastique – exactement comme il l’avait fait pour tuer son père. Succo a une trajectoire d’une pureté incroyable. Contrairement aux tueurs en puissance – et il y en a beaucoup –, il n’a pas de motivations répugnantes pour le meurtre, qui est chez lui un non-sens. Il suffit d’un petit déraillement, d’une chose qui est un peu comme l’épilepsie chez Dostoïevski : un petit déclenchement, et hop ! c’est fini. C’est ça qui me fascine. »

Une part de ma vie, entretien de B.-M. Koltès avec E. Klausner et B. Salino, L’Événement du Jeudi, janvier 1989.

  • Note d'intention

Enfant, je croyais que quand je mourrais, le monde disparaîtrait en même temps que moi. Un jour, j’ai compris que non.

Roberto Zucco va mourir, il le sait, il le sent. Il a l’instinct de la mort. La sienne et celle des autres. Quinze tableaux comme les stations d’un chemin de croix. Quinze fois l’envie d’emmener le monde avec lui dans la tombe. Une montée vers le soleil pour Zucco, une descente aux enfers pour la gamine. À moins que ce ne soit l’inverse. Chaque chose est son contraire dans cette histoire.

Une mère est étranglée dans un baiser, une gamine violée apprend à aimer, un frère vend celle qu’il adorait et une soeur meurt d’avoir peur d’aimer. Personne ne sort indemne après l’avoir croisé. Il emporte une part de chacun avec lui, la vie de l’un, le pucelage de l’autre. La question de la morale ne se pose pas.

Roberto Succo était un fait divers. Roberto Zucco est un mythe. Une trajectoire d’étoile filante. Qui nous éclaire avant de s’éteindre.

Un agent secret qui « agit secrètement » sur ceux qu’il croise. Nous interroge sur nos pulsions, nos mécanismes. Nos images sombres et nos fantasmes inavouables. Nos désirs noirs et les forces complexes qui s’emmêlent en nous.

Et c’est ce que j’ai envie de voir sur le plateau. Comment la douceur et la violence, l’amour et la destruction, la vie et la mort peuvent exister, ensemble. Parce que l’un ne va pas sans l’autre. Et que d’interroger ça m’aide à l’accepter.

Pauline Bureau

  • Une trajectoire fulgurante

Polar déconstruit, Roberto Zucco est l’histoire de la cavale d’un meurtrier. Comme dans tout bon polar, il y a une énigme, mais contrairement au polar habituel, on sait, dès le début, qui est le tueur, et la déclaration finale de Zucco, « Je suis le meurtrier de mon père, de ma mère, d’un inspecteur de police et d’un enfant. Je suis un tueur », ne fait que reprendre ce qui a été donné à voir au spectateur. Et l’énigme devient un mystère, celui du passage à l’acte : pourquoi Zucco tue-t-il ? C’est ce mystère, qui demeure, que Koltès donne à voir au spectateur.

Peu avant, Koltès a traduit Conte d’hiver, et son texte s’étoffe de réminiscences shakespeariennes : Zucco apparaît aux gardiens comme le fantôme d’Hamlet, il proteste contre les mots qu’il « faut arrêter [d’]enseigner », la soeur est Ophélie… Mais le modèle s’inverse : si Hamlet est l’histoire de l’impossibilité mystérieuse de passer à l’acte, Roberto Zucco est pur passage à l’acte. Hamlet est un héros paradoxal, impuissant et dont l’impuissance reste mystérieuse, Roberto Zucco, double inversé, est un héros paradoxal, puissant mais dont la puissance qui se manifeste dans le passage à l’acte reste mystérieuse, parce qu’immotivée.

Le spectateur n’a pas accès à ce qui pourrait être l’intériorité du personnage, qui échappe dès lors à toute psychologie. Il n’a accès qu’à des discours contradictoires, ceux des autres personnages, pures fonctions, sur Zucco et de Zucco sur lui-même : il est « une bête sauvage, un malade, un cinglé, un fou, un démon, un beau garçon, au regard si doux, un diable, un jeune à l’esprit bien clair, un agent secret, un ami, un tueur de flics, si doux, si gentil, un beau gosse, à l’air timide, un homme de la race de ceux qui donnent envie de pleurer rien qu’à les regarder, un drôle de type, un chien, un trouillard, qui ne laisse à personne le temps de l’aider, un garçon normal et raisonnable, transparent, un rhinocéros, quelqu’un qui se fout de la gueule de tout le monde, Goliath, Samson ». Il n’est rien de cela et tout à la fois. Il est la somme des discours qui le prennent pour objet, sans qu’aucun d’entre eux ne soit vrai.

Contrairement à la tragédie antique ou classique, tragédie de la parole dans laquelle les personnages restent statiques, englués dans un lieu qu’ils ne peuvent quitter, Roberto Zucco est une tragédie de l’action, entièrement dynamique. Rien n’est déjà accompli, tout a lieu sous les yeux du spectateur. « Trajectoire fulgurante », Roberto Zucco est le spectacle de l’errance d’un homme qui tue, et d’un homme qui meurt. La pièce fait du personnage un mythe, selon le voeu de Koltès, mais un mythe moderne, qui a perdu son schéma explicatif et dont le sens transparent ne se donne plus à la communauté.

Tragédie moderne d’un écrivain mourant, la pièce dit quelque chose de l’impossibilité de rendre raison de la mort donnée et de la mort reçue, « petit déraillement » dont le sens se dérobe et que Koltès s’obstine à figurer.

Benoîte Bureau

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Informations pratiques

Cartoucherie - Théâtre de la Tempête

Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris

Accès handicapé (sous conditions) Bar Cartoucherie
  • Métro : Château de Vincennes à 1 km
  • Bus : Cartoucherie à 174 m, Plaine de la Faluère à 366 m
  • Navette : Sortir en tête de ligne de métro, puis prendre soit la navette Cartoucherie (gratuite) garée sur la chaussée devant la station de taxis (départ toutes les quinze minutes, premier voyage 1h avant le début du spectacle) soit le bus 112, arrêt Cartoucherie.

    En voiture : A partir de l'esplanade du château de Vincennes, longer le Parc Floral de Paris sur la droite par la route de la Pyramide. Au rond-point, tourner à gauche (parcours fléché).
    Parking Cartoucherie, 2ème portail sur la gauche.

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Plan d’accès

Cartoucherie - Théâtre de la Tempête
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Spectacle terminé depuis le dimanche 6 juin 2010

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