Mein Kampf (Farce)

du 9 janvier au 2 février 2014
2 heures

Mein Kampf (Farce)

Vienne, la rue du Sang, au début du XXème siècle, Shlomo Herzl, un vieux juif écrasé par les préceptes de sa religion, s'attèle à la rédaction de son livre : Mein Kampf, son combat, sa bible pour un monde meilleur. Son monde : un asile de nuit pour clochards et mendiants, où surgit un étrange pensionnaire. Un certain Adolf Hitler, venu tenter le concours d'entrée aux Beaux Arts dans la capitale autrichienne…

Histoire
Vienne, au début du siècle
Extrait

Note d'intention

  • L’histoire

La Rue du Sang, à Vienne, dans les années 1900 et quelques. Shlomo Herzl, un vieux Juif vendeur de Bibles et de Kama Sutra, bavarde avec Dieu et se rêve en nouveau prophète. Dans son asile de nuit pour clochards et mendiants, en dessous de la boucherie de Frau Merschmeyer, il s’attèle à la rédaction de son chef-d’oeuvre, dont il n’a pour l’instant que le titre : « Mein Kampf ». Ce livre sera son combat, sa bible pour un monde meilleur. Surgit alors un jeune homme tout droit venu de Braunau-sur-Inn, un peintre sans talent qui s'apprête à tenter le concours d'entrée des Beaux-Arts. Un dénommé Hitler, personnage bavard et grossier, paranoïaque et vaniteux, pas encore nazi, mais de plus en plus antisémite. Peut-on aimer son ennemi comme soi-même ?

Shlomo pourrait voir le danger venir. Mais persuadé qu'il y a du bon en chacun, il ne verra dans le jeune Hitler qu'un homme comme lui, certain d’avoir une grande destinée, mais terrifié à l'idée d'échouer. Il le nourrira, le soignera, le consolera, l'arrachera à la Mort et l'aidera à accomplir son destin.

  • Vienne, au début du siècle…

« A Vienne, l’hiver 1900 et quelques ». Ainsi Tabori situe-t-il l’action de sa pièce. Si l’auteur reste imprécis quant à l’année exacte, c’est parce qu’il commet, il le sait, quelques inexactitudes historiques. Dans Mein Kampf (Farce), Hitler, jeune homme tout juste sorti de l’adolescence (il est né en 1889) et récemment orphelin, s’installe à Vienne, dans un asile de nuit pour sans-abris et marginaux. S’imaginant grand peintre, il s’apprête à tenter le concours d’entrée à l’Académie des beaux-arts.

n réalité, lorsqu’il arrive à Vienne et échoue à l’examen, en octobre 1907, Hitler n’a pas encore perdu sa mère (elle décède en décembre de la même année). Surtout, il mène une vie de petit bourgeois, oisive et confortable. Ce n’est que deux ans plus tard, quelques semaines avant Noël 1909, qu’il s’installera effectivement, crasseux et pouilleux, dans un asile de nuit pour sans-abris, après avoir dilapidé son argent.

Qu’importent ces libertés prises avec l’Histoire : la pièce de Tabori est une fable, pas un documentaire. S’il concentre tous ces évènements (l’échec, le décès de la mère et la déchéance sociale), c’est pour permettre la rencontre d’un Hitler haineux, rageur, au comble de la déroute, avec le vieux Shlomo Herzl, plein d’amour et de compassion, persuadé qu’il y a forcément du bon en chaque homme.

Une question se pose : au-delà du prétexte à la rencontre avec Shlomo, pourquoi Tabori a-t-il choisi de traiter de la période viennoise de la vie d’Hitler ? Pourquoi ne s’attaque-t-il pas, à la manière d’un Chaplin, au chancelier devenu dictateur ?

Les six années passées à Vienne ont été décisives dans la formation de l’antisémite obsessionnel que l’on connait. Avant son arrivée dans la capitale autrichienne, Hitler avait été un adolescent colérique, paranoïaque, imbu de lui-même et farouchement nationaliste. Mais jusqu’alors, il n’avait jamais manifesté de haine particulière à l’égard des Juifs. Or la Vienne du début du siècle est une ville puante d’antisémitisme. Son maire, Karl Lueger (« le plus éminent bourgmestre de tous les temps » selon Hitler), affirmait que l’antisémitisme qu’on lui reprochait parfois ne dépérirait que « lorsque le dernier Juif aurait péri ».

A Vienne, les Juifs représentaient près de 10% de la population. Proportionnellement surreprésentés dans les professions libérales, les affaires, les médias et les universitaires, certains dénonçaient en eux les exploiteurs capitalistes. Mais la ville comportait aussi une couche de Juifs pauvres, à qui d’autres reprochaient cette fois d’être de dangereux agitateurs marxistes. Pour des raisons différentes, les Viennois pouvaient donc voir en cette minorité la cause de tous leurs maux. C’est dans ce contexte qu’Hitler succombera à la haine raciale. Il se met à acheter des brochures antisémites. Son esprit associe désormais les Juifs à tout ce qui le révulse à Vienne : l’impureté, la saleté, la maladie. Sa haine prend bientôt la forme d’une théorie de la conspiration.

Voilà le jeune homme que Shlomo Herzl rencontre. Pas encore nazi certes, pas encore dictateur, et pas encore bourreau. Mais déjà dangereux. Voilà le jeune homme que Shlomo Herzl va recueillir, aider, soigner, et tenter de remettre dans le droit chemin. Shlomo Herzl est persuadé qu’il y a du bon en chacun. Voilà le jeune homme qui mettra fin à ses illusions.

  • Note d'intention

Le but de la poésie « Quel est le but de la poésie ? » A cette question, récurrente dans la pièce, Shlomo Herzl ne trouve jamais de réponse satisfaisante. Pourtant cette question n’est pas innocente : en filigrane, c’est Tabori, dont Herzl est l’alter-ego, qui s’interroge sur l’objet de sa propre écriture.

Quel est alors le but de la poésie de Tabori ? Est-elle un combat, une vengeance, une quête ? Mein Kampf (Farce) est avant tout un exorcisme, une grimace à l’Histoire. C’est un éclat de rire dévastateur que se permet l’auteur, luimême victime de la folie nazie. En opposant son double au jeune Hitler, Tabori s’offre une confrontation avec l’assassin de son père.

Mais une confrontation n’est pas un affrontement, et là est tout le génie de Tabori. Contre toute attente, le vieux Herzl ne s’oppose pas au jeune Hitler. Au contraire : il l’aime. « Toutes les bonnes histoires finissent avec la mort » Shlomo est un piètre disciple pour son Dieu. Il n’a de cesse de s’arranger avec la religion, il ne respecte pas les commandements (pourtant réduits au nombre de trois), il marchande en permanence avec Dieu, lui désobéît. Pour autant, il voudrait être un bon croyant. Mais seul un principe lui tient à coeur, et par-dessus tout : « aime ton prochain comme toi-même… même si ton prochain est ton bourreau ». Ainsi, dans son asile de nuit, il ne fait pas que recueillir le jeune homme : il le soigne, l’apaise, et le guide - puisque c’est ce qu’Hitler veut - vers son destin de dictateur.

L’humanisme d’Herzl poussé à bout et sa dérision omniprésente sont les armes que Tabori choisit face à l’Histoire qui devrait l’écraser.

  • Extrait

HITLER : Je vais te dire quelque chose, si tu me trahis, je t’enfourne comme un croissant. En réalité je ne veux pas être peintre. Je ne veux pas peindre le crépuscule. Ca n’est qu’une ruse tactique pour berner les idiots. Je veux quelque chose d’autre.

HERZL : Quoi par exemple ?

HITLER : Le monde.

HERZL : Ah bon. En entier ?

HITLER : Oui.

HERZL : Y compris la Nouvelle-Zélande ?

HITLER : Y compris et surtout la Nouvelle-Zélande.

HERZL : Qu’est-ce qu’elle a de si excitant la Nouvelle-Zélande ?

HITLER : Je ne sais pas mais je la veux.

HERZL : Adolf, sois raisonnable. Réfléchis à tout ce qu’entraine un territoire. Par exemple, la Russie, dix millions de Moujiks.

HITLER : On leur rasera la barbe.

HERZL : L’Angleterre, les pédés. L’Arabie, les sables. Et tous ces Noirs avec la nuit entre les jambes ?

HITLER : On les grattera jusqu’à ce qu’ils soient blancs. Ne me dérange pas avec des détails ! J’ai tout planifié, pas tout mais presque. Heinrich est ici, il est venu m’aider, un camarade d’école, un enculeur de mouches, un génie scientifique. Il est spécialiste en crâne, il sait comment les réduire à la taille d’une balle de ping-pong, maintenant il travaille sur comment réduire le reste. Les gens en général sont trop grands ou trop gras, ils vont finir par engorger les rues ; en réduisant leur taille on gagnerait beaucoup d’espace vital. Je veux rétrécir les gens autour de moi, les mettre en rang, et s’il le faut, les pousser pardessus bord. Une chose qui m’a toujours dérangé dans le monde, c’est qu’il est rond. Je n’aime pas les rondeurs, les choses rondes, c’est trop suave, ça me fait penser à, tu vois ce que je veux dire.

HERZL : Non.

HITLER : Ce monde continue à tourner en rond sans qu’on puisse s’en éjecter. Franchement ça n’a pas de sens, donc l’autre chose à laquelle il faudrait
penser, c’est la force de gravité. Je n’ai jamais beaucoup aimé la force de gravité, et toi ?

HERZL : Elle ne m’a jamais dérangé.

HITLER : Elle vous maintient collé à la fange, le nez au sol, vous empêche de pousser les petits hommes par-dessus bord. C’est un secret entre toi et
moi, mais je serais content de pouvoir, par un jour de pluie par exemple, ou par une longue nuit d’envols de chauves-souris, aligner tous ces gens rétrécis le long du bord, et pfffuit, les souffler comme des anges déchus dans le néant. On pourrait restructurer la rondeur du monde en un carré, comme un dé, ainsi les gens ne pourraient plus ramper sur cette rondeur et se balanceraient agrippés au bord, jusqu’à ce que je leur marche sur les doigts et youpi ! Ils tombent, en hurlant. Qu’est-ce que tu en penses ?

HERZL : C’est une innovation.

HITLER : Je t’ai eu ! Tu es tombé dans mon piège, espèce de pot de chambre, espèce de carpe farcie ! Tes plans machiavéliques sont dévoilés. Ton triomphe serait une danse de mort, cette pauvre planète tournant à vide dans l’éther, mais prends garde ! La nature est éternelle et se vengera inexorablement de toute transgression de ses lois. En te démasquant, j’ai agi pour la gloire du Tout-Puissant. Immortalité, sois mienne. Judée, crève une bonne fois, amen. Si tu glisses un seul mot de notre conversation secrète dans ton livre, je répandrai tes cendres aux quatre vents et je ne te parlerai plus jamais. Je vais me coucher.

George Tabori, Mein Kampf (Farce), Acte II Traduction d’Armando Llamas Actes Sud - Papiers 13

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Spectacle terminé depuis le dimanche 2 février 2014

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