
"Sacrées ou non, ces bonnes sont des monstres... Sans pouvoir dire au juste ce qu’est le théâtre, je sais ce que je lui refuse d’être : la description de gestes quotidiens vus de l’extérieur." Jean Genet
En 1981, Michel Mathieu monte avec succès Les Bonnes, un huis-clos infernal tramé par Jean Genet à partir d’un fait-divers sanglant et scandaleux, le meurtre d’une maîtresse par ses domestiques dociles : les soeurs Papin. Vingt-huit ans après, Claire, Solange et Madame, incarnées par les mêmes actrices, rejouent "l’office funèbre"...
"Remonter Les Bonnes ?" je me suis accroché à ma chaise lorsque Jacky Ohayon m’a fait cette suggestion, quant aux trois actrices elles ont cru à une plaisanterie, après 28 ans...
Cette idée folle m’a séduit, par son incongruité même, et le défi que cela supposait. Que pouvait-il rester d’une réalisation marquée par sa couleur provocatrice, noire, avec son inspiration "punk" après la longue traversée des années roses mitterandiennes, jusqu’à ces jours présents avec leurs cortèges de secousses planétaires arrosées du jus sucré des pipolisations médiatiques ?
Comment creuser l’attitude en l’ajustant au pouls de ce début de siècle ? Stimulant !
Et à quel endroit les actrices, alors à la lisière du métier, aujourd’hui dans leur maturité artistique, pourraient-elles réinvestir le territoire de cet office funèbre et rentrer dans l’arène ? La joute, on l’imaginera sans doute moins fougueuse, mais, sur les ailes du grand rire silencieux de Genet, on pourra peut-être s’y lâcher plus loin... jusqu’au vertige des profondeurs.
Michel Mathieu
« Furtif. C’est le mot qui s’impose d’abord. Le jeu théâtral des deux actrices figurant les deux bonnes doit être furtif. Ce n’est pas que des fenêtres ouvertes ou des cloisons trop minces laisseraient les voisins entendre des mots qu’on ne prononce que dans une alcôve, ce n’est pas non plus ce qu’il y a d’inavouable dans leurs propos qui exige ce jeu, révélant une psychologie perturbée : le jeu sera furtif afin qu’une phraséologie trop pesante s’allège et passe la rampe. »
« Sacrées ou non, ces bonnes sont des monstres, comme nous-mêmes quand nous nous rêvons ceci ou cela. Sans pouvoir dire au juste ce qu’est le théâtre, je sais ce que je lui refuse d’être : la description de gestes quotidiens vus de l’extérieur : je vais au théâtre afin de me voir, sur la scène (restitué en un seul personnage ou à l’aide d’un personnage multiple et sous forme de conte) tel que je ne saurais – ou n’oserais- me voir ou me rêver, et tel pourtant que je sais être. Les comédiens ont donc pour fonction d’endosser des gestes et des accoutrements qui leur permettront de me montrer à moi-même, et de me montrer nu, dans la solitude et son allégresse. »
Jean Genet - Les Bonnes, Editions l’Arbalète, 1976
Quai Albert Bessière 46100 Figeac