M. Teste

Paris 19e
du 1 octobre au 9 novembre 2002

M. Teste

Il y a des œuvres qui font vibrer le temps, vers l’amont et vers l’aval. C’est le cas, par exemple, de M. Teste. Voici quelqu’un qui agace les gencives et chatouille les osselets sans pourtant blesser la parole et l’écoute. Il les met, au contraire, en alerte. Son « moi » apparaît quand il se met à disparaître d’abord à lui-même et sans souci des autres. Onirique, planant, aigu, vainqueur ou vaincu d’avance (il ne se range sous aucune bannière), il est cet homme subtilement quelconque, nul et tranquille « comme s’il avait rencontré le seigneur d’une matière qui s’appelle encore le néant ».

M. Teste, ou : il y a quelque chose à entendre
M . Teste à l’opéra 

Il y a des œuvres qui font vibrer le temps, vers l’amont et vers l’aval. C’est le cas, par exemple, de M. Teste. Voici quelqu’un qui agace les gencives et chatouille les osselets sans pourtant blesser la parole et l’écoute. Il les met, au contraire, en alerte. Son « moi » apparaît quand il se met à disparaître d’abord à lui-même et sans souci des autres. Onirique, planant, aigu, vainqueur ou vaincu d’avance (il ne se range sous aucune bannière), il est cet homme subtilement quelconque, nul et tranquille « comme s’il avait rencontré le seigneur d’une matière qui s’appelle encore le néant ». 

Passer de l’UN au quelconque n’est pas une mince affaire. Le XXè siècle s’y est essayé (le nôtre semble encore le tenter), en se fourvoyant plus volontiers dans la masse ou l’individu. Nous sommes en effet encore très loin de pouvoir nous imaginer comme êtres pluriels avant que d’être singuliers, de nous savoir avec avant que de nous croire uniques. C’est une question de forme de la pensée, laquelle est pavée de carrefours.

M. Teste ne craint pas l’effort, alors il marche dans Paris, et surtout la nuit. Il arrive parfois qu’un quidam le croisant, intrigué par son total anonymat, suive ses pas. C’est le cas d’un ami, étrange double narcisse, mémoire brumeuse de moments nocturnes et incertains. Le malheureux court alors à sa perte (et le mot est à prendre strictement !). Chaque pas le conduit au doute, à l’égarement dans une trame aux fils si fragiles que seule la puissance vitale d’un démon – car M. Teste est un démon ! - peut en maintenir le tissage. Il va découvrir qu’il est possible de refuser de pouvoir se considérer comme autre chose que des choses… 

Émilie, épouse et sage (une autre Pénélope ou Ariane), sait seule se maintenir à distance, c’est-à-dire dans l’amour ; il y a chez elle « une belle partie de l’âme qui peut jouir sans comprendre ». Elle est la meilleure des spectatrices, celle pour qui les choses trop élevées ne sont pas ennuyeuses à entendre puisqu’elle y trouve « un enchantement presque musical. » Quand on sait la passion de Valéry pour la poésie de Mallarmé ou d’Edgard Poe, pour la musique de Debussy, alors on n’est pas surpris.

C’est par la promenade avec M. Teste que l’aventure peut se jouer. Aussi ai-je choisi de croiser des chemins empruntés dans plusieurs textes, tous rassemblés sous le titre de « M. Teste » par Paul Valéry, mais écrits à des époques différentes : « La soirée » et « La lettre d’Émilie Teste », œuvres de jeunesse ; « La promenade », et la « Fin de M. Teste », composées dans la vieillesse. 

De même qu’aucun de ces textes n’ait été écrit pour le théâtre (mais plusieurs fois et dans plusieurs adaptations ils furent portés à la scène), de même M. Teste est un personnage impossible (« et c’est d’ailleurs son âme que cette question », nous signale Valéry). À trop vouloir théâtraliser, à vouloir incarner M. Teste, c’est se condamner à ne rencontrer ni le texte, ni sa pensée. De même pour Émilie, dont la parole est une lettre, et qui « n’existe » que dans la littérature. Les acteurs seront donc témoins, ou amis de passage. Il appartient d’abord à la lumière comme à la musique de créer l’espace de la représentation, ou plutôt de l’écoute. Aux acteurs à s’y glisser et inviter d’autres à faire de même. Entendre est plus difficile que d’écouter, comme pour Émilie cela suppose de renoncer à comprendre pour commencer à aimer.

Claude Bernhardt

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LUI (l’ami et témoin) - Ce soir, il y a précisément deux ans et trois mois que j'étais avec M. Teste au théâtre, dans une loge prêtée. J'y ai songé tout aujourd'hui.
Je le revois debout avec la colonne d'or de l'Opéra ; ensemble.
Il ne regardait que la salle. Il aspirait la grande bouffée brûlante, au bord du trou. Il était rouge.
Une immense fille de cuivre nous séparait d'un groupe murmurant au-delà de l'éblouissement. Au fond de la vapeur, brillait un morceau nu de femme, doux comme un caillou. Beaucoup d'éventails indépendants vivaient sur le monde sombre et clair, écumant jusqu'aux feux du haut. Mon regard épelait mille petites figures, tombait sur une tête triste, courait sur des bras, sur les gens, et enfin se brûlait.
Chacun était à sa place, libre d'un petit mouvement. Je goûtais le système de classification, la simplicité presque théorique de l'assemblée, l'ordre social. J'avais la sensation délicieuse que tout ce qui respirait dans ce cube allait suivre ses lois, flamber de rire par grands cercles, s'émouvoir par plaques, ressentir par masses des choses intimes, - uniques, - des remuements secrets, s'élever à l'inavouable ! J'errais sur ces étages d'hommes, de ligne en ligne, par orbites, avec la fantaisie de joindre idéalement entre eux tous ceux ayant la même maladie, ou la même théorie, ou le même vice… Une musique nous touchait tous, abondait, puis devenait toute petite. Elle disparut. 
M. Teste murmurait : "On n'est beau, on n'est extraordinaire que pour les autres ! Ils sont mangés par les autres !" Il ne perdait pas un atome de tout ce qui devenait sensible, à chaque instant, dans cette grandeur rouge et or. Je regardai ce crâne qui faisait connaissance avec les angles du chapiteau, cette main droite qui se rafraîchissait aux dorures ; et, dans l'ombre du pourpre, les grands pieds. Des lointains de la salle ses yeux vinrent vers moi ; sa bouche dit : "La discipline n'est pas mauvaise… C'est un petit commencement… -Je ne savais répondre - Qu'ils jouissent et obéissent !"

ELLE (la liseuse et témoin) - M. Teste dit - "Le suprême les simplifie. Je parie qu'ils pensent tous, de plus en plus, vers la même chose. Ils seront égaux devant la crise ou limite commune. Du reste, la loi n'est pas si simple… puisqu'elle me néglige, - et – je suis ici. 
L'éclairage les tient. »

LUI - Je dis en riant - « Vous aussi ? »

ELLE - Il répondit - « Vous aussi. »

LUI - Quel dramaturge vous feriez ! lui dis-je, vous semblez surveiller quelque expérience créée aux confins de toutes les sciences ! je voudrais voir un théâtre inspiré de vos méditations... »

ELLE - Il dit - « Personne ne médite. »

LUI - L'applaudissement et la lumière complète nous chassèrent. Nous circulâmes, nous descendîmes. Les passants semblaient en liberté. M. Teste se plaignit légèrement de la fraîcheur de minuit. Il fit allusion à d'anciennes douleurs.

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Spectacle terminé depuis le samedi 9 novembre 2002

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