La bonne âme de Se-Tchouan

du 4 mars au 3 avril 2004
3H20

La bonne âme de Se-Tchouan

En quête d'une bonne âme, les dieux descendus quelque part en Chine élisent comme hôte Shen Té, jeune prostituée. Elle seule, dans tout le Se-Tchouan, a accepté de les accueillir. Mais son altruisme et sa générosité attisent les rancoeurs d'une population envieuse, jalouse. Autour de Shen Té, vauriens et vautours fourmillent.

L'heureuse élue
On rapporte une curieuse histoire

Irina Brook, tardif amour pour Brecht

En quête d'une bonne âme, les dieux descendus quelque part en Chine élisent comme hôte Shen Té, jeune prostituée. Elle seule, dans tout le Se-Tchouan, a accepté de les accueillir. Mais son altruisme et sa générosité attisent les rancoeurs d'une population envieuse, jalouse. Autour de Shen Té, vauriens et vautours fourmillent. Pour se défendre de ses ennemis et de la menace, la jeune femme s'invente un cousin, Shui Ta ; être revêche et impitoyable en qui elle se travestit. Elle s'éprend d'un aviateur qu'elle sauve du suicide, mais devient un homme à poigne pour se tirer des mauvaises passes, leurres de l'amour et abus de pouvoir.

Fin des années 30, pendant ses années d'exil aux États-Unis, Brecht dépeint une société peuplée de séducteurs cyniques, de dieux flemmards et de barons calculateurs, où la bonté même se double d'un esprit vengeur. L'homme seul, loup pour l'homme et pour lui-même, possède les armes de sa rédemption sociale. La parabole est créée à Zurich en 1943.

Soixante ans plus tard, dans un terrain vague, la bonne âme de Se-Tchouan lutte à nouveau pour sauver ses semblables ou les confondre, tiraillée entre le meilleur et le pire de la comédie humaine. "La question ne cesse pas de se poser, rapporte Irina Brook : peut-on encore placer des espoirs en l'homme ?"

La metteur en scène confie le double rôle de Shen Té/Shui Ta à Romane Bohringer qu'elle dirigeait en 2001 dans La Ménagerie de verre. Avec Juliette et Roméo, d'après Shakespeare, Danser à Lughnasa de Friel ou Une bête sur la lune de Kalinoski, l'art d'Irina Brook s'est distingué par sa profonde générosité, sa vivacité et son intelligence ludiques, "un théâtre où se mélangent toutes les formes, la chanson, la danse, le conte, à une sincère envie de changer le monde, tout en préservant une ironie féroce."

Pierre Notte

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Un fabricant de tabac de la capitale, monsieur Lao Go, a été traduit en justice sous l’inculpation d’avoir assassiné sa cousine, une demoiselle Li Gung. Cette demoiselle Li Gung jouissait, comme le prouvèrent les dépositions des témoins, de la réputation d’une « bonne âme » auprès du bas peuple des faubourgs. Elle avait même reçu ce titre romantique : « l’ange des faubourgs ». A l’origine, simple fille des rues, elle était entrée en possession d’un petit capital, grâce, disait-on, à un présent des dieux. Elle s’était achetée un débit de tabac, mais qu’elle avait géré d’une manière si désintéressée qu’il se trouvait déjà, après peu de jours, au bord de la ruine. Elle entretenait dans le quartier surpeuplé et très pauvre une série de gens et se montra même tout à fait hors d’état de refuser asile dans sa toute petite boutique à une famille de neuf têtes qu’elle connaissait à peine. Mais peu avant la catastrophe apparut un jeune homme ; il se présenta aux divers pique-assiette comme le cousin de la demoiselle Li Gung et au prix d’une rude intervention remit tant bien que mal en ordre ses affaires embrouillées. Un incident précis éclaire sa manière de faire. La famille envoya un adolescent voler des bouteilles de lait sur le pas de la porte des voisins. Le cousin n’éleva de protestation d’aucune sorte mais appela alors un policier dans la boutique et s’entretint avec lui aussi longtemps que le garçon revienne avec le lait volé. Les hôtes furent aussitôt emmenés au poste, et mademoiselle Li Gung fut débarrassée d’eux. La demoiselle elle-même se tint à l’écart, tandis que le cousin sauvait l’affaire.

Lorsqu’elle revint de nouveau et que le cousin, monsieur Lao Go, se fut éloigné, elle ne reprit ses activités charitables qu’à une échelle seulement très réduite. Mais à la place elle entra en relations intimes avec un pilote de l’aéropostale sans situation, un certain Yü Schan, qu’elle avait, comme on se le chuchotait dans le quartier, préservé d’une tentative de suicide. Son souhait de l’aider à obtenir par un prêt une situation de pilote de l’aéropostale à Pékin, ne se réalisa pas, il est vrai, car sa boutique n’était tout de même pas la mine d’or, comme étaient considérées d’ordinaire par le public de pareilles petites affaires. Les méthodes entravées par peu de considérations humanitaires du dénommé « roi du tabac du Se-Tchouan », monsieur Feh Pung, menaçaient aussi sa boutique. Comme dans son voisinage immédiat avait été ouverte l’une des succursales de monsieur Feh Pung, où l’on achetait du tabac à moitié prix, elle appela de nouveau à l’aide son cousin, sur le conseil de tout le monde. Celui-ci savait en effet…

Déjà, lors de sa première visite, le cousin leur avait dissimulé que la boutique avait reçu dès le premier jour un avertissement de Feh Pung ; c’est seulement ainsi qu’il avait été admis dans leur association d’assistance mutuelle. Il prenait désormais en charge leur tabac, qui devrait lui permettre de tenir bon, mais en même temps il négociait avec Feh Pung et amenait le roi du tabac à faire pour cette boutique une offre exceptionnelle aux dépens des autres.

Cependant, il hésitait à satisfaire le souhait de sa cousine d’acheter à son amoureux Yü Schan la situation souhaitée, ce qui lui aurait été possible moyennant la vente de la boutique. Ce Yü Schan laissait entrevoir vis-à-vis de lui, par trop crûment semblait-il, qu’il spéculait sur l’argent de Li Gung. Au lieu de faciliter les choses à Yü Schan, l’avisé monsieur le cousin arrangea un mariage de raison entre mademoiselle Li Gung et le fortuné monsieur Kau, un barbier. A ce qu’il paraît, il n’avait assurément pas mesuré l’ascendant de Yü Schan sur sa cousine. Le pilote réussit, quoi qu’il en soit, à s’assurer de sa totale confiance, et à la pousser à un mariage d’amour avec lui.

Ce mariage fournit toutes sortes de sujets de conversation aux faubourgs, étant donné qu’il ne se fit jamais. C’est que les petits marchands de tabac, qui avaient eu vent de ce plan de monsieur Lao Go de livrer à ce roi du tabac la boutique de Li Gung maintenue par eux tous ensemble à flot, obtinrent de Li Gung, sans grand-peine, qu’elle contrarie ce projet. Cette fois échoua complètement l’ascendant de son amoureux. Monsieur Lao Go, auquel il fit appel pour « mettre à raison » sa cousine, ne se montra pas, et Li Gung s’avoua profondément blessée par la manière de faire de Yü Schan, et elle ne lui cacha pas que son cousin le tenait pour un coureur de dot et un mauvais sujet, sur quoi toute la noce vola en éclats.

Si le quartier n’avait pas été tellement sous le charme de son « ange des faubourgs », il aurait dû deviner probablement à ce moment-là, et peut-être déjà auparavant, l’état de choses étonnant qui était à la base de tout cela : monsieur Lao Go n’était personne d’autre que mademoiselle Li Gung elle-même. En avisé « cousin », elle rendait possible, par des manipulations pas toujours sans inconvénient, les bonnes actions qui lui valaient tant d’admiration.

Cet état de choses resta cependant encore longtemps dissimulé au Se-Tchouan. Les marchands de tabac ne bénéficièrent malheureusement plus du dévouement de Li Gung. Le peu de temps qu’elle avait consacré à sa tentative de mariage avait suffi à faire naître des doutes sur sa loyauté. Les marchands de tabac, gâchant eux-mêmes les prix mutuellement, avaient livré leurs boutiques au roi du tabac, conformément au beau refrain : «  Les chiens s’attaquent au dernier ». Mais Li Gung avait été obligée, en face d’un vieil ami, le marchand d’eau Sun, d’avouer qu’elle se croyait enceinte. Sa détresse était grande. Sa boutique se trouvait désormais au bord de la ruine définitive. Pour la troisième - et, comme cela apparut, pour la dernière fois, le cousin surgit. Il avait la tâche de sauver le débit de tabac pour l’enfant attendu, à qui allait désormais tout l’amour de la jeune fille. Il ne montrait aucune sorte d’hésitation pour ce qui était du choix des moyens. Exploitant financièrement l’admiration du barbier pour sa « cousine » et en même temps la confiance de nombreuses petites gens dans l’« ange des faubourgs », il aménagea une baraque-étuve de la plus fâcheuse espèce, où les anciens protégés et collègues travaillèrent le tabac pour un salaire de famine. Yü Shan aussi, le père de l’enfant, il l’attela au travail, au bénéfice de cette affaire rapidement florissante. Avant sa troisième disparition, Li Gung avait promis à la mère du pilote une situation pour son fils, où celui-ci « pourrait s’amender par un travail honorable ».

Sous la rude poigne de monsieur Lao Go, il devint garde-chiourme dans la nouvelle fabrique. Comme employé, nous le trouvons en permanence près de monsieur Lao Go. Aussi ces relations finirent-elles par devenir fatales à monsieur Lao Go. De petits cadeaux occasionnels de caractère privé amenèrent Yü Schan à soupçonner que Monsieur Lao Go maintenait prisonnière sa cousine dans un réduit derrière la boutique. Il engagea des tentatives de chantage, auxquelles le marchand de tabac ne se prêta naturellement pas. Finalement le déçu alla chercher la police, et l’on découvrit dans le réduit tous les vêtements et affaires de Li Gung disparue. Monsieur Lao Go ne peut prévenir l’accusation d’homicide que par un aveu sans détours du véritable état des choses : son identité avec mademoiselle Li Gung. Lao Go se retransforme, devant le tribunal ébahi, en Li Gung : le fléau des faubourgs et l’ange des faubourgs étaient une seule et même personne. La méchanceté était un envers de la bonté, de bonnes actions n’étaient rendues possibles que par de mauvaises actions - bouleversant témoignage de la situation malheureuse de ce monde.

L’événement, dont on rit beaucoup au Se-Tchouan, connaît un éclairage poétique grâce aux assertions d’un marchand d’eau : le capital de départ de Li Gung lui aurait été en effet remis par trois dieux qui lui auraient dit qu’ils cherchaient au Se-Tchouan une bonne âme, et qui lui seraient apparus aussi plusieurs ois en rêve pour s’enquérir des actions de la bonne âme. Il prétend avoir reconnu ces dieux dans les juges devant qui le secret va être finalement dévoilé. On peut admettre que ces dieux, quels qu’ils puissent être, auront en tout cas constaté avec quelque étonnement comment on s’y prend au Se-Tchouan pour être une bonne âme.

Bertolt Brecht, Ecrits sur le théâtre,
Arche Editeur, 1979

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La vision du Cercle de craie a été pour elle un éblouissement, la lecture de la Bonne âme un coup de foudre.

Fidélités artistiques
« Jamais je n’ai pensé que j’étais faite pour aborder l’auteur allemand, avoue la metteuse en scène. Je partageais volontiers, sans bien le connaître, les réserves de ceux qui le jugeaient trop aride et intellectuel. Ceci jusqu’au jour où j’ai découvert le Cercle de craie caucasien, dans la mise en scène de Benno Besson. La réussite magistrale de ce spectacle - le plus beau qu’il m’ait été donné de voir depuis longtemps - a accéléré ma conversion, faisant tomber un à un mes a priori. Je découvrais à mon tour, grâce à Benno, un Brecht humain, drôle, touchant ; et plus encore un homme de théâtre accompli, qui affectionnait la comédie musicale, le rapport au public, l’ouverture vers différentes formes d’expressions artistiques, notamment la danse et le cabaret. » Bref, sans le savoir, Irina Brook se sentait « brechtienne dans l’âme et le cœur », en quittant, un certain soir d’avril 2001, le Théâtre de la Colline à Paris.

Restait à trouver la bonne pièce qui puisse servir de terrain de jeu à de telles affinités. Le coup de foudre a été immédiat de la lecture de la Bonne âme du Setchouan. « J’aime son côté fable moderne, son mélange de cynisme et de naïveté. En même temps, Brecht se montre sous un jour nouveau : il est à la fois sentimental et romantique. » Pour la première fois, il ose une scène d’amour pudique et presque silencieuse entre l’héroïne Shen-Te, « la bonne âme », « l’ange des faubourgs », et Yang-Soun, « l’aviateur sans avion », « le courrier postal sans courrier », alors que jusque-là dans son œuvre l’amour n’avait été montré que comme une dérision, une destruction, comme l’image même de l’impossible. « En réalité, Brecht était fasciné par Hollywood », commente Irina, pressée de retrouver sur scène son actrice fétiche, Romane Bohringer. « Le rôle, construit sur la dialectique entre deux identités qui s’opposent constamment, a été écrit pour elle. Mais l’importance de la distribution, une quinzaine de personnages, m’a obligée à chercher des comédiens un peu partout. »

Travailler chaque mot
Sans pour autant renoncer aux fidélités artistiques qui ont contribué au succès des précédents spectacles. En particulier celle qui lie Irina Brook à Marie-Paule Ramo, déjà chargée de la traduction de Roméo et Juliette. « J’ai commencé par lire la Bonne âme dans ma langue maternelle, précise la metteuse en scène. L’anglais est plus vigoureux et moins précieux que le français. Avec Marie-Paule, on travaille sur chaque mot, en cherchant les meilleurs équivalents possibles dans notre manière de parler actuelle, afin que rien ne soit librement traduit, mais au contraire toujours justifié par la réplique originale.

Propos recueillis par Thierry Mertenat, supplément de 24 heures, septembre à décembre 2003

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Sélection d’avis du public

La bonne âme de Se-Tchouan Le 4 mars 2004 à 16h19

Ce spectacle est une pure merveille. Irina Brook a énormément de talent. Romane Bohringer est une grande comédienne. Elle est immense ici. Quel beau spectacle! Quelle fantaisie! Le Théâtre est souvent tellement anecdotique par rapport à ce qui se passe dehors. Ici, il remplit son rôle, et rend, un temps, meilleur.

La bonne âme de Se-Tchouan Le 21 novembre 2003 à 09h14

jeudi 20 novembre 2003-Maison de la culture de Nevers(58)- Je suis élève de Lycée et j'ai été voir ce spectacle hier soir. J'ai été comblé!!En premier par l'interprétation de Romane Bohringer. Je ne l'avais jamais vu au théâtre et j'ai été agréablement surprise!!Elle donnait tout ce qu'elle avait dans les trippes. Son changement de personnage étais radicale et sa voix sublime. Je ne connais que le nom du personnage principale, mais les autres acteurs ont autant donnés. Le marchand d'eau était vraiment touchant. ce spectacle ma vraiment plus et j'invites tout les amateurs de chant, de théâtre et de dance a courrir aller le voir, car la mise en scène était exceptionnelle. Courrer zi!!!!

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La bonne âme de Se-Tchouan Le 4 mars 2004 à 16h19

Ce spectacle est une pure merveille. Irina Brook a énormément de talent. Romane Bohringer est une grande comédienne. Elle est immense ici. Quel beau spectacle! Quelle fantaisie! Le Théâtre est souvent tellement anecdotique par rapport à ce qui se passe dehors. Ici, il remplit son rôle, et rend, un temps, meilleur.

La bonne âme de Se-Tchouan Le 21 novembre 2003 à 09h14

jeudi 20 novembre 2003-Maison de la culture de Nevers(58)- Je suis élève de Lycée et j'ai été voir ce spectacle hier soir. J'ai été comblé!!En premier par l'interprétation de Romane Bohringer. Je ne l'avais jamais vu au théâtre et j'ai été agréablement surprise!!Elle donnait tout ce qu'elle avait dans les trippes. Son changement de personnage étais radicale et sa voix sublime. Je ne connais que le nom du personnage principale, mais les autres acteurs ont autant donnés. Le marchand d'eau était vraiment touchant. ce spectacle ma vraiment plus et j'invites tout les amateurs de chant, de théâtre et de dance a courrir aller le voir, car la mise en scène était exceptionnelle. Courrer zi!!!!

Informations pratiques

Chaillot - Théâtre national de la Danse

1, Place du Trocadéro 75016 Paris

Accès handicapé (sous conditions) Bar Librairie/boutique Restaurant Salle climatisée Tour Eiffel Vestiaire
  • Métro : Trocadéro à 96 m
  • Bus : Trocadéro à 31 m, Varsovie à 271 m, Pont d'Iéna à 297 m
Calcul d'itinéraires avec Apple Plan et Google Maps

Plan d’accès

Chaillot - Théâtre national de la Danse
1, Place du Trocadéro 75016 Paris
Spectacle terminé depuis le samedi 3 avril 2004

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