
En 2017, un poème d’André Chénier est mis au programme de l’agrégation de lettres. Apparemment, une pastorale, classique, désuète, impeccablement rimée. Un berger convoite une bergère. Elle se refuse. Il insiste. Elle finit par céder. Stupeur des candidat(e)s qui ne lisent pas une scène d’amour, mais de viol. Où finit le jeu du désir et de la séduction ? Où commence la violence sexuelle ? Et que faire, deux siècles plus tard, de cet objet littéraire devenu embarrassant ? À partir de 11 ans
À partir de 11 ans
Pour trancher, Bérénice Hamidi et Gaëlle Marti portent « l’affaire Chénier » sur scène. Autour de la plaignante et du poète, revenu d’entre les morts pour se défendre, elles convoquent magistrats, avocats, experts des Violences Sexistes et Sexuelles et spécialistes de littérature.
Mais c’est au public qu’il reviendra de juger. Car ce procès est bien, en définitive, notre procès à tous.
Notre Procès est un spectacle en deux temps : le temps des paroles expertes et le temps de la parole citoyenne.
Six jurés tirés au sort et formés rapidement, juste avant la représentation, délibèrent et rendent leur verdict.
Pourquoi sommes-nous tant attiré·es par les amours qui font mal ? D’où nous vient la croyance que les belles histoires, les plus grandes, les plus vraies, sont celles qui font souffrir et pleurer – qu’on les vive ou qu’on les lise ? À quel point ces deux questions sont-elles liées ? Quel rôle jouent les romans, les films, les chansons qui nous bercent depuis l’enfance dans cet imaginaire que nous avons toutes et tous incorporé ? Et que faire de ces expressions qui ont jailli depuis #MeToo et qui ont éclaboussé d’une lumière crue des parts obscures de nos vies : « zone grise », « culture du viol », « consentement » ? Comment faire avec les doutes et les abysses qu’elles ont ouvert chez beaucoup d’entre nous ? Notre procès est né au printemps 2020 en plein confinement, en même temps qu’une amitié qui s’est nouée autour de ces questionnements qui tout à coup se sont imposés à nous. Nous les avons pris de plein fouet sur tous les plans de notre vie : comme femmes vivant le passage de la quarantaine comme le temps d’un (r)éveil, comme parents de jeunes adolescent·es, comme enseignantes, comme citoyennes, comme lectrices et spectatrices aussi. Parce que nous sommes chercheuses, ce besoin de questionner nos expériences de vie et nos représentations s’est d’abord exprimé sous la forme d’un projet de recherche-action : REPAIR – changer les représentations, repenser les prises en charge des violences sexuelles. Mais s’est aussi imposée d’emblée l’évidence que ce projet était aussi l’occasion d’ouvrir, pour l’une et pour l’autre de rouvrir un espace que nous avions tenu fermé, verrouillé : celui de la formulation sensible de nos doutes, de nos espoirs, de notre colère aussi et même disons-le de notre « digne rage », comme disent les zapatistes. Rage face aux ravages que causent les violences sexuelles et pas seulement la pointe extrême des féminicides, de l’inceste et des « violences conjugales » mais aussi la lame plus fine des violences plus discrètes, des injonctions, des clichés sexistes et des intériorisations, qui lime et qui vole une part de nos vies, et qui entrave et fige nos désirs et nos plaisirs. Rage aussi face à la chape de silence et de déni qui pèse un peu moins lourd ces temps-ci, c’est vrai, mais qui pèse encore, sur les voix et les corps de celles et ceux qui osent parler. Rage enfin face à l’injustice criante, hurlante, du traitement de ces affaires par l’institution judiciaire. Dans ces affaires, on entend souvent l’injonction à « laisser la justice faire son travail » mais que fait la justice ? Que pourrait-elle faire ? Et nous, que faisons-nous ? Et que pourrions-nous faire différemment ? Parce que nous y croyons malgré tout, à la justice, que nous voulons y croire et que nous croyons aussi au pouvoir du théâtre, à sa capacité à porter des grands débats de société, nous avons rêvé un espace-temps de parole et d’écoute qui réunirait la scène et la salle en un corps collectif, bouches et oreilles ouvertes, un espace-temps où il deviendrait possible de dire et d’entendre autrement ces questions, qu’elles ne soient plus un bruit de fond qu’on veut chasser comme une nuisance sonore, où on pourrait… pas forcément réussir… mais au moins essayer de les comprendre ensemble, de les prendre avec nous, les faire nôtres, réaliser qu’elles nous concernent toutes et tous, qu’elles sont à nous, qu’elles sont en nous et qu’il est temps de les laisser résonner à l’air libre.
Bérénice Hamidi et Gaëlle Marti
D'utilité publique
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D'utilité publique
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