Heiner Müller, ce cannibale mangeur de classiques, s’intéresse là à « la nuit des corps ». Dans Quartett il s’empare des Liaisons dangereuses, fait éclater en théâtre le roman épistolaire de Laclos et démonte les ressorts des relations entre les sexes.
Merteuil et Valmont, héros noirs émergés du temps des Lumières, mènent leur dernière parade amoureuse. L’amour comme champ de bataille. Morceau d’intimité à coeur ouvert où l’amour se désosse à loisir. Müller mêle le sexe, le pouvoir et la mort dans ce texte au scapel.
Pierre Baux, Violaine Schwartz et Célie Pauthe avaient fait vivre pour nous, il y a trois ans, les mots de Francis Ponge dans Une figue de paroles et pourquoi. Les revoilà qui s’affrontent à ce texte terrible et magnifique. Ils ont imaginé pour cette danse de mort baroque un espace sans ombre et sans repli, un piège à ciel ouvert, blanc jusqu’au vertige. Dans cette lumière impitoyable, plus les corps sont exposés, plus ils sont contraints, plus le jeu des acteurs extériorise le plaisir de la joute amoureuse et verbale, plus le défi se fait cruel.
« Quand j’écris sur un sujet, quel qu’il soit, je ne m’intéresse qu’à son squelette. Ce qui m’a intéressé ici, c’est de dégager la structure des relations entre les sexes, de les montrer telles qu’elles me semblent vraies, et détruire les clichés, les refoulements. Même si je vis moi-même d’illusions dans ma vie sexuelle, je peux ne pas faire entrer ces illusions en ligne de compte quand j’écris. Mon impulsion fondamentale dans le travail est la destruction. Casser aux autres leur jouet. Je crois à la nécessité d’impulsions négatives. »
Heiner Müller
dans Textes et entretiens, L’Arche
« Je tiens à signaler ici combien cette très jeune femme a saisi les enjeux cruciaux de la partition de Müller, pour les donner à percevoir, nus et crus, palpitants, sur une scène cernée par un public légèrement ébaubi par tant de maturité sans peur.
Pierre Baux et Violaine Schwartz, usant de grâces perverses respectives, jetaient tout leur jus nerveux dans cette danse de mort d’insectes humains outrageusement fardés. »
Jean-Pierre Léonardini
L’Humanité, juin 03
17, boulevard Jourdan 75014 Paris