P'tit Molière 2017 du meilleur comédien 2ème rôle : Bertrand Mounier.
1929, dans un petit village de l’ouest américain. C’est la crise. George Dandin, jeune propriétaire terrien fortuné, rêve d’un beau mariage qui lui apporterait amour et distinction sociale. M. et Mme de Sotenville, aristocrates de vieille souche, se retrouvent ruinés par le krach boursier. Marier leur jeune fille Angélique à George Dandin leur permettrait de renflouer leurs caisses. Alors que la fête foraine du village bat son plein, George Dandin déchante : Angélique envisage le mariage tout à fait autrement. Alors qu’il tente de revenir sur sa parole, ses futurs beaux-‐parents restent férocement déterminés et parviennent à lui imposer cette union. Le voilà pris au piège. Quelques années plus tard, la situation s’est dégradée. L’illusion a fait place à l’amertume. Angélique, prisonnière elle aussi de ce mariage, fréquente en cachette le jeune noble Clitandre, son premier amour revenu au pays. George Dandin, jaloux et malheureux, tente par tous les moyens de prouver la tromperie de sa femme à ses beaux-parents, et ainsi mettre fin à son mariage. En vain. Celui qui désirait le bonheur bascule dans un engrenage infernal de chagrins et d’humiliations.
Allier Le Mariage forcé et George Dandin de Molière nous est apparu comme une évidence. En effet, si la première oeuvre traite d’un mariage d’abord désiré puis imposé à Sganarelle, la seconde expose les humiliations subies par George Dandin aux lendemains d’un mariage mal assorti. Un même thème abordé de deux façons différentes, dans un registre qui mêle tour à tour la farce et le drame. Adapter ces deux pièces pour n’en faire qu’une nous permet de sortir du déterminisme de chacune d’elles et d’y apporter une dimension supplémentaire : un « avant » et un « après-mariage ». Ici, George Dandin devient la conséquence du Mariage forcé. Ce qui nous intéresse, c’est la façon dans laquelle la détresse sociale ou/et économique conditionne les comportements. L’argent (ou son manque) engendre violence et provoque des choix faits, le plus souvent, pour de mauvaises raisons. Ici, le mariage est l’illustration de ce choix : Choix d’intérêt de M. et Mme de Sotenville que subit leur jeune fille Angélique, et le choix regretté de Dandin, qui espérait de cette union reconnaissance et affection. Dans notre version, Dandin est jeune (contrairement au « vieillard » Sganarelle du Mariage forcé, où la différence d’âge est le problème majeur.) Le problème ici n’est plus l’âge, mais les différentes conceptions du mariage : « traditionnelle » de Dandin, « progressiste » d’Angélique, et celle purement d’intérêt des beaux-parents, prêts à tout pour arriver à leur fin.
Nous avons pris la liberté de transposer la pièce dans un contexte historique particulier : la Grande Dépression, période de crise économique, écologique et sociale. Crise qui de surcroît résonne terriblement à notre époque. Un gamin vendeur de journaux ponctuera le spectacle pour nous rappeler différentes actualités de cette sombre période.
Notre première partie se situe dans l’espace fascinant de la fête foraine, lieu de l’étrange et du divertissement. On y rencontre soeurs siamoises, magicien, nain colérique et autres personnages de foire. Nous avons en mémoire la très esthétique série télévisée Carnivale et le film Freaks de Tod Browning (1932). C’est dans cette atmosphère décalée et sombre que George Dandin se retrouve contraint d’épouser Angélique.
La deuxième partie traite de l’évolution chaotique de ce mariage quelques années plus tard. Angélique, devenue femme, est confrontée au retour de Clitandre, son premier amour. Dandin, lucide et amer, subit une véritable crise psychologique. Ici, la grande dépression est à entendre aussi en terme médical : la dépression nerveuse, le burn-out de Dandin qui sombre progressivement dans la solitude, la misère sociale et affective.
Pour les costumes, nous nous inspirons directement des années 1930. Nous pensons par exemple aux Raisins de la colère de John Steinbeck (1939) et du film de John Ford qui en est tiré. Les Sotenville, désargentés mais toujours d’allure noble, sont d’abord dépourvus de signes de richesse (La crise a dû les obliger à s’en défaire). Dans la seconde partie, leurs costumes seront flambants neufs, et Angélique sera couverte de bijoux, grâce à l’argent de George Dandin.
L’élément fondamental de la scénographie sera la lumière. Elle isolera les différentes attractions de la fête foraine, dessinera les portes et fenêtres de la maison de Dandin. Elle nous permettra aussi quelques clins d’oeil aux années 30, notamment dans l’acte 3, quasiment muet, qui se référera, par sa musique et son éclairage, au slapstick burlesque de Chaplin ou Keaton.
Enfin, l’univers sonore sera capital. Il sera empreint de cette époque : jazz, musique de foire, films muets, et les premiers élans du Swing. Néanmoins, quelques partitions classiques seront également présentes : la Bourrée du mariage forcé de Lully et Cold Song tiré du semi-opéra King Arthur de Purcell que nous adapterons pour accompagner les monologues de Dandin. Quelques effets sonores seront également essentiels, notamment au dernier acte où pluie et orage accompagneront Dandin lorsqu’il se tourne vers le fanatisme et s’adresse aux astres.
Le Mariage forcé de George Dandin trouve une forte résonance à notre époque où les limites de notre système capitaliste se font tellement sentir. Nous vivons au coeur d’une crise économique et humaine où les choix les plus importants sont souvent faits pour de mauvaises raisons et où la femme est encore utilisée comme un instrument. Pourtant, bien que nous soyons au coeur d’un drame, l’écriture de Molière et les traits de caractères extravagants (ou subtils) de ses personnages nous poussent également - et heureusement – au rire : le ridicule est pointé, l’humour y est féroce. Molière demeure notre contemporain.
« Pas la peine de chercher la petite bête : tout fonctionne à merveille dans ce spectacle riche en trouvailles et qui fera forcément l'unanimité. » Froggydelight
« Les comédiens Léa Dauvergne, Benjamin Duc, Anne-Sophie Liban, Bertrand Mounier ainsi que Matthias Fortune Droiulers et Ivan Herbez qui signent aussi la mise en scène se donnent sans compter et rendent l’aventure plus que plaisante. » l'Humanité
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