Molly Bloom

Paris 10e
du 14 au 24 janvier 2014

Molly Bloom

Un théâtre de l’incarnation
À travers le pari d’un théâtre de l’incarnation qui se joue des multiples résonances de la parole de Molly, l’actrice Anouk Grinberg qui s’empare du texte monstre de James Joyce se référant à Pénélope, relève le défi d’une écriture qui, relayant la parole d’une femme, se revendique de toutes les femmes.
  • Un monument de la littérature

Avec son roman Ulysse, James Joyce construit un monument de la littérature s’attachant à suivre les pas d’un simple démarcheur publicitaire nommé Léopold Bloom. La somptueuse démesure d’une odyssée d’une seule journée se déroulant dans la ville de Dublin au début du XXème siècle. Symphonie de mots témoignant du quotidien des pérégrinations d’un homme, l’œuvre trouve avec son dernier mouvement une coda au féminin via la fulgurante confession de son épouse, Molly.

Un texte d’une incroyable modernité où, sans user de la moindre ponctuation, James Joyce ignore les règles de la bienséance pour nous livrer sans pudeur le jaillissement de la pensée de Molly à l’état brut. Flux bouillonnant réunissant en accéléré les images de l’expérience d’une vie, ce débondage quasi analytique qui séduisit Karl Gustav Jung, prend la forme du corps insécable d’une unique phrase pour révéler dans son miroir les états d’âme de la jeune femme.

C’est cet ultime chapitre que le metteur en scène Lukas Hemleb a choisi de porter à la scène en le confiant à la très bouleversante Anouk Grinberg. À travers le pari d’un théâtre de l’incarnation qui se joue des multiples résonances de la parole de Molly, l’actrice qui s’empare de ce texte monstre se référant à Pénélope, relève le défi d’une écriture qui, relayant la parole d’une femme, se revendique de toutes les femmes.

  • Note d'adaptation

Quand il cherche à faire publier Ulysse au début des années 1920, James Joyce se heurte à bien des difficultés. Les imprimeurs londoniens puis britanniques refusent, crainte des saisies, des procès, de la prison même. Dans l’Angleterre de l’époque, le texte court le risque de poursuites judiciaires, pour cause d’obscénité. Il aura fallu le détour par Paris et le combat opiniâtre de deux femmes éditrices pour qu’Ulysse paraisse enfin, le 2 février 1922. Joyce y avait travaillé 7 ans.

Monument désormais incontesté de la littérature mondiale, le roman est encore tout enveloppé aujourd’hui des effluves de scandale qui ont accompagné sa mise au jour. À ce titre, « Pénélope », son dernier épisode, généralement connu sous le nom peu approprié de « monologue de Molly Bloom », est sans doute la pièce la plus accablante qui puisse être versée au dossier, puisqu’un chat y est appelé un chat. Difficile pourtant d’admettre que ce soit dans cette relative et légendaire liberté de vocabulaire que soit déposée la force d’impact inentamée qui vient frapper de plein fouet tout lecteur de ces soixante dernières pages du roman. Non, ce sont assurément de plus subtils et inoxydables rouages qui sont ici à l’oeuvre. Qu’en est-il alors de ce secret bien gardé ?

Deux mots d’abord, pour élucider la situation. Quand et où ? Dans la nuit du jeudi 16 au vendredi 17 juin 1904, vraisemblablement entre 2 et 5 heures du matin, dans la chambre conjugale de Leopold et Molly Bloom à Dublin. Leopold n’a pas une situation qu’on dira avantageuse : il enchaîne les petits boulots, placeur d’assurances, représentant en papier buvard, commis chez un marchand de bestiaux ou démarcheur publicitaire pour un quotidien local. Insolent et bavard, buveur patenté, il se mêle de politique, fricote avec les francs-maçons et les indépendantistes (les « Sinner Fein », comme les appelle Molly), se fait régulièrement débarquer, vit parfois d’expédients et tire de façon générale le diable par la queue. Molly est chanteuse, elle se produit dans des théâtres ou des cafés-concerts. À son répertoire, airs traditionnels irlandais, variété, mais aussi chant lyrique. Carrière sans véritable éclat. Dernier concert il y a plus d’un an. Leopold et Molly sont mariés depuis seize ans. Ils ont une fille, Milly, quinze ans, qui est apprentie chez un photographe quelque part en province.

Le couple vit étrangement, Leopold et Molly n’ayant plus de rapports sexuels « normaux » depuis des années, dix ou douze à bien compter, panne ou anomalie qui pourrait remonter à la mort de leur fils, onze jours après sa naissance. Ils dorment tête-bêche et pas assez d’argent pour que Molly ait « une chambre à soi ». C’est le milieu de la nuit. Leopold vient de rentrer après une journée entière de dérive dans Dublin : ayant enterré un compère de beuverie, il est allé à la bibliothèque vérifier si les statues des musées ont ou non des orifices, s’est perdu dans d’infinies discussions sur la religion et le nationalisme, s’est assis sur une plage où il a reluqué une jeune fille boiteuse, a fait étape au bordel, avant de revenir finalement chez lui avec Stephen Dedalus, jeune poète et futur professeur d’italien. Leopold a proposé au garçon passablement saoul de dormir à la maison, mais Dedalus ayant décliné l’invite, il est monté rejoindre le lit conjugal, où Molly, dans l’après-midi de ce même jour, a couché avec Boylan, un genre d’imprésario qui s’emploie à lui organiser une petite tournée de concerts en Irlande. C’est la première fois qu’elle trompe son mari. Tout indique que Leopold était averti de cette aventure et qu’il l’a peut-être favorisée, sans doute sa façon à lui d’aimer encore sa femme.

Léopold endormi à ses côtés, Molly ne retrouve pas le sommeil – et le flux, le flot ou le fleuve de s’épancher aussitôt, quelque chose qu’on a peine à nommer une parole, encore moins une pensée, stream of consciousness que Joyce déroule sans ponctuation ni pause, pour mieux épouser les complexités du labyrinthe et suivre au plus près le pas de celle qui l’explore, tantôt fulgurante et légère, tantôt ensablée ou ralentie.

À travers ses écarts et ses embardées, la houle des mots et des phrases dessine le progressif et chaotique avènement d’un être à soi-même, la conquête d’une vérité adéquate, fût-ce par les voies du mensonge – le mensonge n’étant jamais ici que ce menu baratin qu’on se fait, en toute bonne foi, à seule fin de survivre. Molly a trompé son mari, elle s’est trompée aussi, mais la boue peu à peu se dépose, des écailles tombent et ne subsistera plus, au bout de la nuit, qu’un goût de vivre enfin sans limites. L’amour, dans son sens le plus élargi et ouvert, l’amour qui embrasse tout est peut-être le fin mot de l’histoire, l’évidence immense et discrète que le scandale de ce texte abrite.

Jean Torrent

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Spectacle terminé depuis le vendredi 24 janvier 2014

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